Manoëlle Martin : "Nous allons limiter la prise en charge des surcoûts liés à l'énergie dans les lycées des Hauts-de-France"
Face à la hausse des prix de l'énergie, de nombreuses collectivités réfléchissent à des solutions d'économies dans leurs établissements scolaires. Manoëlle Martin, vice-présidente chargée de l'éducation au conseil régional des Hauts-de-France, confie à Localtis ses pistes de réflexion.
Localtis : Début octobre 2022, la presse régionale des Hauts-de-France annonçait que les emplois du temps seraient modifiés dans certains lycées de votre région pour permettre des économies de chauffage. Qu'en est-il exactement ?
Manoëlle Martin- Malheureusement, nous n'avons pas la main sur les emplois du temps, ce serait trop facile. C'est bien l'Éducation nationale qui maîtrise ces emplois du temps. Nous sommes là pour trouver des solutions et accompagner les établissements scolaires autant que de besoin, et éventuellement leur rappeler les bonnes pratiques. Il n'est jamais négligeable de leur rappeler qu'il faut fermer une fenêtre quand on sort d'une pièce. Ceci dit, nous avons consulté l'ensemble des établissements de la région. J'ai rencontré les proviseurs, les syndicats et les recteurs pour essayer d'en tirer des bonnes pratiques et trouver des solutions nouvelles.
Parmi celles-ci, on a beaucoup évoqué la fermeture de classes le samedi matin, voire dès le vendredi après-midi…
Dans les lycées publics on s'est en effet posé la question du cours du samedi matin, car il y a l'internat le vendredi soir et on pourrait fermer l'établissement et baisser le chauffage – sans l'éteindre – dès le vendredi soir pour le relever le lundi matin. Quand on a commencé à évoquer cette piste, la Draaf [direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt, qui gère la vingtaine de lycées agricoles des Hauts-de France, ndlr] nous a dit qu'elle réfléchissait à aller au-delà. Car si les lycéens agricoles ont cours le vendredi après-midi, les cours se font souvent en extérieur et la question peut se poser de baisser le chauffage dans les salles de cours dès le vendredi midi.
Cette solution est-elle reproductible ailleurs ?
Non, ce ne sont que des pistes de travail pour la simple et bonne raison qu'on ne peut malheureusement pas faire de la même manière partout. Notre région regroupe 272 lycées publics, généraux, technologiques, professionnels et agricoles, et il n'y en a pas un qui se ressemble. Les bâtiments sont différents. Certains sont énergivores, d'autres non. Dans certains, on peut concentrer toutes les formations sur un bâtiment et ne pas en chauffer un deuxième. Les lycées agricoles, en proposant des cours en extérieur, peuvent concentrer différemment le chauffage des salles de classe. Chacun peut apporter une réponse différente, c'est un travail de dentelle. Il y a par exemple cinquante sept lycées généraux ouverts le samedi et trois d'entre eux m'ont dit qu'ils réfléchissaient à ne plus avoir de cours ce jour-là au retour de la Toussaint. D'autres m'ont dit qu'ils ne pouvaient pas mettre en place cette solution cette année, mais l'envisageaient pour l'an prochain. Un établissement m'a même informée que le samedi matin se tenaient les classes préparatoires, et cela sort de mon champ de compétences. Mais il existe cependant un point commun entre tous ces lycées : c'est la région qui paye leurs factures d'énergie.
Savez-vous à quelle augmentation du coût de l'énergie vous allez devoir faire face ?
Malheureusement oui. En 2021, la dotation globale de fonctionnement pour l'ensemble des lycées de la région était de 80 millions d'euros, dont 50% liés à l'énergie, soit 40 millions. En 2022, nous sommes à 62 millions d'euros liés à l'énergie, et pour 2023 nos services nous annoncent 147 millions d'euros uniquement pour les dépenses énergétiques de nos lycées.
Comment sensibilisez-vous les établissements à ces augmentations ?
