Les arrêtés couvre-feu font leur retour (médiatique)

Dans le sillage d’une décision du ministre de l’Intérieur, les arrêtés municipaux "couvre-feu" font de nouveau la Une de l’actualité. Si leur maniement n’est pas aisé, plusieurs collectivités les pratiquent avec succès depuis plusieurs années. Gérald Darmanin s'est  dit "favorable" à ces initiatives et a qualifié les maires concernés de "gens tout à fait raisonnables".

L’arrêté couvre-feu retrouve des couleurs. Cette fois, c’est le ministre de l’Intérieur lui-même qui a remis l’outil dans la lumière, en ordonnant au préfet de Guadeloupe de prendre une telle mesure dans les communes des Abymes et de Pointe-à-Pitre. 

Risque d’accoutumance à la violence et inefficacité de l’opération place nette en Guadeloupe

Un arrêté du préfet de région du 20 avril 2024 interdit ainsi, du 22 avril au 22 mai 2024, la circulation des mineurs non accompagnés d’un parent ou d’un adulte exerçant l’autorité parentale dans plusieurs quartiers de ces deux villes entre 20h00 et 5h00. Pour justifier la mesure, le préfet invoque la part des mineurs dans la délinquance locale et sa progression, les "risques graves de troubles à l’ordre public dont les mineurs sont à l’origine" ou encore "la nécessité de contribuer à la protection des mineurs contre les dangers auxquels ils sont particulièrement exposés, qui tiennent tant au risque d’être personnellement victimes d’actes de violence qu’à celui d’être mêlés, incités ou accoutumés à de tels actes". 

On relèvera au passage que le préfet excipe également du fait que "la mobilisation des forces de sécurité intérieure et les diverses interpellations réalisées, notamment à l’occasion des opérations 'Place nette', n’ont pas permis d’endiguer les phénomènes d’atteintes aux personnes et aux biens", ce qui ne manquera pas d’alimenter les débats sur l’efficacité de ce dispositif, récemment vantée par le gouvernement (v. notre article du 17 avril).

Béziers s’engouffre dans la brèche

Il n’aura pas fallu longtemps pour que le maire de Béziers suive le mouvement. Lui qui avait vu un précédent arrêté couvre-feu annulé par le Conseil d’État en 2018, au motif que sa ville ne démontrait pas "l'existence de risques particuliers relatifs aux mineurs de moins de 13 ans" (voir notre article du 15 juin 2018), a ainsi adopté dès le 22 avril dernier un arrêté municipal interdisant à tout mineur de moins de 13 ans de "circuler de 23h00 à 6h00 sur la voie publique, dans les périmètres Quartiers prioritaires de la ville figurant sur [un] plan annexé" sans être accompagné d’une personne majeure. Et ce, du 22 avril au 30 septembre. Un arrêté motivé par "les chiffres de la Chancellerie sur l’augmentation de la délinquance des mineurs", "le nombre croissant de jeunes mineurs se trouvant livrés à eux-mêmes en pleine nuit participant de ce fait aux atteintes à la tranquillité publique", la nécessité pour les autorités de protéger ces mineurs de 13 ans, "considérés comme ‘incapables de discernement’", contre tout "entrainement collectif" ou tout "effet d’aubaine" que pourraient "susciter de tels faits de violences", ou encore contre "des atteintes à leur intégrité physique et morale". Mais aussi par "l’incendie de l’école Les Tamaris à Béziers, le 31 octobre 2019, dans lequel étaient impliqués trois mineurs, ou lors des émeutes de juillet 2023 à Béziers, durant lesquelles plusieurs mineurs ont été interpellés".

Un mouvement qui fait tache d’huile

Depuis, le mouvement semble faire tache d’huile : le maire de Pennes-Mirabeau (Bouches-du-Rhône) a pris à son tour un tel arrêté le 25 avril dernier. Et le maire de Nice a prévenu le 23 avril qu’il allait également "réactiver le couvre-feu pour les mineurs de moins de 13 ans sur la période estivale de 23h00 à 6h00" à compter du 1er mai. "Comme le bon sens et la responsabilité des parents font parfois défaut et que la loi n’a pas le courage de s’en saisir, je prends mes responsabilités. Ne pas le faire serait de la non-assistance à enfance en danger", justifie Christian Estrosi. Et l’édile d’appeler le gouvernement, "qui semble vouloir prendre le sujet de la violence des mineurs à bras-le-corps", à lui "donner les moyens de faire appliquer" cet arrêté. Il demande ainsi au ministre de l’Intérieur "de donner des instructions aux préfets pour que la police nationale soit pleinement mobilisée sur le sujet et que la police municipale puisse récupérer, transporter et raccompagner ces enfants".

