Monétisation du CPF, nouvelle application... la formation va-t-elle enfin décoller ?
Près de deux semaines après le lancement du site et de l'application "Mon compte formation", le Cesi a pu témoigner, le 3 décembre, de ses premiers retours. Pour cet important organisme de formation, le contact direct avec l'usager associé à la monétisation du compte personnel de formation constitue une "mini-révolution". Il faudra selon lui mieux faire connaître la nouvelle logique de "blocs de compétences". La "V2" de l'application, avec les possibilités d'abondement des comptes par les autres financeurs, constituera "une condition importante de la réussite".
Avec 200.000 téléchargements en deux jours, l’appli "Mon compte formation" lancée le 21 novembre connaît un franc succès. L’objectif à terme est que 25 millions de Français puissent s’en servir pour acheter directement leur formation, sans intermédiaire. Derrière cet outil (dont le moteur de recherche fait actuellement l’objet d’améliorations au fil de l’eau par la Caisse des Dépôts, en attendant la V2 de l’application promise au printemps), le gouvernement espère enfin voir la formation décoller en France.
Une "mini-révolution"
La création d’un droit individuel à la formation, attaché à la personne et non plus au contrat, est une vieille antienne (la Fédération de la formation professionnelle en défendait déjà le principe dans un livre blanc… en 1995). Après l’échec du droit individuel à la formation (DIF), le CPF créé en 2015 aurait pu connaître le même sort. Trop compliqué, alimenté en heures, les Français ne s’en sont pas emparés. Avec la "monétisation" du CPF prévue par la loi Avenir professionnel de 2018, on vit une "deuxième mini-révolution", a estimé Xavier Révérand directeur de Cesi École de formation des managers et Cesi École supérieure de l’alternance, lors d’un point presse, mercredi 3 décembre. Chaque compte est désormais crédité de 500 euros par an, avec un plafond de 5.000 euros (les seuils sont relevés à 800 et 8.000 euros pour les personnes faiblement qualifiées ou les handicapés, voir notre article du 21 novembre 2019). Et surtout, les utilisateurs peuvent désormais construire leur "parcours de formation" en choisissant des "modules" correspondant à leurs besoins précis et des "bloc de compétences" qui, mis bout à bout, constituent une formation certifiée.
Rôle de conseil
Le Cesi, qui regroupe 25 campus d’enseignement supérieur et de formation professionnelle, s’est emparé du nouvel outil pour y entrer toutes ses formations. Il a déjà reçu 20 demandes de contact, principalement des salariés, les deux tiers sont en période de reconversion, les autres plutôt en évolution des compétences. Six ou sept ont déjà contractualisé, deux ou trois ont été refusés car ne correspondant pas au prérequis, développe Xavier Révérand. Le Cesi a en effet fait le choix d’exiger des "prérequis systématiques", demandant par exemple à l’usager de "prendre contact" avec l’organisme de formation (d’autant que les usagers peuvent faire cinq demandes simultanées). Comme le prévoit l’application, l’organisme s’engage à apporter une réponse dans les 48 heures et à aller au bout du dossier dans un délai d’un mois. "Nous avons un rôle de conseil", souligne Vincent Cohas, directeur général du Cesi. Ce "contact direct" a amené l’organisme à renforcer son organisation : trois ou quatre personnes ont été recrutées pour répondre aux demandes dans les plus brefs délais et aiguiller l’usager. Dans chaque région, un référent CPF est chargé de prendre la suite. "On avance en marchant", concède Xavier Révérand.
Pourtant les syndicats sont très réservés sur cette individualisation qui risque, selon eux, de se traduire par une diminution des droits des salariés au sein des entreprises : celles-ci pourraient être incitées à réduire leur effort de formation puisque les salariés peuvent le faire eux-mêmes sur leur temps libre… L’application conçue comme une "place de marché" de type "Tripadvisor" avec géolocalisation et évaluation, est faite pour fluidifier les achats. Le spectre d’une "ubérisation" de la formation n’est pas loin. "Je ne crois pas du tout que les entreprises vont déserter la formation de leurs salariés", veut rassurer Vincent Cohas. Or pour le directeur général du Cesi, la montée en puissance de la mise en relation directe avec l’usager doit être vue comme une "activité complémentaire", "comme un plus par rapport à l’activité avec les entreprises". Les entreprises ont recours au plan de développement des compétences ou à la promotion par l’alternance (Pro-A) rappelle-t-il.
Blocs de compétences
Quelque 100.000 sessions de formation sont accessibles. La grosse difficulté est "comment l’usager va pouvoir manœuvrer dans cette offre de formation", soulève Xavier Révérand. "Nous avons beaucoup de difficultés à montrer la lisibilité de notre offre." Il attend aussi impatiemment la V2 avec les "abondements" des autres financeurs (employeur, Opco, collectivité, État, chambre de métiers…). Car pour l’heure, les droits ne permettent pas de couvrir le coût intégral d’une formation. Le coût moyen par formation est de 1.400 euros, 400 euros de plus que le montant moyen disponible sur chaque compte. Et il convient de savoir très vite comment mobiliser le CPF avec l’employeur (à noter qu’en théorie, le salarié peut refuser que l’entreprise utilise son CPF). "L’abondement est une condition importante de la réussite", estime Xavier Révérand.
Pour le Cesi, il faut aussi mieux faire connaître cette notion de "blocs de compétences". Très souples (ils permettent de construire son parcours par étape), ils sont encore peu connus du public. "Notre offre s’oriente de plus en plus vers les blocs de compétences", indiquent ses responsables. C’est pour eux une "tendance très lourde".
Lors du lancement de l’application, la Fédération de la formation professionnelle (FFP) indiquait que "36% des adultes français se forment chaque année, contre 53% en Allemagne". "Il faudrait former 10 millions de Français chaque année pour rattraper ce retard."