Le projet de loi Logement sous le feu des critiques
En cours d'examen au Conseil d'État, le projet de loi relatif au développement de l'offre de logements abordables a reçu des avis défavorable du Conseil national de l'habitat (CNH) et favorable du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN). Sa présentation en conseil des ministres est désormais prévue le 3 mai.
Les 15 articles du texte en cours de finalisation sur le développement de l'offre de logements abordables, connus désormais des différentes institutions et associations consultées, continuent de faire réagir. Le 24 avril, le Conseil national de l'habitat (CNH), qui regroupe des élus, des représentants de l'État, des professionnels et des usagers du secteur, a voté, assez largement, un avis défavorable sur le texte.
L'article 1er, qui prévoit la prise en compte du logement locatif intermédiaire (LLI) dans les objectifs de logement sociaux de l'article 55 de la loi SRU, est notamment rejeté par les acteurs du logement social. Ce mécanisme va "ralentir la production dans les communes en retard, c'est-à-dire là où il devrait y en avoir davantage", craint Laurent Goyard, directeur général de la Fédération des OPH. "C'est un cadeau aux villes qui ne veulent pas de ménages les plus pauvres !", tempête Manuel Domergue, directeur des études de la fondation Abbé-Pierre. L'Union sociale pour l'habitat (USH) avait, elle, prévenu qu'elle s'opposerait à tout projet "d'affaiblissement" de la loi SRU.
"La mesure envisagée doit permettre d’accompagner au mieux les communes engagées dans un rattrapage cohérent et planifié, sans qu’elles aient à craindre les effets d’une application strictement mécanique du dispositif", explique l'étude d'impact du projet de loi. Le nouveau mécanisme est limité de deux manières : d'une part, les communes pouvant intégrer le LLI dans leurs objectifs devront déjà disposer de plus de 10% de logements sociaux pour celles qui ont un objectif de 20% et de plus de 15% pour celles qui ont un objectif à 25%. 656 des 1.161 communes déficitaires seraient concernées, dont 462 en zone éligible au LLI. D'autre part, le nombre de LLI pris en compte ne pourra pas dépasser 25% de l’objectif triennal de la commune.
"Dans l’hypothèse maximaliste où toutes les communes déficitaires qui le peuvent se saisissaient pleinement de la possibilité offerte", 8.913 LLI seraient réalisés chaque année, relève l'étude d'impact qui, compte tenu du coût que cela représenterait, anticipe plutôt une substitution "partielle".
Avis favorable du CNEN
Sur cet article qui fait tant réagir, le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) s'est lui prononcé favorablement le 26 avril – comme sur le reste du texte – malgré l'opposition d'Antoine Homé, représentant de l'Association des maires de France (AMF). Pour le président du CNEN, Gilles Carrez, la mesure représente un "petit ajustement de la loi SRU" compte tenu de la "limitation très forte" de la prise en compte du LLI dans les objectifs triennaux. Interrogé par Localtis, l'ancien député rappelle d'ailleurs qu'un dispositif similaire avait été mis en œuvre en 1995, sur sa proposition, avant d'être supprimé par la loi SRU. "Le logement intermédiaire répond à un besoin en zone métropolitaine", où les écarts entre les loyers dans le social et le privé sont importants, fait-il valoir, indiquant que la problématique n'est pas la même dans les territoires où il y a peu ou pas d'écart. "Le LLI pourquoi pas, mais au bon endroit, où cela peut favoriser le parcours résidentiel", remarque Laurent Goyard.
131.000 ménages supplémentaires concernés par les surloyers
Autre sujet de crispation des acteurs du logement social : les mesures relatives aux loyers. La fondation Abbé-Pierre critique notamment la possibilité de remonter les loyers des logements anciens au plafond du neuf à la relocation (article 8). "Un plafond trop élevé pour les plus pauvres", déplore Manuel Domergue. "À part si elles restent sous plafond des aides personnalisées au logement (APL), ces hausses donneront des marges de manœuvre aux bailleurs, mais seront payées par les locataires, ce qui n'est pas facile dans un contexte d'inflation", regrette de même Laurent Goyard. "Cette mesure est dangereuse, alors que près d’un locataire sur quatre dans le parc social a été en situation d’impayés au cours des 12 derniers mois", abonde l'association Consommation, logement, cadre de vie (CLCV).
S'agissant des surloyers (article 12), qui s'appliquent aujourd'hui aux foyers qui excèdent d’au moins 20% les plafonds de ressources (sauf secteurs exemptés par les PLH ou QPV, soit près de 40% des logements), le gouvernement prévoit un déclenchement au premier euro de dépassement. "La mobilité des locataires dont les ressources sont sensiblement supérieures aux plafonds de ressources applicables à l’attribution des logements, au profit des ménages les plus modestes, constitue un enjeu majeur d’efficacité de la politique du logement social", indique l'étude d'impact. Environ 80.000 logements – soit 3% des logements situés dans les zones d'application de ce mécanisme – seraient aujourd'hui concernés. La mesure pourrait toucher environ 131.000 ménages supplémentaires. Toutefois, les modalités d’application sont renvoyées à un texte d'application dont la teneur n'est pas connue. "S'agit-il de faire entrer de nouvelles personnes dans le dispositif ou d'augmenter les surloyers ?", s'interroge Marianne Louis, directrice générale de l'USH.
Les recettes de ces surloyers sont aujourd'hui conservées à hauteur de 15% par les bailleurs et reversées à hauteur de 85% à la caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS). Le texte envisage qu'à l'avenir 50% des recettes bénéficient au bailleur concerné. "Cela conduirait donc à donner plus d'argent aux bailleurs qui logent les plus riches", relève Laurent Goyard. La Fédération des OPH réfléchit donc à un mécanisme pour mutualiser cette ressource.
"Le texte rate sa cible"
Quant à la primo-attribution au maire dans les commissions d'attribution de logements sociaux (article 2), à laquelle les associations d'élus sont plutôt favorables, elle n'a pas remporté l'adhésion des bailleurs et des associations, dont la CLCV qui s'y oppose. Manuel Domergue dénonce une mesure "clientéliste, avec un risque de discrimination" et ne comprend pas le sens du droit de véto donné au maire dans ce cadre. Laurent Goyard, lui, ne voit pas "comment cela va améliorer la production".
"Quand on parle de choc de l'offre, ce texte rate sa cible car il ne va pas permettre de produire plus de logements sociaux, observe-t-il. Il acte le désengagement de l'État du financement du logement social." "Beaucoup de mesures dépendent de textes d'application dont nous ne connaissons pas le contenu", déplore pour sa part Marianne Louis. La CLCV considère ce projet de loi comme "un assemblage hétéroclite de mesures, alliant chasse aux pauvres et aux classes moyennes, et une absence de prise en compte des véritables problèmes du secteur : le prix du foncier et le manque de volonté politique de construire". Pour Gilles Carrez, les mesures proposées sont "pratiques et opérationnelles".
Le projet de loi doit être présenté en conseil des ministres le 3 mai (et non plus le 6 ou 7 mai comme annoncé précédemment) avant un premier examen au Sénat en juin puis à l'Assemblée sans doute à la rentrée.