Nous dialoguons avec les lycées, nous réalisons un suivi de très près, cela a toujours été notre mode de fonctionnement. Mais nous avons aussi rencontré les chauffagistes qui nous ont donné des idées que nous avons transmises aux établissements. Nous allons aussi travailler avec les écodélégués [élèves élus pour participer à la mise en œuvre du développement durable dans leurs établissements, ndlr] après les vacances de la Toussaint pour imaginer avec eux les démarches que l'on pourrait entreprendre afin de limiter les dépenses énergétiques. Dernière chose : nous avons annoncé aux établissements que nous ne prendrions pas en charge la totalité des dépenses d'énergie, que nous nous limiterions à la prise en charge de 60% des surcoûts. Ils doivent donc réaliser 40% d'économies sur les surcoûts pour pouvoir payer leur facture avec leur dotation.
Et s'ils n'y arrivent pas ?...
Nous avons une dotation initiale et une dotation complémentaire. Un établissement recevra sa dotation initiale qui tiendra compte des chiffres que je vous ai annoncés. S'il n'est pas capable de financer ses factures, il nous fera une demande de dotation complémentaire et on viendra compléter. Mais l'idée est vraiment de sensibiliser et surtout de responsabiliser tous les acteurs. Nous avons d'ailleurs demandé aux établissements de réaliser des relevés hebdomadaires de leurs consommations énergétiques pour pouvoir rectifier le tir dès qu'on verra que l'un d'entre eux est en dérive sur une semaine, sans attendre le relevé trimestriel pour se dire que la facture est très élevée et qu'on n'arrivera jamais à la payer. Nous avons aussi demandé que le chauffage ne soit pas rallumé avant le 15 octobre, et si possible de tenir jusqu'aux vacances scolaires. Cela a été suivi dans la plupart des établissements au regard de la météo clémente que nous avons eue. Le chauffage sera donc rallumé pendant les vacances pour être opérationnel à la rentrée. Nous avions tout de même déjà rallumé dans les internats et les logements des personnels logés dans les établissements selon la demande.
L'effort budgétaire pour payer les factures d'énergie pourra-t-il se faire au détriment d'autres usages de la dotation globale ?
C'est fort probable. Un établissement m'a confié qu'il avait l'habitude d'emmener les élèves à l'extérieur de l'établissement assez facilement en louant des bus et qu'aujourd'hui il regardera cette dépense à deux fois. Il n'y aura peut-être plus autant de sorties que ce qui se faisait jusqu'à maintenant. Nous avons l'obligation, de par la loi, de faire en sorte que l'établissement fonctionne. À côté de cela, nous avons des habitudes qu'il n'est pas question de remettre en cause, en accompagnant les actions éducatives pour que les jeunes puissent s'épanouir du mieux possible durant leur scolarité. Mais aura-t-on les mêmes moyens si on doit verser 147 millions d'euros en énergie ? Je n'en suis pas certaine. J'espère aussi que nous aurons de bonnes surprises, que nous trouverons de bonnes pratiques.
Allez-vous abaisser la température comme l'ont annoncé certaines collectivités ?
Nous avons demandé aux chauffagistes de se baser sur 19 degrés. Certains lycées étaient chauffés de manière plus importante, mais d'autres l'étaient moins. Nous baissons également la température dans les gymnases, sans toucher aux vestiaires, et dans les quatre lycées qui possèdent une piscine, nous allons certainement baisser la température de l'eau d'un degré. Je voudrais aussi citer les chefs de cuisine, avec lesquels j'ai échangé la semaine dernière. Ce sont des consommateurs d'énergie, notamment avec leurs fours et tout leur matériel de cuisson, avec de surcroît la problématique des achats de denrées, plus coûteuses que ce qu'elles ont été jusqu'à maintenant.
Qu'en est-il des leviers d'action sur le bâti scolaire pour permettre des économies d'énergie ?
Nous travaillons à tous les projets imaginables de panneaux photovoltaïques, de raccordements à des réseaux de chaleur quand ils existent dans les communes. Nous ne laissons aucune piste de côté. Nous devions annoncer notre plan pluriannuel d'investissements dans les établissements scolaires en septembre. Nous ne l'avons pas fait car nous avons complètement revu ce plan en priorisant les établissements qui doivent envisager des travaux afin de réaliser des économies d'énergie. Dans nos investissements, environ 60% étaient déjà liés à de la rénovation énergétique. Sans oublier tout le reste, nous allons recentrer les prochains travaux sur tout ce qui pourra améliorer les dépenses énergétiques des établissements scolaires.