Projet de loi "Climat et résilience" : le Cese et le CNTE affûtent leurs critiques
Obligatoirement consultés avant la présentation prochaine en conseil des ministres du projet de loi "Climat et résilience" issu de la Convention citoyenne, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) et le Conseil national de la Transition écologique (CNTE) ont rendu coup sur coup deux avis critiques sur le texte. Dans celui qu'il a voté ce 27 janvier, le Cese reproche au texte de ne pas être à la hauteur des objectifs de la France en matière de lutte contre le réchauffement, du fait de nombreuses mesures qui sont "limitées, différées ou conditionnées". Adopté la veille, celui du Conseil national de la Transition écologique (CNTE) s'interroge lui aussi sur l'atteinte des objectifs mais également sur les moyens, l'impact sur les entreprises et les collectivités territoriales, et regrette l'insuffisance des mesures de justice sociale et de réduction des inégalités.
Adopté ce 27 janvier avec 171 voix pour et 33 abstentions, l'avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese) sur le projet de loi "Climat et résilience" issu de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) s'inquiète particulièrement de la capacité du texte à atteindre les objectifs de la France en matière de lutte contre le réchauffement. Le projet de loi qui doit être présenté le 10 février en conseil des ministres est censé reprendre près de la moitié des 149 propositions de la Convention destinées à réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre de la France d'ici à 2030 par rapport à 1990. Le texte prévoit notamment la fin de la location des logements considérés comme des passoires thermiques en 2028, la mise en place du "CO2-Score" pour afficher l'impact sur le climat des produits et services, l'interdiction des vols domestiques en cas d'alternative en train en moins de 2h30, celle de la publicité pour les énergies fossiles, ou encore un dispositif de lutte contre l'artificialisation des sols.
Mise en oeuvre des mesures jugée "incertaine" par le Cese
Mais pour le Cese, "les nombreuses mesures du projet de loi, en général pertinentes restent souvent limitées, différées ou soumises à des conditions telles que leur mise en oeuvre à terme rapproché est incertaine". Dire que ce projet de loi "s'inscrit" dans la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) qui vise à la neutralité carbone en 2050, est "un abus de langage", poursuit-il, tout en reconnaissant la difficulté de faire accepter des mesures difficiles.
"Certaines mesures, comme celles qui concernent l’équilibre entre l’urbanisation et les espaces naturels et ruraux, auront une portée positive importante à long terme, mais dépendent pour leur mise en œuvre de l’ambition et de la volonté coordonnées des collectivités et de l’État", souligne l'instance. "Beaucoup de mesures sont des ajustements de dispositions existantes" et "les évolutions en profondeur de domaines sensibles tels que le transport aérien et le transport routier de marchandises sont subordonnées à la sauvegarde des modèles existants en situation actuelle de crise, sans donner de vision claire sur leur réorientation vers une réelle soutenabilité", pointe encore le Cese, soulignant aussi que "le projet de loi renvoie à plusieurs reprises, notamment en matière de politique agricole ou aéronautique, à des négociations européennes ou internationales, sans qu’apparaisse clairement la volonté de la France de peser sur ces négociations".
Autre limite relevée par le Conseil : "l’efficacité de nombreuses mesures dépend essentiellement des moyens humains et budgétaires qui y seront consacrés. Faute des moyens dans les services chargés de leur application et de leur contrôle, ces mesures resteront lettre morte."
Certes, le plan de relance prévoit des financements "dans les ordres de grandeur de ce qu'il faudrait chaque année", a noté Michel Badré, un des rapporteurs de l'avis. "Mais je ne suis pas sûr qu'on va faire tous les ans ou tous les deux ans un plan de relance de ce niveau", a-t-il déclaré à l'AFP.
