Commande publique - Peut-on obtenir le remboursement de subventions versées à un pouvoir adjudicateur n'ayant pas appliqué le Code des marchés ?
Dans deux arrêts du 5 juillet 2010, le Conseil d'État a été amené à se prononcer sur la possibilité, pour des personnes publiques, d'exiger le remboursement de subventions versées à un pouvoir adjudicateur qui n'a pas respecté les exigences du Code des marchés publics pour choisir le prestataire de services chargé de réaliser l'action subventionnée.
Subventions versées par des collectivités : attention lors de la rédaction de la convention de subvention
Les communes d'Argenton-sur-Creuse, de Tournon-Saint-Martin et la communauté de communes du Pays d'Issoudun avaient accordé des subventions à la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de l'Indre afin de contribuer à une action de recherche d'investisseurs français et étrangers. Mais après avoir constaté que la CCI n'avait pas respecté les règles de passation des marchés publics pour recruter le prestataire, les collectivités ont demandé le remboursement des sommes versées. Saisi par la CCI de l'Indre, le tribunal administratif et la cour administrative d'appel avaient rejeté les demandes d'annulation des décisions de remboursement.
Le Conseil d'Etat a toutefois déchargé la CCI de l'obligation de rembourser les sommes versées. Les juges de la Haute Juridiction administrative rappellent tout d'abord que l'attribution d'une subvention par une personne publique crée des droits au profit de son bénéficiaire et que ces droits sont créés dès lors que le bénéficiaire de la subvention "respecte les conditions mises à son octroi, que ces conditions découlent des normes qui la régissent, qu'elles aient été fixées par la personne publique dans sa décision d'octroi, qu'elles aient fait l'objet d'une convention signée avec le bénéficiaire, ou encore qu'elles découlent implicitement mais nécessairement de l'objet même de la subvention". Or les conventions ainsi que l'objet des subventions ne subordonnaient pas l'octroi des aides au respect des règles de passation des marchés publics pour le choix du prestataire. Par conséquent, "en l'absence de toute condition de respect des règles de passation des marchés publics", les collectivités locales ne pouvaient s'appuyer sur ce motif pour demander le remboursement des subventions octroyées.
Le cas des subventions versées par l'Etat au titre du Feder : une problématique complexe qui nécessite l'avis de la CJUE
La problématique est beaucoup plus complexe dans le second cas de figure. La CCI de l'Indre avait également reçu des subventions versées par l'Etat au titre du Fonds européen de développement économique régional (Feder). Compte tenu du non-respect des règles de passation des marchés publics pour le recrutement du prestataire, le préfet de l'Indre a indiqué à la CCI que les subventions devaient être remboursées. Le préfet avait obtenu gain de cause devant le tribunal administratif mais la cour administrative d'appel avait ensuite censuré cette décision au motif que les termes de la convention signée entre l'Etat et la CCI pour l'attribution de l'aide versée au titre du Feder ne subordonnaient pas le versement des subventions à une condition de régularité de la procédure de sélection du prestataire. Le juge avait également condamné le fait que les services de l'Etat ne pouvaient ignorer les conditions de recrutement de ce prestataire puisque, "préalablement à la signature de la convention, les services de l'Etat avaient été informés de ce que le prestataire de services avait été choisi avant même le lancement d'une procédure d'appel d'offres".
A l'appui de son pourvoi devant le Conseil d'Etat, le ministère de l'Intérieur soutient que la réglementation communautaire, et notamment l'article 7 du règlement CEE n° 2052/88 du Conseil du 24 juin 1988, fait obligation à l'administration de récupérer les subventions versées à des bénéficiaires qui n'ont pas respecté les règles de passation des marchés publics. La CCI a elle-même admis que cette réglementation communautaire l'obligeait à respecter les règles de passation des marchés publics. En revanche, elle conteste de manière très habile l'existence d'une base légale permettant à l'Etat de récupérer les sommes versées.
Cette remise en cause d'un fondement juridique obligeant l'Etat à récupérer l'aide versée au titre du Feder soulève donc des questions pour le moins complexes et délicates :
- Existe-t-il une disposition de droit communautaire fondant une obligation de récupération des subventions versées au titre du Feder lorsqu'un pouvoir adjudicateur bénéficiaire de subventions n'a pas respecté une ou plusieurs règles de passation des marchés publics pour la réalisation de l'action subventionnée, alors qu'il n'est pas contesté que l'action est éligible à ce fonds et qu'elle a été réalisée ?
- Si elle existe, une telle obligation vaut-elle pour tout manquement aux règles de passation des marchés publics, ou seulement pour certains d'entre eux ?
- La circonstance que l'autorité nationale compétente ne pouvait pas ignorer, au moment où elle a décidé d'accorder l'aide demandée au titre du Feder, que l'opérateur bénéficiaire avait méconnu les règles relatives à la passation des marchés publics pour recruter le prestataire est-elle de nature à avoir une incidence sur la qualification d'irrégularité ?
- Enfin, en cas de réponse positive, quel est le délai de prescription applicable aux mesures administratives destinées à récupérer une aide indûment perçue, quel est le point de départ de ce délai et quels sont les cas d'interruption de ce délai ?
Le Conseil d'Etat, insistant sur le fait que les réponses à ces questions sont déterminantes pour la solution du litige, a donc décidé de surseoir à statuer afin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).
L'Apasp
Références : Conseil d'Etat, 5 juillet 2010, chambre de commerce et d'industrie de l'Indre, n° 308615, Conseil d'Etat, 5 juillet 2010, ministre de l'Intérieur, de l'Outre-mer et des Collectivités territoriales, n° 308601