Commande publique - Les principales actualités et jurisprudences du premier semestre 2016

Le premier semestre 2016 a été marqué par la réforme du droit de la commande publique, entrée en vigueur le 1er avril. Les textes relatifs aux marchés publics et aux concessions ont parcouru un long chemin, aujourd'hui encore inachevé. Pour leur part, les juges ont statué sur des contrats sous l'empire des anciens textes, les enseignements des décisions en découlant étant toutefois à prendre en compte pour l'interprétation des nouvelles règles et la passation de futurs marchés.

A l'occasion  de la pause estivale, l'Apasp propose de revenir sur les actualités marquantes du premier semestre 2016. À l'honneur : la réforme du droit de la commande publique, entrée en vigueur le 1er avril. Les textes relatifs aux marchés publics (ordonnance du 23 juillet 2015, décret du 25 mars 2016) et aux concessions (ordonnance du 29 janvier 2016, décret du 1er février 2016) ont parcouru un long chemin, aujourd'hui encore inachevé (les liens renvoient vers nos articles).

Des textes contestés

Les ordonnances et décrets qui forment ce nouveau corpus juridique ont tout d'abord été soumis à consultation, afin de recueillir les avis et contributions des acheteurs publics ainsi que des entreprises intéressées. Toutefois, tous ne semblaient pas d'accord avec les choix opérés par le gouvernement lors de la transposition. A ce titre, l'Ordre des avocats, le Conseil national des Barreaux et la Conférence des bâtonniers avaient saisi le Conseil d'Etat d'un recours en annulation contre l'ordonnance Marchés publics.
Selon eux, la transposition opérée n'était pas correcte en ce qu'elle ne reprenait pas les exclusions de la directive 2014/24/UE. En effet, cette dernière excluait de son champ d'application "les services juridiques relatifs à la représentation d'un avocat dans une procédure devant une juridiction et au conseil lié à une procédure devant un juridiction", ce qui n'a pas été repris par l'article 14 de l'ordonnance. De plus, les autres marchés publics de services juridiques dont le montant excède 750.000 euros seraient désormais soumis à une procédure de passation adaptée.
Cependant, après que leur référé suspension a été rejeté pour défaut d'urgence, leur recours en excès de pouvoir a également fait l'objet d'un rejet.
Suivant les conclusions du rapporteur public, les Sages du Palais Royal ont estimé que si les Etats membres ne peuvent adopter des règles moins contraignantes que celles prévues dans une directive, ils peuvent néanmoins mettre en place des règles plus contraignantes tant qu'elles sont compatibles avec le droit de l'Union européenne.

L'Unspic (Union nationale des services publics industriels et commerciaux) a également saisi le Conseil d'un recours en excès de pouvoir, dirigé cette fois contre l'ordonnance Concessions. Par cette démarche, la demanderesse souhaitait s'assurer que les dispositions de l'ordonnance ne permettraient pas aux sociétés d'économies mixtes (Sem) d'échapper aux obligations de mises en concurrence par le jeu des relations de quasi-régie et des dispositions relatives aux entreprises liées. A ce jour, le Conseil d'Etat ne s'est toujours pas prononcé sur ce recours et il semble y avoir assez peu de chance pour que cela se produise compte tenu de l'avancement du processus de ratification de ce texte qui, une fois abouti, rendrait sans objet la requête de l'Unspic.
En outre, lors de la mise à jour de ses fiches techniques, la Direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy a apporté une réponse à cette question : la possibilité de présence de capitaux privés au sein de l'entité contrôlée est très limitée puisque subordonnée à une obligation légale et, à ce jour, aucune législation n'impose le choix d'une Sem pour l'exercice d'une activité.

Mise à jour de nombreuses fiches techniques par la DAJ

Dans un souci d'accompagnement des acteurs de la commande publique, la DAJ a créé et actualisé de nombreuses fiches techniques. Ces outils ont pour vocation d'expliciter la nouvelle réglementation afin de simplifier son utilisation et de favoriser les bonnes pratiques. Elles livrent aux acheteurs et aux entreprises candidates de véritables modes d'emploi, illustrés par des exemples pratiques, schémas et tableaux.
Les thèmes abordés par ces fiches sont notamment les conventions de recherche d'économies, la passation des marchés d'un montant inférieur à 25.000 euros, la résiliation unilatérale par l'administration, mais également les contrats entre personnes publiques exclus du champ d'application de la commande publique (quasi régie, coopération public-public) et les entreprises en difficultés pendant l'exécution d'un marché.
En outre, le groupe d'études des marchés (GEM) "dématérialisation des marchés publics", rattaché à Bercy, a publié un guide pratique afin d'accompagner les acheteurs dans "la mise en œuvre d'une plate-forme de dématérialisation, l'achat de certificat, d'anti-virus, de liaisons internet ou de prestations d'assistance".

