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Politique de la ville / Société - Les Français s'intéressent toujours aux quartiers sensibles et aux discriminations... mais différemment

Un rapport du Crédoc intitulé "Evolution du regard sur les quartiers sensibles et les discriminations entre 2009 et 2014", réalisé pour le compte de l'Acsé, constate que l'intérêt des Français pour ces deux thématiques a diminué, même si celles-ci conservent une place importante dans la hiérarchie de leurs préoccupations sociétales.

78% (84% en 2009) des Français interrogés dans le cadre du rapport que le Crédoc (1) vient de consacrer à l'"évolution du regard sur les quartiers sensibles et les discriminations entre 2009 et 2014" se disent préoccupés par la thématique des quartiers sensibles. 57% jugent que la situation de ces quartiers s'est plutôt dégradée, quand seulement 11% pensent qu'elle s'est plutôt améliorée. Dans l'ensemble, les connotations positives liées à ces quartiers (davantage de solidarité entre les habitants, associations nombreuses et dynamiques, nombreuses opportunités pour monter des projets…) sont en perte de vitesse auprès des sondés, et les connotations négatives stagnent ou sont à la hausse (trop de chômage, délinquance particulièrement présente...), entraînant une forte demande de mesures sécuritaires. 82% des Français pensent en effet que le développement de la police de proximité (75% en 2009) serait un moyen efficace pour lutter contre la situation, et 76% suggèrent (71% en 2009) des punitions plus sévères vis-à-vis des délinquants comme remède.

La nécessaire intervention de l'Etat

"Face à ce qui ressemble à un constat d'échec", relève le rapport, les Français, dans leur grande majorité (84%), souhaitent que l'Etat intervienne davantage, notamment à travers : l'aide aux élèves en difficulté scolaire (94% des sondés) ; le développement économique (aide à l'installation d'entreprises créatrices d'emplois, pour 86%) ; le développement de l'offre de loisirs, des lieux culturels, équipements sportifs (82%) ; le  développement des services publics (77%) ; la rénovation du parc immobilier (74%) ; le développement des transports en commun (73%). Les aides financières ne sont pas considérées comme des remèdes prioritaires (seuls 35% des sondés pensent que ces aides seraient efficaces, part passant à 44% parmi les sondés habitant eux-mêmes ces quartiers), et 38% estiment que la diminution du nombre de logements sociaux serait une mesure efficace pour "s'attaquer aux problèmes" de ces quarters.

Le maillon local plébiscité pour améliorer la situation

L'implication des forces vives de ces territoires est en revanche plébiscitée pour pallier les faiblesses de ces quartiers sensibles. Des quartiers touchés par un taux de chômage nettement au-dessus de la moyenne nationale (24,3% dans les ZUS (2), contre 9,9% sur le territoire national), plus encore parmi les 15-29 ans (45% en ZUS, contre une moyenne nationale de 23,1%), des quartiers où 28,8% de la population vit sous le seuil de pauvreté, contre 12% dans le reste du territoire…
Les habitants eux-mêmes sont jugés les plus à-mêmes d'améliorer la situation, pour 43% des sondés, 29% citant plus spécifiquement le rôle des parents (pour 84% des habitants des quartiers et 81% de la population générale, les parents ne surveillent pas assez leurs enfants). Viennent ensuite les associations locales, les enseignants et les éducateurs (26%), les collectivités locales (24%) et  les services sociaux (20%). Le rapport précise que les personnes sondées ayant témoigné d'une forte réceptivité à la cause des quartiers semblent miser davantage sur la responsabilisation des habitants (sur un "transfert de compétences", à l'échelle locale, vers les citoyens).

La tendance du chacun pour soi 

Si les Français demeurent préoccupés par les thèmes abordés dans le rapport, à savoir la pauvreté, l'insertion professionnelle des jeunes, les discriminations, l'insécurité, les inégalités de revenus, l'intégration des immigrés et les quartiers sensibles, le Crédoc note une nette tendance à la politique du "chacun pour soi" qu'il semble lire "en filigrane" à travers une certaine remise en cause du bien-fondé des politiques sociales.
76% des sondés estiment ainsi qu'il est parfois plus avantageux de percevoir des minima sociaux que de travailler avec un bas salaire (32% de ceux qui vient dans ces quartiers ne le pensent pas) ; 54% estiment que les pouvoirs publics font trop, et 53% pensent que le RSA incite à ne pas travailler. Par ailleurs, 37% considèrent (contre 25% en 2009) que les personnes vivant dans la pauvreté ne font pas d'efforts pour s'en sortir.

