L’ART enjoint pour la première fois à plusieurs gestionnaires de titres de transports dématérialisés de faire de la place aux autres

L’Autorité de régulation des transports enjoint à cinq gestionnaires de titres de transports dématérialisés d’entrer en négociation avec la société Myzee Technology, qu’elle reconnaît comme fournisseur de service numérique multimodal. Dans cinq autres cas, elle rejette en revanche les demandes de cette dernière, faute de "différend caractérisé entre les parties".

L’Autorité de régulation des transports (ART) vient, pour la première fois, de rendre des décisions relatives aux services numériques multimodaux. Des décisions d’importance, puisque ces services – qui, aux termes de la loi, permettent "la vente de services de mobilité, de stationnement ou de services fournis par une centrale de réservation" – sont considérés comme l’un des facteurs clés de succès du développement des transports en commun en général, et de l’intermodalité en particulier.

Dix affaires initiées par la même requérante

Dix décisions précisément – prises le 15 octobre dernier, mais rendues publiques ce 27 novembre –, qui opposent une même société, Myzee Technology, laquelle développe l’application "Witick", à dix autorités organisatrices de la mobilité et à leurs gestionnaires de services numériques de vente de titres de transport en commun. La première accusait les seconds d’avoir refusé, tacitement ou sous couvert de raisons techniques, de conclure avec elle le contrat de délivrance prévu par la loi d'orientation des mobilités (LOM). Et partant de restreindre la libre-concurrence.

Sur le papier, la chose paraît simple : lorsque des opérateurs de MAS (mobilité par association de services, ou Maas – Mobility as a service – en anglais) agissent comme service de mise en relation, la loi dispose qu’ils peuvent, de droit, délivrer les produits tarifaires des services de mobilité du quotidien lorsque ces derniers disposent d’un service numérique de vente (le régime est différent en cas de revente – voir notre article du 9 décembre 2021). Mais, comme toujours, l’art est d’exécution. 

Une saisine irrecevable dans cinq cas, faute de "différend caractérisé"…

Dans cinq cas – qui concernent Nantes Métropole/SemitanArtois Mobilités/Transdev Artois-GohelleEurométropole de Strasbourg/CTSSaint-Étienne Métropole/Transdev Saint-Étienne et Simouv/Keolis Hainaut Valenciennois –, l’ART juge les saisines de l’opérateur irrecevables. Elle considère en effet qu’"un différend n’est pas caractérisé entre les parties" – une condition de l’intervention de l’autorité posée par le législateur –, faute pour la requérante de s’être "assurée du caractère délibéré" du silence qui lui était opposé ou d’avoir "tenté d’obtenir une réponse, même négative", à ses demandes. Une décision de l’ART prise parfois "nonobstant les observations par lesquelles [les défendeurs] ont précisé, au cours de l’instruction, ne pas vouloir donner une suite favorable aux demandes" de la société. 

… et un recours qui prospère dans cinq autres cas 

Dans les cinq autres cas en revanche (relatifs au réseau Txik Txak du syndicat des Mobilités Pays Basque-Adour, au réseau TBM de Bordeaux Métropole/Keolis Bordeaux Métropole Mobilités, au réseau Mistral de la métropole Toulon Provence Méditerranée/RATP Dev Toulon Provence Méditerranée, au réseau Fil Bleu du syndicat des mobilités de Touraine/Keolis Tours et au réseau TAO d’Orléans Métropole/Keolis Métropole Orléans), l’ART constate le différend et considère que la société requérante est bien un "fournisseur de service numérique multimodal", dès lors que son application permet la vente de services de mobilité aux usagers. En conséquence, l’Autorité enjoint, sous six mois, aux gestionnaires concernés "d’élaborer et de publier les conditions contractuelles générales et particulières (…) applicables à toute personne (…) fournissant un service numérique multimodal et souhaitant délivrer ou revendre les produits tarifaires afférents aux services" qu’ils organisent, mais aussi "de proposer à Myzee Technology d’entrer en négociation avec elle" sur la base de ces conditions. Les gestionnaires devront en outre communiquer dans les dix mois à l’ART le résultat de ces négociations et, le cas échéant, produire "toute pièce justificative en cas d’échec" de ces dernières.

Contexte parfois déjà houleux

Notons que ces événements se déroulent parfois dans un contexte déjà houleux. En particulier à Bordeaux, où la fin, effective le 1er janvier dernier, d’un contrat noué entre TBM et Myzee (aux termes duquel la société assurait la distribution des titres de TBM depuis 2019) avait eu pour conséquence d’empêcher les usagers d’utiliser le solde de leurs tickets disponibles sur l’application Witick. La situation avait conduit TBM à saisir, avec succès, le tribunal de commerce afin de contraindre la société à fournir les données nécessaires pour que le transfert vers le nouveau service puisse être effectif. 

Devant ce conflit, et mettant en doute l’interprétation de la loi par l’entreprise Myzee – à tort, donc –, la Fédération des associations d'usagers de Nouvelle-Aquitaine avait notamment fait part de sa décision, dans un communiqué du 15 janvier, "d’alerter les usagers et les réseaux du Havre, de Brive-la-Gaillarde [l’entreprise assurait par le passé la distribution des titres des réseaux de cette agglomération] et de l’Île-aux-Moines [Myzee assure la distribution des titres des navettes d’Izenah croisières] sur les pratiques de l’entreprise". Avec ou sans lien, toujours est-il que le 1ernovembre dernier, le réseau LIA de la communauté urbaine Le Havre Seine Métropole a annoncé l’arrêt du service Witick ce 1er décembre, au motif que "la situation actuelle du prestataire ne permet pas d’assurer la continuité du service".

 

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis