Archives

Les agents publics "n'ont plus les moyens de réfléchir"

C'est en tout cas ce qu'affirme le collectif Nos Services publics dans une note listant "ce qui doit changer pour rendre au service public sa pensée stratégique".

Manque de temps, d'effectifs ou de compétences techniques : les agents publics "n'ont plus les moyens de réfléchir" sur des enjeux de long terme comme la transition écologique, alerte jeudi le collectif d'agents Nos Services publics.
Dans une note d'une dizaine de pages, le collectif identifie quatre obstacles principaux à l'existence d'une pensée stratégique dans l'administration : l'insuffisance des moyens humains, le peu d'intérêt porté aux travaux des structures publiques de réflexion existantes, le sous-financement de la recherche universitaire et la préférence accordée par le personnel politique au temps court plutôt qu'au long terme.
Sur la question des effectifs, Nos Services publics déplore en particulier la tendance à l'externalisation des missions, trois mois après les travaux de la commission d'enquête du Sénat sur le recours par l'Etat aux cabinets de conseil. "Le recours à l'externalisation (...) implique un amoindrissement des compétences techniques de la sphère publique", notamment sur les sujets environnementaux, juge le collectif. Les effectifs des principaux opérateurs contribuant à l'adaptation au changement climatique en France auraient baissé d'1,3% par an en moyenne entre 2014 et 2021, précise la note, qui reprend des statistiques du centre de réflexion Institute for Climate Economics.

L'ancienneté a pourtant du bon...

Le collectif constate que la politique de ressources humaines de l'administration valorise aujourd'hui davantage les "profils généralistes" et "les changements de postes rapides", autrement dit la mobilité professionnelle. Or "dans de nombreux domaines, l'ancienneté est nécessaire pour gagner en compétence", estime Nos Services publics.
Les auteurs de la note reconnaissent bien l'existence de diverses structures publiques de réflexion, comme les inspections générales (IGF, IGA) ou les centres de réflexion internes aux ministères (France Stratégie, Commissariat général au développement durable). Mais "ces espaces sont trop souvent inadaptés, dénigrés ou dégradés au fil des années, ce qui les empêche de remplir pleinement leur rôle", regrettent-ils. Et le travail de ces structures est souvent ignoré, puisque "commander un rapport constitue un outil de communication politique plus qu'un support à l'élaboration d'une politique publique", tacle le collectif. "Le champ du changement climatique est peut-être l'exemple le plus flagrant", ajoute-t-il.
Qu'il s'agisse du Giec ou du Haut Conseil pour le climat, "ces deux organismes ne cessent de répéter que les politiques actuelles ne sont pas alignées avec les objectifs définis et les enjeux" et "pourtant, l'action publique n'est toujours pas à la hauteur et ces rapports restent lettre morte", peut-on lire.
Pour pallier les lacunes de l'Etat, Nos Services publics prône "des moyens financiers et humains", une meilleure valorisation des compétences techniques et des structures existantes de réflexion. "Il est nécessaire de redonner à l'administration les moyens de réfléchir", conclut le collectif.

L'Etat... et les collectivités ?

Cette note est publiée un peu plus d'un mois après un volumineux rapport de France Stratégie qui constatait déjà la "difficulté structurelle" de la France à "intégrer dans l'exercice démocratique le temps long, la complexité des enjeux et leur interdépendance" (voir notre article).
La note de Nos services publics est visiblement centrée sur l'Etat. Une partie des problématiques peut toutefois concerner l'ensemble de l'action publique, y compris locale et y compris au sein de certaines collectivités. Deux des exemples cités sont d'ailleurs les témoignages d'agents territoriaux. "Dans la collectivité où je travaille, la prise de conscience de la nécessité d’accompagner les décisions techniques d’une réflexion transversale a abouti à la création d’une direction 'missions transverses' (...) mais le service est composé d’un seul agent, directeur de lui-même, [qui] se cantonne au recensement des décisions techniques de choix de logiciels", dit l'un. Tandis que l'autre explique travailler "sur la réalisation d’un grand projet de transport" pour lequel "l’évaluation environnementale a été vue comme une simple obligation réglementaire et a été expédiée de manière à sous-estimer les impacts".
En septembre dernier, le collectif avait déjà publié une vaste enquête alertant sur la "perte de sens" éprouvée au travail par les fonctionnaires et contractuels, tous versants confondus, avec plus de 4.000 répondants et de nombreux témoignages parfois assez édifiants d'agents territoriaux (voir notre article).
Nos Services publics se présente comme un collectif ayant pour principales vocations de : "constituer un lieu d’échange, de réflexion et de partage d’expériences pour reprendre conscience de nos métiers, mais aussi pour nous donner les moyens d’agir différemment" ; "décrypter les limites structurelles du fonctionnement de l’administration et des services publics" ; "prendre la parole, en tant qu’agents des services publics, sur l’orientation et la finalité des politiques publiques".

 

Pour aller plus loin

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis