Peut-on répondre à la crise du logement par la dérogation ?

À l’occasion des Assises nationales du logement et de la ville organisées ce mardi 25 juin à la Cité internationale universitaire de Paris, l’ancien ministre Benoist Apparu, le président de la Fédération des OPH, Marcel Rogemont, et le directeur des prêts de la Banque des Territoires, Kostas Kastrinidis, ont débattu des atouts et des limites des expérimentations dérogatoires au bénéfice de la construction de logements.

"C’est toujours intellectuellement peu satisfaisant de se dire que l’on doit déroger à des règles pour pouvoir produire du logement !" À l’entendre, Benoist Apparu, président du promoteur francilien Emerige, reste réservé sur l’option de la relance par la dérogation en matière de logement. À l’heure où le secteur est en crise et où le projet de loi sur le logement abordable se trouve mécaniquement enterré par le jeu du scrutin législatif à venir, l’enjeu est ailleurs, explique l’ancien ministre délégué chargé du logement. Car "si l’on doit en passer par la dérogation, pourquoi ne pas traduire cela en une règle générale ?", s’interroge l’ancien élu.

"Simplifier structurellement les choses"

Si une expérimentation dérogatoire telle que celle mise en œuvre à l’occasion des JOP 2024 "fonctionne très bien grâce à la mobilisation de l’ensemble des partenaires sur un territoire donné, pendant une période donnée", résume Benoist Apparu, la mécanique semble plus difficile à reproduire à grande échelle. "Je préfère, dit-il, privilégier une approche où l’on s’interroge sur comment simplifier structurellement les choses." Cependant, l’acte de construire reste "ultra législatif" et les textes normatifs "sont extrêmement complexes à modifier". La première chose à faire, propose-t-il, serait donc de "repasser dans le champ réglementaire ce qui est dans le champ législatif", ce qui permettrait de lever un premier frein, "même s’il y a d’autres freins que des freins normatifs".

Pour Marcel Rogemont, président de la Fédération des offices publics de l'habitat (OPH), ancien élu de la ville de Rennes, "ce n’est pas par l’exemple de quelques territoires que l’on change les choses", évoquant le dispositif Territoires engagés pour le logement. Cela traduit, au contraire, "un manque de volonté de s’attaquer au sujet de la dérogation" qui ne permettra jamais, insiste-t-il, "de faire des choses que l’on ne faisait pas jusque-là". "22 territoires engagés pour le logement, ça ne fait pas beaucoup", pour au final à peine 30.000 logements livrés sur trois ans. Marcel Rogemont plaide davantage pour un renforcement du rôle des intercommunalités en la matière, en "décommunalisant certains actes" pour les porter à une autre échelle. Avec un État "qui accepte de ne pas décider tout" et qui responsabilise davantage les collectivités territoriales comme c’est le cas dans le domaine des transports, rappelle-t-il.

Le rôle contracyclique du secteur HLM

En tant qu'acteur du programme Territoires engagés pour le logement, la Banque des Territoires participe de fait à la relance du logement par la dérogation. Mais avec, précise Kostas Kastrinidis, une action de court terme, et de long terme. "Nous faisons face à une double urgence, celle de décarboner le parc existant et de relancer un parcours résidentiel à l’arrêt." Deux sujets qui réclament des réponses structurelles. Alors qu’à travers la dérogation, "il y a l’enjeu de l’accélération". Et de ce point de vue, la Banque des Territoires fait une lecture "pragmatique" de la situation en permettant de "viabiliser des opérations souvent déséquilibrées". Pour sortir de la crise, le directeur des prêts estime que l’État doit soutenir le secteur HLM "qui joue un rôle contracyclique majeur". Les bailleurs sociaux ont continué d’investir en 2023 alors même que le relèvement du taux du livret A pesait lourdement sur leurs comptes. 

Vers une nouvelle économie du foncier

Plus largement, relève Kostas Kastrinidis, "une nouvelle économie du foncier" est en train de s’imposer avec en toile de fonds le ZAN et la rareté foncière. Un foncier dont la valeur est fixée par des élus locaux qui ne touchent pas suffisamment les fruits des plus-values qu’ils génèrent, pointe Marcel Rogemont. Benoist Apparu abonde : "Le foncier, c’est notre matière première pour produire de l’immobilier et l’on ne mesure pas assez l’extraordinaire révolution que représente le ZAN qui signifie la disparition, légitime, des fonciers neufs !" Jusque-là, "le métier de promoteur c’était de prendre des terrains neufs, de construire des logements neufs avec des matériaux neufs". Demain, il faudra passer à "l’occasion", manière de dire que si le foncier devient rare, il faudra mieux l’utiliser en privilégiant entre autres l’urbanisme vertical sur l’horizontal.

 

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