Finances / Pouvoirs locaux - Recouvrement des créances entre collectivités : possibilité de saisir directement le juge administratif
Par un arrêt rendu le 31 mai dernier, le Conseil d'Etat a étendu les exceptions au principe du "privilège du préalable", principe selon lequel "une collectivité publique est irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu'elle a le pouvoir de prendre".
La procédure "d'action directe" doit en principe être employée toutes les fois que cela est possible, que l'administration soit opposée à un particulier ou à une personne privée.
Cette procédure, qualifiée de "règle fondamentale" par le juge administratif (CE 2 juillet 1982, Huglo) et par la doctrine administrative la plus autorisée (Note, Hauriou, Sirey 1915, III.9), irrigue le fonctionnement entier de l'administration.
Appliquée en matière de recouvrement des créances publiques, il était généralement admis que l'administration ne pouvait saisir directement le juge aux fins de condamnation d'un débiteur indélicat alors qu'elle pouvait, pour le même résultat, émettre elle-même un titre exécutoire. A défaut, elle s'exposait à ce que sa requête soit déclarée irrecevable (CE 30 mai 1913, préfet de l'Eure). Il appartenait ensuite au débiteur de saisir le juge administratif d'une demande d'annulation de ce titre ou à l'administration de saisir le juge d'une décision de refus opposée par son débiteur.
Deux catégories d'exception sont toutefois venues atténuer l'application de cette règle. Il s'agit, d'une part, du cas où la collectivité publique souhaite recouvrer une créance de nature contractuelle et, d'autre part, du cas ou l'Etat est débiteur de cette collectivité.
Dans le premier cas, les règles contractuelles viennent suppléer le privilège dont dispose l'administration. Dans le second cas, l'exception se justifie puisqu'aucune procédure d'exécution ne permet de forcer l'Etat à honorer sa dette, l'émission d'un titre de recette ne pouvant pas surmonter la réticence ou le refus de ce dernier.
S'agissant en revanche du recouvrement de créances détenues par une personne publique sur une collectivité territoriale, l'existence d'une procédure spécifique d'exécution aurait pu faire obstacle à ce que soit reconnue la possibilité de saisir directement le juge administratif.
En effet, en application de l'article L. 1612-15 du Code général des collectivités territoriales, la Chambre régionale des comptes peut être actionnée afin de faire inscrire au budget de la collectivité débitrice toute "dépense obligatoire" (en raison d'une loi, d'un règlement, d'un contrat, d'une décision de justice …). Si cette collectivité considère que la dette, dont l'inscription d'office est demandée, est sérieusement contestée dans son principe ou dans son montant, elle prendra une décision de refus qui peut être contestée devant le juge administratif.
C'est en raison "des limitations apportées par l'article L. 1612-15 du CGCT à l'inscription d'office à leur budget des dépenses obligatoires" que le Conseil d'Etat a, dans cet arrêt du 31 mai, ouvert aux collectivités publiques la possibilité de saisir directement le juge administratif des créances que celles-ci détiennent contre une autre collectivité.
Autrement dit, faute de pouvoir contraindre efficacement la personne publique débitrice, la personne publique créancière n'est pas tenue de faire précéder sa demande par l'émission d'un titre de recettes rendu exécutoire.
Kris Moutoussamy, avocat à la Cour / Cabinet de Castelnau
Références : CE 31 mai 2010, "communauté d'agglomération Vichy Val d'Allier", n° 329483 ; CE 2 juillet 1982, "Huglo", n° 25288, 25323 ; CE 30 mai 1913, "Préfet de l'Eure", Sirey 1915, III, p.9 ; Note, Hauriou, Sirey 1915, IIe part., p.9.