Concernant la rénovation énergétique des logements, "seulement un tiers des passoires thermiques sont traitées par le projet de loi", celles qui sont louées, et pas celles occupées par le propriétaire, a souligné à l'AFP Claire Bordenave, autre co-rapporteur de l'avis. "Quand est-ce qu'on va s'occuper des deux tiers qui manquent ?", a-t-elle lancé.
Selon l'étude d'impact du gouvernement, le projet de loi permettra de "sécuriser" entre la moitié et deux tiers de la baisse des émissions de gaz à effet de serre prévue d'ici 2030. Avec ce texte qui "va changer la vie des Français", "la France fait avancer tous les chantiers de front, nous agissons sur l'ensemble des dimensions", a défendu au Cese la ministre déléguée au Logement Emmanuelle Wargon, rappelant toutefois le contexte "unique" de la crise sanitaire et économique. "Les mesures du projet de loi viennent compléter un puzzle qui est en train de s'étoffer", a reconnu Claire Bordenave. Mais "les changements qualitatifs de modèles, économique, social et climatique, ne sont pas au rendez-vous".
Mobiliser des moyens pour tenir les objectifs
Le constat est très proche du côté du Conseil national de la Transition écologique (CNTE) qui a adopté son avis sur le projet de loi "Climat et résilience" ce 26 janvier par 26 votes pour – dont ceux des représentants de l'Assemblée des communautés de France (AdCF) et de Régions de France – et 7 abstentions. Le CNTE est lui aussi inquiet de "la baisse insuffisante des émissions de gaz à effet de serre induite" par le texte. Des "préoccupations renforcées" par l'adoption fin 2020 d'un nouvel objectif climatique européen de réduction nette des émissions de 55% pour 2030. Le CNTE "demande" donc au gouvernement "de mobiliser les moyens, leviers d’action et outils de politiques publiques nécessaires" au respect par la France de son objectif de réduction d’émissions d'ici à 2030.
Sur les modalités d'élaboration du texte, le CNTE regrette notamment que l'étude d'impact "soit de qualité insuffisante, en particulier, quant à l’évaluation et l’explicitation des impacts sur les grandes, moyennes et petites entreprises (par exemple de la mesure zones à faibles émissions sur les artisans et commerçants ou la mesure vrac sur les commerçants), ainsi que les collectivités territoriales, et des impacts sociaux, notamment sur les emplois (créés, supprimés, transformés) et la formation". La méthodologie évaluant l’impact carbone de chaque mesure et la contribution de celles-ci à l’impact total est par ailleurs "insuffisamment précise", de même que celle évaluant le coût de la tonne de CO2 évitée pour chaque mesure.
Le CNTE "observe l’absence de précisions sur le financement des propositions de la loi, et plus globalement, sur le financement de la décarbonation de l’économie et de la société française". Il "souligne l’importance des investissements nécessaires à la relocalisation des activités industrielles et agricoles pour réduire l’empreinte carbone" et "appelle les entreprises à accélérer leur transition, à renforcer leurs démarches d’innovation et à se positionner autant que possible sur les marchés et chaînes de valeur compatibles avec la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre". Il attend "l’intégration, dans les futures lois de finances (notamment le PLF 2022) et de programmation, des moyens humains et financiers dédiés à la mise en œuvre concrète des politiques publiques, notamment par les collectivités territoriales". L’idée étant de permettre la "bonne application des mesures", notamment dans les "domaines renforcés par le projet de loi" : éducation à l’environnement et au développement durable, lutte contre l’artificialisation des sols, développement d’un réseau cohérent d’aires protégées, développement de l’ensemble des activités judiciaires et de police et plus spécifiquement des politiques mises en œuvre par les collectivités territoriales. Dernière demande concernant les moyens : que la proposition d’un chèque alimentaire pour les produits durables, notamment issus de l’agroécologique et/ou de circuits courts, validée par Emmanuel Macron le 14 décembre dernier, soit intégrée dans le prochain projet de loi de finances.
Quelles mesures pour réduire les inégalités ?
