L'heure de la troisième vague… et d'une "troisième voie"
Le nouveau "confinement" instauré en journée dans 16 départements ne ressemblera ni au premier ni au deuxième. Les déplacements seront limités dans l'espace mais pas dans le temps. Les commerces et rayons "non-essentiels" vont de nouveau devoir fermer. Le couvre-feu reste en vigueur partout mais recule d'une heure.
Troisième vague, nous y sommes. Jean Castex a utilisé le terme plusieurs fois ce jeudi 18 mars lors de sa conférence de presse. Et troisième confinement pour 16 départements ? Là, les choses sont un peu moins claires. Oui on reconfine, et pas seulement le weekend, dans toute l'Ile-de-France, dans les Hauts-de-France, dans deux départements normands (Seine-Maritime et Eure) et dans les Alpes-Maritimes. Sauf que ça ne ressemble ni à la mise sous cloche décidée il y a tout juste un an ni tout à fait à la demi-mesure de novembre dernier. Le Premier ministre parle d'ailleurs de… "troisième voie". Ne serait-ce que parce qu'on reste bien sur une logique territorialisée, jugée toujours "pertinente" du fait de "disparités régionales" qui restent "importantes".
Concrètement, qu'est-ce qui change à partir de ce "vendredi à minuit" dans des 16 départements ? (ou plus exactement à partir de ce samedi à 6h du matin, vu qu'entre temps, ce sont les règles du couvre-feu qui continuent de s'appliquer) Deux choses seulement en fait : l'interdiction de se déplacer au-delà d'un rayon de 10 km (hors "motifs impérieux ou professionnels", y compris de facto pour les "déplacements interrégionaux") et la fermeture des commerces ou rayons hors "biens et services de première nécessité". Et, au passage, le basculement de tous les lycées en "demi-jauge".
Certes, il faudra remplir une attestation pour sortir de chez soi. Mais celle-ci n'aura finalement de valeur que pour l'adresse. Pas pour l'horaire, puisque les sorties ne seront pas limitées dans le temps. Que ce soit en semaine ou pendant le weekend, maintenant que l'on sait que le risque de contamination est beaucoup plus faible à l'air libre qu'en lieu clos, l'idée est de laisser les Français "être à l'extérieur", "se promener, s'aérer ou faire du sport, en journée". De "freiner le virus sans nous enfermer". Parcs et jardins devraient donc théoriquement rester ouverts. Attention toutefois, des "consignes strictes" vont être données aux préfets pour "proscrire les regroupements" dans les "espaces publics". On peut donc s'attendre à des arrêtés préfectoraux ou des interventions des forces de l'ordre interdisant l'accès à certains sites trop prisés des promeneurs.
Pour le reste donc, écoles et collèges resteront ouverts comme aujourd'hui (avec même une petite ouverture côté sport : l'éducation physique et sportive des scolaires pourra reprendre normalement, et les activités sportives extra-scolaires en plein air des mineurs seront maintenues). Et tous ceux dont l'activité professionnelle n'est pas touchée par une fermeture administrative continueront à travailler. Certes, le gouvernement demande "à toutes les entreprises et administrations qui le peuvent" de pousser "au maximum" le télétravail pour le mettre en place "au moins quatre jours sur cinq" et ainsi "être vigilants" sur les risques de contamination au travail. Mais cela reste une recommandation. Et un nouveau "protocole renforcé" va être discuté s'agissant de la restauration sur le lieu de travail (rien n'a été dit en revanche sur la restauration scolaire).
Alors difficile pour l'heure de savoir dans quelle mesure cela affectera le fonctionnement des services publics. Il y a un an, on était plutôt sur le modèle d'un service minimum en termes d'accueil du public. En novembre dernier, les "guichets des services publics" avaient au contraire été invités à rester ouverts au maximum. De même, on manquait encore de précisions ce jeudi soir sur le sort de certains ERP aujourd'hui ouverts, à l'instar des bibliothèques.