Le nouveau droit de la commande publique

La réforme du droit de la commande publique a apporté son lot de nouveautés. Le décret Marchés publics, publié in extremis le 25 mars 2016, prévoit quelques évolutions, notamment en termes de publication des avis d'appel public à la concurrence, d'allotissement et de régularisation des offres.
Sur ce dernier point, l'Autorité de la concurrence a rendu un avis sur le traitement des offres non conformes en fonction du type de procédure. D'autres évolutions ont été commentées, notamment lors du Salon des maires en juin 2016 où les intervenants sont revenus sur la rupture avec la dynamique antérieure opérée par la réforme.

Consécration du Dume et bilan du MPS

Ce premier semestre 2016 a débuté par la publication du document unique de marché européen (Dume) le 6 janvier au Journal officiel de l'Union européenne (JOUE). Ce nouvel outil a pour objectif d'atténuer les lourdeurs administratives et d'encourager les candidatures des opérateurs économiques à des marchés d'autres Etats-membres. Concernant le dispositif de "marché public simplifié" (MPS), seulement 1% des marchés publics conclus en France ont utilisé cette procédure. Le chemin à parcourir semble encore long pour atteindre, conformément aux directives de l'Union européenne, un taux de dématérialisation des procédures de 100% en 2018.

Performance de l'achat et achat durable à l'honneur

Enfin, la commande publique se place désormais pleinement comme un levier de politiques publiques. C'est à ce titre que les Trophées de la commande publique, remis en juin 2016, ont récompensé les meilleures initiatives des acheteurs publics en termes de performance de l'achat public et d'achat public durable.
A ce propos, la ville de Paris a fait part des résultats de sa politique d'achats responsables. Le bilan présenté est très encourageant puisque 54% des marchés conclus par la ville comprennent des clauses ou critères sociaux/environnementaux. En outre, la question des achats équitables est amenée à se développer de plus en plus avec l'intégration des échanges "Nord-Nord", et donc avec des producteurs français, suivant la nouvelle définition du commerce équitable.

La ratification des ordonnances Marchés publics et Concessions

La ratification de ces deux textes doit s'opérer par le biais de la loi Sapin 2, actuellement en discussion au Parlement. Toutefois, quelques surprises pourraient bien survenir. En effet, les sénateurs ont adopté plusieurs amendements visant notamment à supprimer les offres variables ou encore à sanctionner pénalement l'acheteur public qui n'aura pas éliminé une offre anormalement basse.

L'Apasp

Marchés publics : les jurisprudences marquantes du 1er semestre 2016

Le premier semestre de cette année 2016 a vu l'entrée en vigueur, le 1er avril, de la nouvelle réglementation en matière de marchés publics avec l'ordonnance du 23 juillet 2015 et le décret du 25 mars 2016. Au cours des six mois écoulés, les juges ont statué sur des contrats sous l'empire des anciens textes, les enseignements des décisions en découlant étant toutefois à prendre en compte pour l'interprétation des nouvelles règles et la passation de futurs marchés.

 ⁃ Appréciation des offres et rupture de l'égalité de traitement des candidats en référé précontractuel

Les pouvoirs du juge du référé précontractuel concernant les offres des candidats à un marché public sont limités à la vérification du respect des obligations de publicité et de mise en concurrence. En effet, il ne lui appartient pas de "se prononcer sur l'appréciation portée [par l'acheteur public] sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres".
 

 ⁃ Régularisation des candidatures : conséquences devant le juge du référé contractuel

Dans cet arrêt du 24 février 2016, le Conseil d'Etat a jugé que la signature de l'acte d'engagement, par une personne non habilitée pour ce faire, n'entrainait pas l'irrégularité de la candidature si celle-ci pouvait être régularisée. En l'espèce, le Conseil d'Etat a rappelé que le défaut d'habilitation de la personne ayant signé l'acte d'engagement pour le compte de la société évincée aurait pu être régularisé au stade de la candidature. En outre, alors qu'il était loisible au pouvoir adjudicateur de s'assurer de la régularité de la candidature de la société éliminée, il ne l'a pas fait. Il ne peut donc soutenir devant le juge que la candidature était en tout état de cause irrégulière et n'affectait pas les chances de la société d'obtenir le marché.
 

