Présidentielle : si tu ne vas pas à la campagne, la campagne ira à toi
À bord d'un petit camion, une délégation du Parlement rural a sillonné les rues de Paris, jeudi dernier, pour aller à la rencontre des douze candidats ou de leur représentants. L'occasion de plaider pour un grand plan de 10 milliards d'euros pour la ruralité sur la durée du quinquennat. Florilège des principaux échanges.
Si la question des fractures territoriales a émaillé une bonne partie de ce quinquennat, elle n’a su émerger de cette "drôle" de campagne, assommée par le Covid puis par la guerre en Ukraine. Pour combler ce vide, une estafette aux couleurs du Parlement rural a sillonné Paris, jeudi dernier, à la rencontre des douze candidats ou de leurs représentants. L’occasion d’entendre leurs principales propositions et d’appeler à un grand plan de 10 milliards d’euros pour la ruralité, sur la durée du quinquennat. C'est pour défendre les intérêts de la ruralité que le Parlement rural s’était constitué en 2019, année de la mise en place de l’Agenda rural, ce catalogue de 181 mesures lancé dans le sillage de la crise des gilets jaunes, sur une proposition de l’Association des maires ruraux de France (AMRF).
La délégation* a ainsi pu en rencontrer quatre des candidats (Nicolas Dupont-Aignan, Valérie Pécresse, Yannick Jadot et Jean Lassalle), et les équipes de six autres (Marine Le Pen, Éric Zemmour, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel et Anne Hidalgo). Seuls Philippe Poutou et Nathalie Arthaud ont manqué à l'appel.
Démétropolisation
Alors que la campagne présidentielle aurait pu être l’occasion de dresser le bilan de la mandature en matière d’aménagement du territoire, il ressort surtout de la synthèse de ces échanges que les réformes territoriales du précédent quinquennat, celui de François Hollande, n’ont toujours pas été digérées. Réformes qui ont fait la part belle aux métropoles et aux intercommunalités XXL. Comme le rapporte le Parlement rural, dans son communiqué, "le ton est donné dès la première rencontre avec Laurent Jacobelli, porte-parole de la campagne de Marine Le Pen qui évoque la nécessaire 'démétropolisation'". Un point partagé avec la place du Colonel Fabien, le sénateur communiste du Nord Éric Bocquet, représentant Fabien Roussel, s’étant montré critique envers "les réformes successives" qui ont "accentué les déséquilibres entre les zones urbaines et les zones rurales". "La commune c’est le premier échelon de la République", a-t-il plaidé. Le député Jean Lassalle, qui s’est forgé avec le verbe haut l’image du héraut de la ruralité, considère lui aussi qu’il n’y a pas de débat équilibré entre campagnes et métropoles, "parce que pour eux, nous sommes un fardeau, un ramassis d’élus qui coûtent les yeux de la tête, beaucoup trop nombreux et qu’il faut réduire impérativement".
La loi Notr du 7 août 2015 concentre encore bien des critiques. Jean Lassalle comme Nicolas-Dupont Aignan souhaitent sa suppression pure et simple. Ce dernier s’engage ainsi à rendre la liberté aux communes. "Il ne s’agit pas de refuser l’intercommunalité", a-t-il avancé, mais "d’avoir des intercommunalités à visage humain" et "qui ne vampirisent pas les communes". Il ressort l'image éculée du "big bang" et souhaite supprimer les régions et faire "redescendre leurs compétences vers les départements, vers la proximité" (c’était déjà une idée de Marine Le Pen en 2017), à l’opposé d’Olivier Marleix qui, au nom de Valérie Pécresse, a souhaité donner à la région sa "pleine capacité" en matière de développement économique, le département se voyant conforté comme "chef de file des politiques notamment dans le secteur social, de l’enfance, et la petite enfance, de la santé avec le problème d’accès aux soins". Yannick Jadot demande plus simplement une clarification des compétences entre régions et départements...
"Si je devais prendre une mesure dans le programme du candidat Emmanuel Macron, je choisirais la réouverture des sous-préfectures", a souligné pour sa part Jean-René Cazeneuve, au QG du président-candidat. "Si vous prenez cette mesure et que vous l’associez au renforcement de la différenciation territoriale et du développement du pouvoir règlementaire local, nous avons là, la possibilité de permettre à l’État et aux élus de répondre à nos concitoyens, de façon plus rapide, plus efficace", a-t-il argué.
