Citoyens - Quand les usagers donnent leur avis sur les services publics locaux
Alfa, Céline, Renata, Lionel, Josiane, Jean-Claude... : venus de toute la France et âgés de 26 à 61 ans, ils sont quatorze à avoir été sélectionnés par l'institut BVA pour participer entre l'automne dernier et ce printemps à une "conférence de citoyens" sur les services publics locaux. L'Institut de la gestion déléguée (IGD) qui est à l'origine de la démarche - menée en partenariat avec l'Association des maires de France - a souhaité réfléchir en profondeur à la participation des usagers, qui n'a pas encore trouvée sa place, selon ses responsables. Et cela en donnant la parole aux usagers eux-mêmes, à travers une initiative inventée dans le secteur médical américain et rarement utilisée en France. Elle est d'ailleurs si peu connue, que certains des participants ont d'abord cru à une plaisanterie...
Depuis octobre, le groupe de citoyens a passé douze jours en commun, dont la moitié du temps sur le terrain. A Nantes, Dijon et Nice, ils ont visité des services publics dans des domaines aussi divers que les transports en commun, l'eau, l'assainissement, les déchets, la restauration collective et les réseaux de chaleur. Certains ont découvert pour la première fois "l'envers du décor". Ces déplacements ont été aussi l'occasion de rencontrer des élus, des experts et des responsables associatifs. Les connaissances qu'ils ont ainsi accumulées leur ont permis de se forger une opinion personnelle, de débattre ensuite entre eux et de créer une réponse collective à la question qui leur était posée par l'IGD : "Comment les citoyens-usagers pourraient-ils prendre part à l'amélioration des services publics locaux ?"
Ce jeudi 26 mars à Paris, ils présenteront "l'avis citoyen" qui contient quatorze propositions concrètes visant à améliorer la participation dans les services publics locaux (lire notre encadré ci-dessous). Des préconisations qui, au total, témoignent de leur souhait d'être "considérés comme des citoyens-usagers", souligne Marie-Joëlle Kodjovi, qui a piloté le projet à l'IGD. Pierre Van de Vyver, délégué général de l'institut, tire des conclusions très positives de la démarche. Pour lui, "la conférence de citoyens met en évidence le fait qu'il existe autour du produit délivré par le service public un environnement auquel les usagers sont tout aussi sensibles qu'à la qualité du produit elle-même". Cet enseignement conforte l'IGD dans son projet de faire émerger des "opérateurs de gestion durable" dont l'activité est tournée à la fois vers "l'efficacité" et "la prise en compte des obligations de service public et d'aménagement du territoire".
Les propositions issues de la conférence de citoyens auront-elles cependant une chance d'être traduites dans les faits ? Le débat de jeudi apportera une première réponse. "Tout dépendra en définitive de l'accueil que leur feront les élus et les opérateurs participant au débat", fait remarquer Pierre Van de Vyver. Il faudrait aussi, pour que la démarche ait du sens, que "les collectivités découvrent l'intérêt d'organiser elles-mêmes des conférences de citoyens décentralisées", poursuit le délégué général de l'IGD. En effet, "chaque territoire a son ressenti vis-à-vis des services publics". La démarche aura en tout cas certainement le mérite de sensibiliser les acteurs à l'importance de mieux associer les citoyens à la gestion des services publics locaux. La loi du 27 février 2002 sur la démocratie de proximité a certes renforcé le rôle des commissions consultatives des services publics locaux, mais "cet outil institutionnel fonctionne assez mal", constate Pierre Van de Vyver. "Le point de vue exprimé au nom des usagers est souvent incomplet, voire déformé, à l'aune de celui des délégués qui composent ces instances", qui sont souvent issus du monde associatif. Augmenter la participation des usagers à la gestion des services publics locaux ne sera pas une tâche facile, reconnaît le délégué général de l'IGD, car "les services concernés sont délivrés dans un cadre très normalisé". Par exemple, les sociétés qui fournissent l'eau potable doivent respecter quelque 80 spécifications de base. Une mission très complexe que devrait encore alourdir la prise en compte de la dimension citoyenne, "qui couvre aussi bien la proximité, la protection de l'environnement que la définition de tarifs sociaux, la transparence de l'activité, ou l'arbitrage entre les tarifs et le financement par l'impôt...".
Thomas Beurey / Projets publics
Les quatorze propositions de la conférence de citoyens
En réponse à la question qui leur était posée, "Comment permettre concrètement aux citoyens-usagers de prendre part aux services publics locaux et de les améliorer ?", les quatorze membres de la conférence de citoyens ont construit les propositions suivantes.
Les premières propositions visent à "renforcer les dispositifs existants permettant l'implication des usagers citoyens dans les services publics locaux":
- aller écouter autrement les personnes, favoriser la participation de TOUS les citoyens : multiplier les canaux et outils de communication afin de les adapter aux différents publics, ne pas hésiter à utiliser le téléphone, rendre plus accessible la participation aux réunions ou permanences des enquêtes publiques en réfléchissant notamment à leurs horaires, utiliser la méthode du tirage au sort pour recruter des participants...
- valoriser les personnes : les reconnaître dans "l'expertise d'usage" qu'elles peuvent apporter ;
- prendre en compte les citoyens-usagers non organisés au-delà du rôle joué par les associations : si ces associations sont des leviers qui permettent d'exprimer la voix des usagers, elles sont souvent méconnues du public, oeuvrent avant tout pour leurs adhérents... Le "filtre" des associations doit donc parfois être enlevé ;
- indiquer clairement au citoyen le pouvoir qu'on lui donne au travers de sa participation (consultation pour simple avis ou concertation pour une codécision ?) ;
- mieux faire connaître les dispositifs permettant aux citoyens-usagers de participer (rubrique dédiée sur le site internet de la collectivité, ateliers de formation à la participation...) ;
- simplifier l'information donnée sur les services publics locaux : éviter les termes barbares (Scot, turbidité de l'eau...), trop de chiffres...
- multiplier les visites pédagogiques des services publics pour les enfants, les jeunes et les adultes ;
- appliquer plus systématiquement les dispositifs existants, qu'il s'agisse des enquêtes publiques, des conseils de quartier, des instances telles que les CCSPL ou des référendums locaux.
Les propositions suivantes correspondent à de nouvelles actions :
- créer un poste d'interlocuteur en charge des services publics locaux ;
- fournir un livret d'accueil pour chaque nouvel habitant sur ses services publics locaux (services gérés, mode de gestion, contacts, instances de participation, associations concernées, visites possibles des sites...) ;
- mettre en place une journée annuelle du service public local et de la participation citoyenne au cours de laquelle on pourrait, partout en France, visiter les services publics locaux sous une forme simple et ludique ;
- créer un congé citoyen ;
- aller vers les gens : un garde champêtre-crieur public médiateur de terrain ? Celui-ci irait à la rencontre des habitants, de manière conviviale ;
- renforcer la formation des élus et des techniciens sur la participation afin de répondre, notamment, à la méfiance des administrations, au manque d'information des premiers interlocuteurs des habitants (secrétaire de mairie, standardiste...), à la trop grande technicité du langage des experts...