Préfets : quel "pouvoir d'agir" vis-à-vis des acteurs locaux ?

De quelle latitude les préfets disposent-ils dans leurs relations avec les élus locaux ? C'est notamment à cette question, essentielle pour les collectivités, que la Cour des comptes répond dans un rapport sur "la capacité d'action des préfets". Les constats qu'elle dresse sont sévères, révélant l'ampleur du champ d'action que les préfets se sont vu rogner par les administrations centrales.

S'agissant de la contractualisation (contrats de plan État-région, Action cœur de ville, etc.), les marges de manœuvre préfectorales sont "considérablement" limitées, du fait du "poids important" pris par les administrations centrales. Ainsi, "l’action des préfets de région est parasitée par des discussions et arbitrages parfois réalisés par les administrations centrales sans qu’ils y soient associés". La Cour dénonce de telles pratiques. "Il convient, estime-t-elle, que les préfets puissent jouer pleinement leur rôle dans l’élaboration des contrats avec les collectivités territoriales." Les mandats qui leur sont donnés doivent leur laisser "des marges de manœuvre pour prendre en compte les spécificités territoriales" et le temps nécessaire pour "mener des négociations approfondies avec les collectivités", prône-t-elle.

En outre, partageant un constat unanime et récurrent chez les élus locaux, la Cour dénonce "l'usage immodéré" par l'État central des appels à projets et à manifestations d’intérêts nationaux. Cet excès place "les préfets et les services de l’État en porte-à-faux par rapport à leurs interlocuteurs locaux", qu'ils ne "peuvent donc pas accompagner". "Il serait opportun que le Premier ministre réduise par circulaire le nombre de ces appels à projets nationaux", prescrit la Cour.

Des opérateurs fonctionnant "en silo"

Cette dernière épingle, par ailleurs, "la tendance croissante de l'État central à gérer les crises depuis Paris". Une évolution qui n'est pas sans "risques". Gilets jaunes, Covid-19… "L’absence de connaissance du contexte territorial peut conduire à des erreurs d’appréciation, ou, tout au moins, limiter la prise en compte des spécificités locales et la concertation avec les collectivités territoriales."

Depuis 2021, le Premier ministre transmet à chaque préfet une feuille de route interministérielle présentant les principales priorités de l'État dans son territoire. Une partie de l'attribution de la rémunération variable des préfets dépend des résultats obtenus. Mais les indicateurs servant à l'évaluation des feuilles de route "ne tiennent pas toujours compte des spécificités locales". De plus, les préfets sont évalués sur des politiques sur lesquelles "ils n’ont pas ou peu la main". Lorsqu'elle leur assigne des objectifs dans des domaines qui relèvent des compétences des collectivités, cette pratique est "contestable", juge la Cour. Par conséquent, elle préconise un recentrage des feuilles de route sur les réformes prioritaires dont la mise en œuvre relève des seules compétences de l’État.

Les magistrats constatent par ailleurs que les préfets ne sont pas les patrons de toutes les administrations déconcentrées de l'État, loin de là. C'est une carence que les élus locaux pointe d'ailleurs régulièrement. Les agences régionales de santé (ARS), les services de l'Éducation nationale, les juridictions judiciaires, ou encore l'Armée échappent à leur autorité. Par ailleurs, ils ne disposent que d'une "autorité fonctionnelle partielle" à l'égard des services départementaux de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) et de la direction régionale des affaires culturelles (Drac). En outre, les nombreux opérateurs de l'État (Anru, Ademe, Anah, agences de l'eau) se trouvent en dehors du giron du préfet. "Le fonctionnement en silo" de ces opérateurs, "dans une logique n’intégrant pas spontanément le rôle du préfet, peut conduire à un affaiblissement de sa position vis-à-vis des collectivités territoriales", critique la Cour des comptes.

"Érosion des moyens" affectés au contrôle de légalité

Elle relève toutefois que "d’importants progrès ont été réalisés ces dernières années dans les relations entre préfets et opérateurs". En effet, le préfet est le délégué territorial de huit agences, dont l'Anah, l'Anru, l'Ademe, et la plus récente, l'ANCT (Agence nationale de la cohésion des territoires). La formule a pu permettre d’"assurer une relation plus fluide" entre les préfets et ces agences. Il reste que les préfets ont dû parfois exercer ces nouvelles missions à moyens constants (comme cela a été le cas pour l'ANCT).

Les réductions d'effectifs des préfectures (de 27.613 agents en 2010 à 23.652 agents en 2020, hors corps préfectoral – soit une baisse de 14 %) entraînent des "tensions" dans l’exercice de certaines missions, notamment les contrôles de légalité et budgétaire confiés aux préfets, observe encore la Cour. Après une première alerte émise il y a un an – dans un rapport sur le contrôle de légalité (voir notre article du 23 novembre 2022) –, la Rue Cambon réitère son appel à renforcer le nombre d'agents affectés à ces missions.

Par ailleurs, elle s'inquiète du raccourcissement de la durée moyenne des fonctions des préfets (de 30 mois en moyenne en 2021 à 27 mois en 2022). "L’efficacité d’un préfet, ou d’un sous-préfet, repose sur la connaissance du territoire dans lequel il exerce ses fonctions et sur sa capacité à développer et entretenir des relations de confiance avec les élus", souligne la Cour. Pour qui "cela suppose qu’il dispose d’une certaine durée". Cette préoccupation est très largement partagée par les élus locaux.

 

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