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Economie sociale - Les points les plus saillants de la future loi sur l'ESS

Définition de l'innovation sociale, droit d'information des salariés en cas de transmission, nouvel agrément "entreprise solidaire"... le sénateur Marc Daunis, rapporteur du projet de loi sur l'ESS au Sénat, dresse la liste des points de friction avant l'examen du texte.

C'est une "loi d'équilibre". A un mois de la présentation du projet de loi sur l'économie sociale et solidaire au Sénat, le rapporteur du texte, Marc Daunis, ne cache pas sa satisfaction de voir aboutir un chantier lancé depuis au moins trois ans. "La loi Hamon a fait des progrès considérables […] depuis le rapport Vercamer [de 2010, NDLR] d'où le territoire était absent", s'est-il réjoui, mardi 8 octobre, face à la presse.
Selon le sénateur socialiste des Alpes-Maritimes, qui a déjà auditionné une quarantaine de personnes, le projet de loi pose "deux fondamentaux" : "une volonté de changement d'échelle" et une "démarche inclusive" dans la définition d'entreprise de l'ESS apportée à l'article 1. Une définition large qui, au-delà des traditionnelles associations, coopératives, mutuelles et fondations, prévoit d'ajouter les entreprises commerciales qui partageraient les valeurs de l'ESS (but autre que le partage des bénéfices, gouvernance démocratique…). Seulement, "la démarche d'ouverture ne peut pas se faire avec une banalisation et une perte d'âme", estime le sénateur.

Droit d'information des salariés

Si le projet de loi a été favorablement accueilli par l'ensemble des acteurs de l'ESS qui réclamaient une loi-cadre de longue date, certains points ne font pas l'unanimité. Les organisations patronales (Medef, CGPME) sont vent debout contre le droit d'information des salariés. Une disposition qui prévoit que, pour tout projet de transmission d'entreprise saine de petite taille, les salariés soient informés au moins deux mois à l'avance (articles 11 et 12), le but étant de leur permettre de s'organiser pour reprendre la société en Scop. Le gouvernement parle de "polliniser" l'économie classique. Il s'agirait donc d'aligner les salariés des petites entreprises avec ce qui existe aujourd'hui pour les comités d'entreprises des plus grandes entreprises. Or pour les organisations patronales, cette mesure pose un problème de confidentialité. Alors que le texte ne distingue pas entre les projets de cession avec ou sans repreneur, elles craignent ainsi qu'une telle mesure fasse échouer les projets de cession en cours. "50.000 emplois minimum par an sont détruits par défaut de préparation. Il est étonnant que des gens qui sont censés défendre les entreprises se satisfassent de ces destructions", persifle Marc Daunis qui dénonce une "approche idéologique et dogmatique" du patronat. "Cette mesure met un rendez-vous obligatoire, le chef d'entreprise sait qu'il aura ce rendez-vous, il devra l'anticiper", a-t-il expliqué. Lui souhaiterait même aller plus loin et imposer un rendez-vous régulier. La question de la taille des entreprises visées (moins de 50 ou moins de 250 salariés) sera aussi un sujet de débat.
Toujours au rang des mesures visant à faciliter les reprises d'entreprises saines par les salariés, la loi instaure par ailleurs un statut de "Scop d'amorçage" : l'idée étant de permettre à des salariés minoritaires de se porter repreneurs sous forme de Scop en leur laissant un délai fixé à sept ans, le temps pour eux de devenir majoritaires au capital de la société. Les représentants de l'ESS souhaiteraient porter cette période de transition à dix ans.

Définition de l'innovation sociale

L'autre point de discussion est l'accès au financement. Un aspect très important pour des entreprises qui par, définition, ont un accès très limité au capital. Bpifrance a ouvert une ligne de 500 millions d'euros pour soutenir le secteur, avec notamment la création d'un fonds de l'innovation sociale qui sera abondé pour moitié par les régions. Mais, alors que l'avant-projet de loi Hamon donnait une définition précise de l'innovation sociale, celle-ci a été retenue dans le tamis du Conseil d'Etat. "On ne peut pas accepter que ce soit la BPI qui fixe les conditions. Je ne transigerai pas", a prévenu le sénateur.

Agrément "entreprise solidaire d'utilité sociale"

Enfin, un dernier point reste à éclaircir : le réforme de l'agrément "entreprise solidaire" prévu à l'article 7. Agrément qui permet aux entreprises de prétendre aux fonds d'épargne solidaire et à des dispositifs fiscaux ("ISF-PME" et "Madelin"). Du fait de la définition d'entreprise de l'ESS, l'agrément est amené à être élargi. Il sera transformé en agrément "entreprise solidaire d'utilité sociale". En plus d'une condition d'utilité sociale, l'entreprise devra respecter une fourchette de rémunération maximale des dirigeants assouplie par rapport à l'agrément actuel. La moyenne des sommes versées aux cinq salariés les mieux rémunérés ne devra pas dépasser sept fois le Smic (contre cinq aujourd'hui). Mais pour Marc Daunis, cette condition est encore trop large puisqu'elle permet selon lui des écarts de "1 à 31". "Je mesure la difficulté, mais la rédaction actuelle ne me satisfait pas", a-t-il expliqué. Il craint aussi que des dirigeants dont les salaires sont aujourd'hui inférieurs à ce plafond soient incités à s'augmenter.  

Eco-organismes et "greenwashing"

Dernier sujet de litige : la question des éco-organismes chargés du recyclage des déchets. L'article 49 prévoit que dans le cahier des charges de ces entreprises figurent le recours à des entreprises d'insertion et la territorialisation des emplois induits par la gestion des déchets. Outre que cette disposition est la seule ayant trait à l'insertion par l'activité économique, Marc Daunis pointe le risque d'un "greenwashing" de la part des grands groupes, type Véolia ou Suez, au détriment des petites entreprises du secteur.
Les articles du projet de loi qui concernent plus directement les collectivités sont moins sujets à polémique. Le texte définit le cadre juridique des pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), sortes de clusters de l'économie sociale (article 5) et il donne une définition de la "subvention" aux associations, afin d'en développer l'usage comme alternative à la commande publique (article 10).
Marc Daunis s'est félicité de cette "territorialisation des politiques". Mais, dans la lignée de Benoît Hamon, le ministre délégué à l'ESS, il s'est montré défavorable à un leadership de la région dans ce domaine : "La notion de chef de filat et en règle générale les compétences exclusives sont dangereuses", a-t-il souligné, rappelant que ce sont les communes et intercommunalités qui financent les associations et les départements une bonne part de l'insertion par l'activité économique.
Présenté en Conseil des ministres le 23 juillet, le texte sera examiné au Sénat à partir du 6 novembre. Il ne devrait pas arriver à l'Assemblée avant le mois d'avril 2014.

 Michel Tendil

Référence : projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire.

 

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