École
Autres sujets de préoccupation des candidats : l’accès aux soins, la place des services publics, en particulier de l’école... Chez Jean-Luc Mélenchon tout comme Éric Zemmour, on s’oppose à toute fermeture de classe et d’école. Le porte-parole de l’ancien journaliste, Guillaume Peltier, a avancé l’idée d’un "moratoire immédiat". Au QG du candidat de la France insoumise, on parle même de réouvertures et d’une limitation des effectifs à 19. "Le service public dans les campagnes, c’est d’abord l’école, que l’école soit accessible partout, quel que soit l’effectif des classes", a déclaré dans le même sens Éric Bocquet.
Déserts médicaux
Alors que 30% des Français vivent dans un désert médical (le nombre de médecins généralistes par rapport à la population a diminué en moyenne d’1% pendant la durée du quinquennat, selon un rapport sénatorial), les propositions ne brillent pas par leur originalité, même si cette préoccupation est largement partagée. L’équipe d’Anne Hidalgo a plaidé pour que "les étudiants accomplissent une année professionnelle dans un quartier, une zone, un village sous-dotés", ce qui permettrait d’installer "dans un délai rapide" quelque "4.000 étudiants en stage professionnel". Chez Éric Zemmour, on s’engage à supprimer les ARS et à "installer immédiatement dès notre élection 1.000 médecins salariés dans les zones rurales les moins bien dotées, financés par l’État, c’est-à-dire par l’Assurance maladie". Une idée là-encore partagée dans le camp de Jean-Luc Mélenchon où "on veut mettre en place la possibilité de salarier les médecins".
Revitalisation
Plusieurs propositions tiennent plus généralement à la revitalisation des communes rurales. L’équipe de Valérie Pécresse plaide pour un "grand plan de modernisation de nos infrastructures" financé par une fusion du livret A et du LDD, et pour une opération de "défiscalisation" dans les villes de moins de 20.000 habitants. Yannick Jadot propose la création d’une "Agence nationale de la rénovation rurale" (resucée de l’Agence nationale de la cohésion des territoires ?) afin de mener "une grande politique d’aménagement du territoire" : transports, rénovation des logements, traitement de la précarité énergétique… Le candidat écologiste préconise aussi une relocalisation de l’économie. Nicolas Dupont-Aignan propose la création d’un fonds national pour financer la "réhabilitation de milliers de logements en ruine qui pourrissent au milieu de certains villages". Ces logements pourraient être destinés à des jeunes primo-accédants "qui veulent s’installer avec une vie plus agréable que dans les métropoles". Chez Jean-Luc Mélenchon, la redynamisation des zones rurales passe également par le rééquilibrage de la dotation pour les communes, vieille revendication de l’AMRF. Ce que défend également la candidate socialiste, pourtant maire de la capitale, qui propose de réduire cette distorsion en concertation avec l’Association des maires de France et le Comité des finances locales. "Les habitants des communes de plus de 100.000 habitants reçoivent 128 euros par habitant alors qu’une commune de moins de 500 habitants reçoit 64 euros par habitant", ont avancé ses représentants.
Si les maires ruraux ont été très sollicités pour l'obtention des 500 parrainages, cette tournée leur a permis de rappeler que la ruralité vaut plus qu'une signature.
* La délégation représentant une quarantaine de fédérations et associations de la ruralité était composée de Patrice Joly, sénateur de la Nièvre, président de l'Association nationale Nouvelles Ruralités (ANNR), Roland Héguy, président de l'Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih), Dominique Marmier, président de Familles rurales, Dominique Ravon, président des Maisons familiales rurales (MFR), Claude Grivel, président de l'Union des acteurs du développement local (Unadel), Nathalie Monteiro, coprésidente de la Confédération nationale des foyers ruraux, Éric Krezel, président de l'Association des maires ruraux de Haute-Marne, et Guy Clua, président du conseil scientifique de l'Association des maires ruraux de France.