Logement - Marché de l'immobilier : les inégalités territoriales se creusent depuis la crise de 2008
Les inégalités de prix de l’immobilier entre les plus grandes villes françaises et les villes de taille intermédiaire se sont creusées depuis 2008, selon les données des notaires. Spécificité de cette dernière décennie : les prix augmentent fortement dans les grandes villes et tendent à diminuer dans les villes de taille moyenne, surtout celles qui dépendaient de bassins industriels.
Dix ans après la crise de 2008, les disparités en matière de prix de l’immobilier se sont accrues en France entre les territoires. D’après les chiffres des notaires, les principales métropoles françaises voient le niveau de leurs prix immobiliers croître significativement, alors qu’à l’inverse, les prix dans les villes de taille intermédiaire sont en recul : en prenant comme échantillon Paris, Lille, Strasbourg, Lyon, Bordeaux, Toulouse, Marseille, Nice et Nantes, le prix moyen des appartements anciens a augmenté de 20% entre le pic d’avant crise de 2008 et la fin mars 2018 (+16% hors Paris). À l’inverse, en compilant les données d’un échantillon de villes de taille plus modeste que sont Besançon, Dijon, Orléans, Amiens, Poitiers, Limoges, Metz et Clermont, le prix moyen est en recul de 11% sur 10 ans.
+8% pour les grandes villes, -14% pour les villes moyennes
La disparité des évolutions de prix est particulièrement marquée entre décembre 2011 - date du dernier pic immobilier - et mars 2018 : +8 % pour les grandes villes et -14 % pour les huit villes de taille intermédiaires de l'échantillon. Et si l’on ajoute à l’échantillon les villes de taille intermédiaire Bourges, Saint-Étienne, Nîmes et Mulhouse - pour lesquelles les données notaires ne sont pas disponibles en 2008 -, la baisse du prix moyen entre décembre 2011 et mars 2018 atteint 16%.
Sur cette période, les prix des appartements anciens ont par exemple chuté de 36% à Saint-Étienne (pour atteindre 840 euros le mètre carré aujourd’hui), de 23% à Bourges (1.180 euros du mètre carré), et de 19 % à Amiens (1.830 euros du mètre carré). Au contraire, Lyon (+20 %) et Bordeaux (+46 %) soutiennent la hausse des prix dans les grandes villes depuis 2011.
Il y a eu un avant et un après 2008
AEF a interrogé deux économistes auteurs et coordonnateurs d’un ouvrage paru en cette rentrée et intitulé "Les crises du logement "*. "Au cours des 20 dernières années, il y a un double effet d’accroissement des écarts territoriaux", observe Jean-Claude Driant, professeur à l’École d’urbanisme de Paris (EUP). D’abord, "entre 1998 et 2008, les prix ont considérablement augmenté partout, de façon quasi uniforme (ils ont été multipliés par 2 voire 2,5) sans lien avec la situation de tension des marchés, sous l’effet de la baisse des taux et de l’allongement des durées de prêt", explique-t-il. Ces "hausses uniformes en pourcentage ont accru les écarts en prix faciaux". Autrement dit, "l’écart en valeur absolue" avait déjà "considérablement crû" entre les territoires, précise-t-il.
Après 2008, les territoires détendus ne peuvent plus tenir les prix
Ensuite, "à partir de 2008, là où les marchés sont vraiment tendus, les prix ont continué à augmenter (après parfois quelques années de stabilité) alors que là où le marché est détendu, il n’est plus possible de tenir les niveaux de prix atteints en 2008 et donc ils ont baissé", analyse Jean-Claude Driant. Selon lui, "la crise a remis un peu de sens des réalités" dans les évolutions excessives de la décennie 1998-2008.
Le marché immobilier sensible à la dynamique économique locale, mais pas seulement
Naturellement, ces disparités nouvelles entre métropoles et villes moyennes tiennent en premier lieu à des disparités de développement économique. "Après la crise, nous avons assisté à une concentration des activités tertiaires de services dans les grands pôles urbains qui ont été moins touchés par la crise que les pôles industriels, dont dépendaient certaines villes moyennes", rappelle Pierre Madec, économiste à l’OFCE. Mais selon lui, les écarts de prix se seraient aussi creusés du fait de la baisse des soutiens financiers de l’État aux collectivités locales entre 2011 et 2017, qui aurait pénalisé l’investissement public local. Seules les grandes villes auraient pu résister en trouvant des sources de financements complémentaires sur les marchés financiers.
Avec "l’effet LGV", les prix des appartements anciens à Bordeaux ont encore bondi
Pierre Madec ne néglige pas non plus les effets liés à "la spéculation immobilière". "La demande crée souvent une demande supplémentaire qui anticipe des hausses de prix futures", rappelle-t-il, en citant pour exemple "l’effet LGV" à Bordeaux, où les prix des appartements anciens ont encore bondi de 17,9% sur un an à fin mars 2018. Une tendance difficile à infléchir car mis à part les locataires et les accédants à la propriété, "les propriétaires et les collectivités locales ont intérêt à ce que les prix de l’immobilier augmentent : les premiers sont intéressés par la valorisation de leur patrimoine, alors que les secondes y voient une preuve de leur attractivité et une source supplémentaire de recettes fiscales", précise Pierre Madec. Reste que ces distorsions qui en découlent posent, comme le souligne son compère Jean-Claude Driant, "un problème majeur d’aménagement du territoire et d’accroissement des inégalités d’accès au logement et de patrimoine dans notre pays".
* "Les crises du logement", PUF / Vie des idées, 2018, 116 p.