Plus on est diplômé, plus on se sent concerné  

Le rapport note que les réponses aux questions posées varient très peu entre ceux qui vivent dans ces quartiers et les autres. Les premiers portent néanmoins un regard critique sur la cohésion sociale, se disent moins heureux que les autres, sont à 35% non satisfaits par leur cadre de vie (12% pour les autres), ne se sentent pas en sécurité pour 31% (12% pour les autres), s'imposent des restrictions budgétaires sur tous les loisirs... et souhaitent à 44% que plus d'aides financières soient apportées aux habitants (35% pour les autres).  Ils sont plus nombreux également à penser que le gouvernement est le meilleur interlocuteur pour remédier aux problèmes des quartiers (16% contre 11%). Leur regard est toutefois parfois moins critique que celui de la population générale. Les habitants des quartiers estiment par exemple à 33% qu'il manque d'activités pour les jeunes, quand ceux qui n'y vivent pas sont 41% à considérer qu'il en manque.
Dans le détail, le regard des Français sur les quartiers et l'ordre des préoccupations sociétales varient considérablement en fonction des diplômes et de l'âge des sondés. Les jeunes ont globalement une image plus positive des quartiers sensibles, mais se soucient davantage de la problématique insertion professionnelle des jeunes que des autres thèmes. A l'inverse, plus on est diplômé plus on se préoccupe des discriminations, des quartiers sensibles et de l'intégration des immigrés en France.  Ainsi, les diplômés du supérieur, les cadres et hauts revenus se sentent davantage concernés, notamment par l'intégration des immigrés, que ne le sont les 60 ans et plus, professions intermédiaires, non diplômés et retraités, plus préoccupés par les inégalités de revenus et ayant pour certains un regard qui s'est durci ces cinq dernières années sur la situation des quartiers.

Etre concerné, c'est être intéressé

Le rapport confirme que les personnes vivant dans l'agglomération parisienne ou dans des villes de 100.000 habitants et plus se sentent davantage concernés par les problématiques des quartiers sensibles que les habitants de communes rurales. La problématique de l'insertion des immigrés en France, notamment, intéresse peu ou moyennement les régions métroplitaines autre que la région parisienne (région qui représente 17% des 5 millions d'immigrés résidant en France).
Le rapport relève que les opinions données varient en fonction de la situation personnelle et du bien-être des Français interrogés. Les personnes qui portent un regard sceptique sur l'avenir en général jugent la situation dans les quartiers moins positive. Et surtout, le regard sur les quartiers sensibles est plus clément quand on y vit, quand on y travaille ou bien qu'on y connaît des gens (12% des sondés déclarent y vivre ou travailler, 88% n'y vivent pas, et 41% s'y rendent parfois, 34% ont des amis ou de la famille). Autrement dit, les personnes qui ont un lien avec les quartiers en ont une meilleure image, tout simplement. 

Des discriminations augmentent, d'autres sont en baisse

Par ailleurs, 85% (88% en 2009) des Français se disent préoccupés par les discriminations qu'ils jugent importantes dans l'accès à l'emploi (75%) et dans l'accès au logement (47%). Les principales discriminations interviennent selon eux en fonction de la couleur de peau (51%, -1 point par rapport à 2009), 33% citant les discriminations en fonction du pays d'origine (+8 points), de l'orientation sexuelle (17%, +6 points). La perception des discriminations liées à un handicap ou entre femmes et hommes est par ailleurs en baisse.
Pour lutter contre ces discriminations, l'Etat doit agir en priorité dans le secteur de l'emploi (76%) et du logement (42%), jugent les sondés. Le rôle de l'école "et son message d'égalité républicaine et d'égalité" est cité pour 28% comme un secteur méritant davantage d'attention de la part des pouvoirs publics.
Là aussi, comme pour la thématique des quartiers sensibles, les sensibilités aux formes de discriminations varient en fonction de la catégorie socio-démographique et de la situation personnelle. Les jeunes (moins de 39 ans) titulaires du baccalauréat, professions intermédiaires et étudiants sont particulièrement soucieux des discriminations en fonction de la couleur de peau et de l'orientation sexuelle. Les seniors se disent préoccupés par les discriminations en fonction de l'âge, les habitants des quartiers sensibles s'inquiètent davantage des discriminations en fonction du lieu d'habitation, les personnes souffrant d'un handicap sont préoccupées par les discriminations liées aux handicaps…
Jusqu'ici rien de bien surprenant. Mais le rapport relève aussi au passage que, contrairement à ce que l'on entend assez souvent, "les Francais sont particulièrement sensibles à la question du racisme par rapport à leurs voisins européens".

Sandrine Toussaint

(1) Enquête réalisée en face à face entre décembre 2013 et janvier 2014 auprès d'un échantillon représentatif de 2003 personnes
(2) Les ZUS représentent aujourd'hui 4,7 millions de personnes, soit 7,5% de la population francaise
 

 

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