 ⁃ Spécifications techniques, objet du marché et concurrence : l'arbitrage du Conseil d'Etat

Le Conseil d'Etat a tranché deux affaires dans lesquelles une candidate évincée de deux marchés de construction similaires invoquait une atteinte au principe d'égalité entre les candidats. Il a dû examiner les articles 4.2 et 4.3 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP), identiques aux deux marchés, afin de déterminer s'ils méconnaissaient l'article 6 du code des marchés publics (CMP) et le principe d'égalité entre les candidats. Selon cet article, les spécifications techniques, par leur degré de précision, ne doivent pas conduire à favoriser ou éliminer certains candidats ou produits. L'une des sociétés attributaires détenant un brevet dans la seule technique de couverture autorisée par le CCTP, c'est à ce titre que la CAA a annulé les marchés, estimant que les spécifications techniques en cause faussaient le jeu de la concurrence. Le Conseil d'Etat n'a cependant pas adopté la même position. Il a en effet estimé que les spécifications techniques contestées étaient en adéquation avec l'objet du marché.
 

Marchés publics : quelle frontière entre documents communicables et secret des affaires ?

Par une décision du 30 mars 2016, le Conseil d'Etat s'est prononcé sur la communicabilité des documents constitutifs d'un marché public. Après l'attribution d'un marché d'assurance en responsabilité civile, le directeur du centre hospitalier (CH) de Perpignan avait refusé de communiquer à un candidat évincé les documents dudit marché, et ce, même après l'avis favorable de la commission d'accès aux documents administratifs (Cada). Selon les juges du Conseil d'Etat, si certains documents pouvaient être transmis, "le bordereau unitaire des prix de l'entreprise attributaire, en ce qu'il reflète la stratégie commerciale de l'entreprise opérant dans un secteur d'activité et qu'il est susceptible, ainsi, de porter atteinte au secret commercial, n'est quant à lui, en principe, pas communicable".
 

Le Conseil d'Etat détermine le régime de la DSP provisoire

Le Conseil d'Etat a admis la possibilité de recourir à une convention provisoire pour la gestion d'un service public, sous certaines conditions. Les juges du Palais-Royal se sont trouvés en présence d'une question qualifiée d'inédite par le rapporteur public : une situation d'urgence peut-elle justifier la passation d'une délégation de service public sans mesures de publicité ? Le Conseil d'Etat a décidé de reconnaître cette possibilité "en cas d'urgence résultant de l'impossibilité soudaine dans laquelle se trouve la personne publique, indépendamment de sa volonté, de continuer à faire assurer le service par son cocontractant ou de l'assurer elle-même". La personne publique pourra alors conclure un nouveau contrat de délégation de service public sans publicité préalable mais seulement à titre provisoire et si le motif d'intérêt général qu'est la continuité du service public l'exige.
 

Prise illégale d'intérêts : un soupçon d'impartialité suffit à caractériser le délit

 Par un arrêt du 13 janvier 2016, la Cour de cassation a confirmé la condamnation, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, d'un agent public à un an d'emprisonnement avec sursis ainsi qu'à 10.000 euros d'amende pour prise illégale d'intérêts. Cette décision apporte un éclairage sur le risque pénal pesant sur les agents publics dans le cadre de la passation de marchés publics. Il s'agit d'un sujet en pleine évolution avec, outre la reconnaissance du sourcing et la possible réévaluation du délit de favoritisme, la publication le 21 avril 2016 de la loi relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.
 

Stade de Bordeaux : régularisation sous peine de résiliation

Dans cette décision du 11 mai 2016, le Conseil d'Etat a déclaré illégale la délibération du conseil municipal de Bordeaux autorisant le maire à signer un contrat de partenariat pour la construction et l'exploitation d'un nouveau stade. En effet, il a été jugé que ladite délibération avait été prise alors que les conseillers municipaux n'avaient pas une connaissance suffisante du coût prévisionnel global du contrat. La délibération a donc été annulée pour méconnaissance de l'article L 1414-10 du CGCT. Afin de sauver le contrat, les juges du Palais Royal ont enjoint à la commune de Bordeaux de régulariser la signature du contrat dans un délai de quatre mois, à défaut ledit contrat sera résilié.
 

Absence de délai pour l'exécution de travaux supplémentaires : qui ne dit mot consent !

En l'absence de réclamation sous quinze jours, une société recevant une demande de travaux supplémentaires par ordre de service est réputée accepter de les réaliser sans délai additionnel. Un avenant n'est en effet pas obligatoire dans ce cas de figure et des pénalités de retard pourront être infligées à une société ne respectant pas les délais prévus pour l'exécution des travaux. Ainsi en a jugé le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 20 juin 2016. Il devait dans cette affaire déterminer si le montant des pénalités de retard infligé aux sociétés était excessif, mais aussi, si la méthode utilisée pour la prescription des travaux supplémentaires était légale. En l'occurrence, le Conseil d'Etat a estimé que les pénalités de retard, évaluées à 26% du montant du marché, étaient inférieures aux deux tiers de ce dernier et ne pouvaient donc être regardées comme excessives.
 

L'Apasp

 

 

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