Livres toujours… S'agissant des commerces, Jean Castex a précisé que les librairies et disquaires entreront dans le champ de la "première nécessité". De quoi éviter l'un des motifs de grogne les plus bruyants de l'automne dernier. Au rayon commerces culturels, les galeries d'art, non mentionnées, pourraient se sentir lésées. Le maintien des librairies n'est pas vraiment une surprise. Il était en effet en vigueur dans les départements sous "confinement weekend" dont les règles ont été définies par le décret du 26 février. En sachant que la liste contenue dans ce décret autorisait par exemple les marchands ou réparateurs d'ordinateurs et de téléphone, magasins de bricolage ou loueurs de voitures à rester ouverts. Le nouveau décret à paraître sera-t-il aussi large ? Pas de précisions non plus sur les possibilités d'ouverture de certains commerces pour le seul "click and collect" dont le deuxième confinement avait fait un large usage (souvent dans une version "collect" sans click préalable). Les restaurants pratiquant aujourd'hui la vente à emporter pourront-ils continuer ? On sait en revanche que les grandes surfaces vont de nouveau devoir condamner les rayons non-essentiels (bâcher, enrubanner, vider… cette fois en 24 heures avant l'ouverture de samedi matin). Et qu'on devra se passer de coiffeur pendant au moins un mois.
Les mesures de soutien aux secteurs économiques touchés par les fermetures dans les 16 départements concernés coûteront 1,2 milliard d'euros supplémentaires par mois, a indiqué jeudi soir le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, après la conférence de presse de Jean Castex. Sur ce 1,2 milliard, 600 millions seront destinés à compenser une partie de la perte d'activité subie par les petites entreprises et les indépendants, 400 millions serviront à couvrir le chômage partiel et 200 millions à des exonérations de charges, selon Bercy. Qui estime à 110.000, dont près de 60.000 pour la seule Ile-de-France, le nombre de commerces qui vont devoir fermer, y compris ceux qui avaient déjà dû fermer leurs portes car situés dans des centres commerciaux. |
En tout cas, le couvre-feu reste bien national. Mais avec un assouplissement pour tout le monde : dès ce weekend, ce ne sera plus 18h mais 19h. Le passage à l'heure d'été anticipé d'une semaine en somme. Là encore pour "rendre possible le fait d’être à l’extérieur" une heure de plus et non pas pour… "aller chez des amis pour y faire la fête", selon les termes de Jean Castex (toujours le syndrome de "l'effet apéro"). Donc de 6h à 19h, les habitants des 16 départements rempliront la partie "confinement" de l'attestation et, de 19h à 6h, la partie "couvre-feu" de cette même attestation (on attend la mise à jour de l'onglet confinement sur le site du ministère de l'Intérieur). Le terme de "couvrefinement" a rapidement fait son apparition jeudi soir sur Twitter...
Le sort de l'Ile-de-France était à peu près scellé depuis quelques jours, même si les modalités n'étaient pas encore connues. En cause, bien-sûr, le taux d'incidence qui a dépassé le seuil des 400 pour 100.000 habitants : 446 aujourd'hui soit une hausse "de plus de 23% en une semaine". Dans les Hauts-de-France, le seuil de 400 n'est pas encore atteint mais on s'en approche (381) et "il devrait l’être très rapidement". Quant aux deux départements normands, où les taux d'incidence sont moindres, le chef du gouvernement a justifié la décision par "une augmentation très forte et, surtout, des capacités de réanimation déjà presque totalement saturées".
Un mois, c'est "le temps qu’il nous faut pour atteindre un premier palier très important – mi-avril – dans la vaccination des plus vulnérables", a expliqué Jean Castex, sachant que le recours au vaccin AstraZeneca suspendu lundi doit reprendre dès ce vendredi après-midi, y compris chez les médecins de ville et les pharmaciens, suite aux conclusions de l'Agence européenne du médicament jugeant ce vaccin "sûr et efficace". Alors que 2,3 millions de personnes ont été vaccinées à ce jour (5,7 millions ont reçu une première injection), l'objectif reste de 10 millions de personnes vaccinées à la mi-avril (les plus de 75 ans et les plus de 50 ans à risque). Puis de 20 millions à la mi-mai (les plus de 50 ans) et de 30 millions à la mi-juin ("les deux-tiers des plus de 18 ans volontaires"). Et le Premier ministre d'en conclure : "La grande différence avec les vagues précédentes, c’est que nous avons une perspective qui s’appelle la vaccination, cette perspective change tout."