APVF - Petites villes : "Beaucoup de projets ne verront pas le jour !"
Une semaine après l'annonce du gel en valeur des dotations de l'Etat aux collectivités et en plein examen par l'Assemblée nationale du projet de réforme des collectivités, trois cents élus des petites villes étaient réunis les 27 et 28 mai à Joigny en Bourgogne pour leurs 13es Assises nationales. Ils y ont exprimé leur inquiétude et leur exaspération, malgré la présence jeudi de deux ministres, François Baroin et Michel Mercier, venus dans l'objectif de les rassurer.
Les projets du gouvernement visant à encadrer les cofinancements des régions et des départements ont été dénoncés à de multiples reprises au cours de ces assises. "La contractualisation des petites villes avec les départements et les régions dans une logique de projet a permis des avancées considérables en matière d'aménagement du territoire", a souligné Pierre Jarlier, vice-président de l'Association des petites villes de France (APVF). Mais les difficultés financières que connaissent aujourd'hui les départements – et qui, selon les élus des petites villes, pourraient s'étendre aux régions – conjuguées aux mesures législatives prises par le gouvernement risquent de remettre en cause ce que André Laignel, secrétaire général de l'Association des maires de France, a appelé les "financements de solidarité". "Ce sont des centaines, des milliers de projets qui ne verront pas le jour", a affirmé Martin Malvy, président de l'APVF, qui a cité notamment parmi les projets menacés les pôles d'excellence rurale voulus par le gouvernement. Selon les amendements du gouvernement adoptés récemment par les députés de la commission des lois, aucun projet mené par une petite ville ne pourra plus être soutenu à la fois par le département et la région. De plus, toutes les petites villes devront financer, seules, au moins 30% du projet.
Elus en colère
Une autre mesure du projet de réforme des collectivités territoriales irritant tout particulièrement les élus des petites villes est "le blanc-seing" donné aux préfets pour achever en 2012 et 2013 la carte de l'intercommunalité. Dans sa déclaration finale, l'APVF fait remarquer que "l'évolution des périmètres doit relever d'une décision majoritaire des communes concernées par le projet de périmètre, représentant la majorité de la population". Elle poursuit : "La pertinence du projet est primordiale. La taille des intercommunalités ne sera jamais un critère de performance."
Dans ce contexte de "recentralisation", les élus s'interrogent sur les pouvoirs qui leur sont encore laissés par le gouvernement et l'Etat. "C'est la fin de la souveraineté locale", a lancé Arnaud Montebourg, président du conseil général de Saône-et-Loire, qui affirme que 90% des dépenses de son département correspondent à des dépenses contraintes. Bruno Remond, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris, est venu replacer les déceptions des élus par rapport à l'histoire de la décentralisation. Au fond, les choses n'auraient pas profondément changé depuis la monarchie. Comme il y a trois siècles, l'exécutif national ne partage toujours pas son pouvoir avec les collectivités territoriales. La véritable innovation serait en effet que les collectivités soient dotées d'un pouvoir réglementaire.
"Il est temps que les élus locaux fassent entendre leur colère dans ce pays", a-t-on entendu dans la bouche d'un élu dans une salle malgré tout assez sage. "L'Etat a en face de lui des gens qui ne lui sont pas soumis, mais dont il dépend", a dit un autre, rappelant par exemple que les collectivités hébergent parfois des fonctionnaires de l'Etat.
Pour que s'améliorent les relations entre l'Etat et les collectivités locales, l'APVF demande notamment, dans sa résolution finale, que "l'Etat" cesse d'avoir des attitudes contradictoires, celles de fustiger un jour "la prétendue propension à dépenser des élus locaux" et d'inciter un autre jour à "faire encore plus dans le cadre du plan de relance".
Thomas Beurey / Projets publics, à Joigny en Bourgogne
Martin Malvy : "L'Etat continue à faire les poches des collectivités"
Pour Localtis, Martin Malvy, élu de Figeac et président de l'APVF, revient sur quelques points qui ont fait débat au cours de ces 13es Assises de l'association.
Localtis : Pourquoi dites-vous que si la réforme des collectivités reste en l'état, le préfet va se voir attribuer un "blanc-seing" pour redéfinir la carte intercommunale ?
Martin Malvy : L'APVF est favorable à l'achèvement de la carte intercommunale parce qu'il y a encore des communes isolées et des intercommunalités qui, en raison de leurs périmètres, ne répondent pas à ce qu'on peut attendre d'elles. Mais pour ce faire, les dispositifs sont conçus par le gouvernement de telle sorte qu'en 2012 ou 2013, le préfet aura compétence pour proposer un schéma départemental. Même s'il y a un désaccord majoritaire des élus, le préfet pourra imposer sa carte. Ce n'est pas acceptable. En plus, ce n'est pas performant. On ne peut pas bâtir un projet intercommunal de cette manière. Nous espérons que le débat parlementaire va améliorer la situation.
Le gouvernement veut empêcher que les villes de plus de 3.500 habitants bénéficient du soutien concomitant du département et de la région. Il affirme que cela favorise la "concurrence" entre les deux institutions, qui par ailleurs sont tentées par "la surenchère". Qu'en pensez-vous ?
Le département et la région ne font pas de la surenchère, mais conduisent des politiques d'aménagement sur l'espace qui les concerne. Avec la mesure envisagée par le gouvernement, les financements de solidarité ne seront plus possibles, et donc beaucoup de projets ne verront pas le jour. D'autant que l'Etat se désengage de plus en plus. En outre, je note que l'article prévoyant que le département et la région ne pourront plus intervenir conjointement, prévoit en même temps que par dérogation, les collectivités pourront intervenir sur des projets pilotés par l'Etat. C'est se foutre du monde ! L'Etat continue à faire les poches des collectivités.
Pour le gouvernement, le département se substituera à la région et réciproquement, de telle sorte que le montant des subventions aujourd'hui allouées aux communes ou aux associations sera maintenu.
Le gouvernement oublie que tous les départements n'ont pas les mêmes moyens. Un département comme le Gers n'a pas les mêmes ressources que des départements comme le Rhône ou la Haute-Garonne ! C'est pour cela que la région joue un rôle de solidarité en intervenant de manière plus importante quand le département a des ressources plus faibles.
En commission, les députés ont adopté un amendement affirmant que le patrimoine, la création artistique et le sport demeurent des compétences partagées entre les collectivités. Vous faisiez partie de ceux qui s'inquiétaient pour les financements de la culture et du sport. Etes-vous convaincus par l'ouverture que fait le gouvernement ?
Le gouvernement a été très secoué par la protestation des milieux culturels et sportifs. D'où cette nouvelle rédaction. Il faudra que les choses soient cependant plus claires. Qu'est-ce que signifie par exemple la "création artistique" ? L'organisation des festivals ou d'un salon du livre, ou le soutien à la diffusion, relèvent-ils de la création artistique ? Cela doit nous être confirmé.
Propos recueillis par Thomas Beurey