Alors que les membres de la Convention citoyenne devaient formuler des mesures permettant de réduire les émissions dans un esprit de justice sociale, pour le CNTE cette préoccupation n'apparaît pas vraiment dans le texte du gouvernement. Il juge "insuffisante" l’inscription de mesures de justice sociale et de réduction des inégalités — "telles que l’anticipation et la facilitation des transitions professionnelles, des aides à la mobilité pour les travailleurs en zones à faibles émissions, la hausse du chèque énergie", etc. Dans le cadre des débats qui auront lieu à compter de la fin mars au Parlement, le Conseil attend donc du législateur et de l’exécutif qu’ils "veillent à ce que l’application des mesures ne réduise pas le pouvoir d’achat des ménages, en particulier celui des plus modestes". Il les appelle également à veiller à ce que la loi "valorise les productions françaises locales et soutenables, auprès des consommateurs et clients, afin de lutter contre les distorsions de concurrence et de soutenir la compétitivité et l’emploi des petites, moyennes et grandes entreprises françaises".
Enfin, le CNTE se dit "partagé quant aux délais d’application des mesures prévues dans la loi : trop tardifs ou pertinents". Une "question cruciale" qui devra "donner lieu à concertation avec les acteurs sociaux, économiques et territoriaux". Il est aussi "divisé sur les dates d’entrée en vigueur et le caractère uniquement incitatif des mesures fiscales prévues par le projet de loi (et notamment la taxe sur le transport routier, la taxe engrais azotés et la taxe sur l’aérien) au regard des autres outils possibles, dans le contexte économique, social et écologique actuel".
Convention citoyenne : ses représentants affichent leur déception au Sénat
"On repousse dans le temps ; pourtant, nous n’avons plus le temps." Auditionnés ce 27 janvier par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, Jean-Pierre Cabrol, membre de la Convention citoyenne pour le climat (CCC), et Laurence Tubiana, coprésidente du comité de gouvernance de la CCC, n'ont pas manqué d'exprimer leur déception à propos du projet de loi "Climat et résilience". Jean-Pierre Cabrol a notamment relevé que le projet de loi ne sécurisait à ce stade que la moitié des efforts à réaliser – en référence à la cible d’une baisse de 40% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 1990 fixé dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015. Qui plus est, cette ambition apparaît désormais en décalage avec celle affichée par l’Union européenne, qui porte un objectif d’au moins 55% de réduction. "Cette séance de questions réponses a permis à la commission d’identifier de nombreux angles morts dans l’avant-projet de loi "Climat", ont souligné les sénateurs dans un communiqué : oubli de secteurs importants dans le champ des dispositions législatives envisagées ; absence d’avancées sur le volet de la fiscalité environnementale, pourtant indispensable à la transition écologique ; disparition de l’enjeu de justice sociale dans l’avant-projet de loi ; absence de réflexion sur les émissions importées, qui représentent 70% de l’empreinte carbone de la France..." Pour Laurence Tubiana, "la consultation des citoyens mise en œuvre dans le cadre de la CCC n’avait pas vocation à se substituer à l’exercice parlementaire, mais plutôt à le compléter, même s’il est nécessaire d’associer davantage les citoyens aux grands choix collectifs à effectuer pour réussir la transition écologique et rétablir la confiance dans l’action publique". "La navette parlementaire sera le moyen d’approfondir de nombreux sujets et d’améliorer un texte, pour l’heure, encore perfectible", a souligné la commission. "Comptez sur nous pour examiner avec pragmatisme et bienveillance ce projet de loi qui pourrait permettre à la France d’avancer sur le chemin de la neutralité carbone. Comptez sur nous également pour travailler sur d’éventuels angles morts, comme nous avons pu le faire très récemment avec la question de l’empreinte environnementale du numérique", a assuré aux représentants de la CCC le président de la commission, Jean-François Longeot (UC-Doubs).
A.L. / Localtis