Les administrations publiques invitées à se saisir du potentiel de la blockchain
De l’état civil au cadastre en passant par les marchés publics et les diplômes, un rapport parlementaire publié mi-décembre invite la France à se saisir du potentiel de simplification de la blockchain. Un domaine dans lequel il ne serait pas trop tard pour que la France affirme son leadership.
Si la blockchain est surtout connue du grand public pour sa sulfureuse crypto-monnaie, le Bitcoin, la technologie recèle un potentiel d’usage que la France aurait tort de négliger. Avec à la clef un secteur prometteur et de substantielles économies, notamment dans le secteur public. C’est en substance le message qu’ont voulu délivrer Laure de La Raudière, députée de l’Eure-et-Loir, et Jean-Michel Mis, député de la Loire, dans un rapport remis mi-décembre.
L'ubérisation des tiers de confiance
Selon la définition établie par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, la blockchain désigne "des technologies de stockage et de transmission d’informations, permettant la constitution de registres répliqués et distribués, sans organe central de contrôle, sécurisées grâce à la cryptographie, et structurées par des blocs liés les uns aux autres, à intervalles de temps réguliers". Elle est souvent comparée à une sorte de gigantesque livre de compte décentralisé où l’ensemble des écritures seraient rendues inaltérables et infalsifiables, comme gravée dans le marbre. Une technologie dont le potentiel disruptif serait immense car la blockchain remet potentiellement en cause les tiers de confiance intervenants dans des transactions ou des contrats, telles que les banques, les notaires, les assureurs ou encore… les administrations publiques.
La Suisse et l’Estonie en avance
En Suisse, le canton de Genève utilise ainsi la blockchain depuis 2017 pour assurer la certification automatique des données contenues dans le registre du commerce. Un service qui devrait être prochainement étendu à d’autres documents officiels comme les actes de naissance et de décès. La technologie utilisée (protocole Ethereum) permettrait d’assurer ce service pour un coût annuel dérisoire, estimé à 17 euros. Le canton imagine également créer un registre foncier permettant, à terme, aux parties contractantes de se passer des services d’un notaire. La Suisse n’est pas la seule à souhaiter "ubériser" son administration par la blockchain. L’Estonie est ainsi le premier pays au monde à s’être doté d’une infrastructure blockchain nationale, baptisée KSI, utilisée pour garantir l’intégrité des données personnelles stockées dans ses 170 bases de données administratives. Au Ghana, pays où près de 90 % des terres rurales ne sont pas enregistrées sur des bases de données officielles, une ONG a mis en place un cadastre utilisant ce procédé. En France, les usages administratifs restent surtout à l’état de réflexion malgré de nombreuses start-up positionnées sur ce secteur prometteur. Le Sgar Bretagne réfléchit ainsi à son utilisation pour garantir la traçabilité des aides publiques. Lorient agglomération recourt pour sa part à un registre virtuel pour certifier l’envoi des convocations aux assemblées.
Se doter d’une stratégie nationale
Le vote électronique, les réseaux électriques intelligents (smart grid), les marchés publics… la liste des services potentiellement impactés par cette technologie est loin d’être close. Aussi, considérant l’apport possible de la technologie pour les services publics et les administrations "en termes de coût, d’efficacité des ressources allouées et de simplification des démarches de l’usager", la mission invite l’État à se saisir "pleinement" du sujet en confiant à la Dinsic la mission d’établir une stratégie nationale. Une stratégie qui pourrait notamment éclairer sur le potentiel de la blockchain pour délivrer plus rapidement des titres administratifs (carte grise, dossier médical partagé, carte Vitale, K Bis, numéro Sirene, etc.), pour archiver en confiance des diplômes universitaires ou encore pour favoriser la participation citoyenne (organisation de consultations locales dématérialisées et sécurisées).
De nombreuses incertitudes à lever
Les parlementaires se gardent cependant de tout angélisme. La technologie souffrirait encore d’un manque de maturité, de failles de sécurité et son caractère "énergivore" serait un frein à son développement. Pour passer à l’échelle, la blockchain manque aussi de normes et de standards dont la définition doit se faire a minima au niveau européen. Les experts auditionnés s’accordent sur le fait qu’il faudra "dix voire vingt ans pour que la technologie arrive à maturité" et bouleverse vraiment l'économie et la société. Les rapporteurs invitent donc avant tout les pouvoirs publics à créer un cadre de régulation favorable, à développer la recherche, à structurer l’écosystème et à multiplier les expérimentations de services.