D’aucuns invoquent des problèmes de compétence. Les policiers municipaux ne seraient pas habilités à verbaliser "la violation des interdictions et le manquement aux obligations édictées par des décrets et arrêtés pris sur le fondement des pouvoirs de police générale des autorités compétentes qui, à la suite de troubles, réglementent la présence et la circulation des personnes en certains lieux et à certaines heures afin de prévenir la réitération d'atteintes graves à la sécurité publique". Fabien Golfier, secrétaire national de la FA-FPT interrogé par Localtis, lui, ne voit pas de difficulté en théorie – "C’est un arrêté de police municipale pris par le maire" –, mais en pratique : "La vraie difficulté, c’est de mettre tout le monde en synergie. Comment faire lorsque le mineur en question ne sera pas de la commune ?", prend-il pour exemple. On relèvera ainsi que l’arrêté du maire de Pennes-Mirabeau dispose que le mineur en infraction "pourra être reconduit à son domicile par les agents de la police nationale", alors que la commune dispose bien d’une police municipale. En revanche, l’arrêté biterrois indique qu’il "pourra être reconduit à son domicile ou au commissariat par les agents de la police nationale ou de la police municipale".

L’élu niçois entend par ailleurs "demander au parquet la possibilité de procéder à un rappel à l’ordre" aux parents en cas de violation de l’interdiction (autorisation superfétatoire – v. notre article du 17 décembre 2020), et en cas de récidive de "pouvoir les convoquer à un stage de parentalité obligatoire", en faisant également part de son souhait qu’ils "perdent les avantages que la ville met à leur disposition".

L’Exécutif donne le la

Outre l’exemple guadeloupéen, les élus locaux font valoir le récent discours du Premier ministre actant le "glissement" de certains adolescents vers "l’ultra-violence" ou le souhait présidentiel d’un prochain "Grenelle des violences des jeunes" pour y répondre (v. notre article du 18 avril). Dans le sillage des émeutes de l’été dernier, au cours desquelles les "parents défaillants" avaient été pointés du doigt (v. notre article du 12 décembre 2023), un projet de loi "concernant la façon dont on doit appréhender les mineurs qui commettent des actes de délinquance", et qui entend sanctionner les parents défaillants, a ainsi été annoncé par le garde des Sceaux. 

On relèvera que les "arrêtés couvre-feu" avaient justement pris leur envol lors des précédentes émeutes de 2005, envol que le juge avait alors parfois contrarié. Le covid les a toutefois remis au goût du jour, notamment sous l’impulsion, déjà, de l’État (v. notre article du 5 juin 2020). La solution avait également été prisée lors des émeutes de juillet dernier, avec un succès toutefois très relatif : "On n’est pas capable de le faire tenir", avouait à Localtis la maire de Chanteloup-les-Vignes (v. notre article du 30 juin 2023). Reste que de tels arrêtés sont régulièrement pris par plusieurs municipalités, semble-t-il avec succès. Comme à Cagnes-sur-Mer, où depuis un arrêté du 28 décembre 2000 les enfants de moins de 13 ans doivent être accompagnés d’un majeur du 1er avril au 31 octobre pour se déplacer entre 23h00 et 6h00 dans plusieurs quartiers de la ville. Le maire, Louis Nègre, rappelait auprès de Nice Matin que cette décision avait été prise non "pour lutter contre une quelconque délinquance. C’était uniquement une question de bon sens et de prévention". Et la ville ne manque pas de se féliciter des résultats obtenus : "Cette règle préventive est strictement respectée par les habitants, comme en témoigne l’absence d’infractions constatées par les forces de l’ordre en 2023 et les années précédentes."

Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin s'est dit "favorable" à ces initiatives et a apporté son soutien aux maires, qu'il a qualifiés de "gens tout à fait raisonnables". "J'ai entendu ce que disait le maire de Béziers. Moi, je veux dire que je soutiens ces initiatives", a-t-il déclaré sur France 3 Occitanie, jeudi 25 avril au soir. "Il faut évidemment que le tribunal administratif, s'il est saisi, puisse voir qu'il n'y ait pas d'excès de pouvoir." 

 

Le "Conseil national de la refondation de la prévention de la délinquance" officiellement lancé

Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté et de la Ville, a lancé ce 24 avril à la préfecture de Nîmes le premier "Conseil national de la refondation de la prévention de la délinquance". Cette "démarche de concertations territoriales" vise à préparer la nouvelle stratégie de prévention de la délinquance, en "identifiant des solutions adaptées et innovantes pour faire face aux nouvelles formes de délinquance". Appelée à se décliner finalement dans 31 préfectures, elle se conclura par une restitution des travaux le 23 mai prochain, lors d’un "Beauvau de la prévention de la délinquance" (v. notre article du 15 février). La secrétaire d’État a profité de ce déplacement pour signer avec la ville de Nîmes un nouveau contrat de sécurité intégrée, dont le premier avait été signé à Toulouse en 2020 (v. notre article du 9 octobre 2020).

 

 

 

 

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