Education - La politique a-t-elle le sens du rythme ?
"Nous ne reculerons pas", a assuré Vincent Peillon, au 20 heures de TFI, mercredi 2 octobre. "Nous irons jusqu'au bout", avait lancé le ministre de l'Education nationale l'après-midi à l'Assemblée nationale, lors des questions au gouvernement, fort du soutien de l'Elysée où il avait eu une réunion le matin dans la foulée du Conseil des ministres.
Au sortir de cette réunion avec François Hollande, Vincent Peillon aurait tout de même concédé, selon l'AFP, la nécessité de faire quelques "efforts" : "de recrutements d'animateurs, des efforts sur l'encadrement, des efforts sur les locaux". "Il y a un temps d'adaptation", aurait-il justifié. Pour autant, il "n'envisage pas du tout" le report de la réforme. Quant à la pérennisation du fonds d'amorçage, le ministre n'est pas clair. Tout juste a-t-il lâché, au JT, à propos de la mise à disposition des 250 millions d'euros pour l'année scolaire 2013-2014, que "l'argent n'a pas été consommé, donc il est là". Il est là au moins pour l'année prochaine, peut-on en conclure. Quant à savoir s'il sera toujours uniquement réservé aux communes "pauvres" (celles éligibles à la DSU cible ou à la DSR cible)…
Des demandes de l'AMF soudain plus audibles
Ce matin-là du 2 octobre, le bureau de l'Association des maires de France se réunissait aussi pour formaliser ses demandes au gouvernement. Des demandes qui ne sont pas nouvelles, mais qui, dans le contexte actuel, risque d'être un peu plus audibles…
Toute comme à l'Association des maires ruraux de France où on estime que "reporter n'est pas la bonne solution" mais qu'il faut plutôt "s'interroger sur ce qui ne fonctionne pas, et notamment sur la question de son financement" (voir notre article ci-contre dans notre édition du jour), l'AMF ne remet pas en cause le bien-fondé de la réforme. Elle demande d'abord, et "en urgence", une réunion non pas avec le ministre de l'Education nationale, mais avec le Premier ministre (ce qu'elle a obtenu : ce sera le 9 octobre prochain). L'AMF souhaite "une remise à plat" des modalités de financement car "le coût ne peut être supporté par les communes", rappelle-t-elle, comme elle l'avait déjà fait dans un courrier, resté sans réponse, adressé le 1er août à Jean-Marc Ayrault.
Il y était dit que "cette réforme exigeait, pour éviter des inégalités dans les activités offertes aux enfants, des financements durables que n’apporte pas le fonds d’amorçage". Et c'est vrai que le fond d'amorçage n'est pas prévu pour durer plus de deux ans (et seules les communes éligibles à la DSU cible ou à la DSR cible pourront en bénéficier la deuxième année). D'autre part parce que les financements des CAF n'apparaissent aux maires ni clairs, ni satisfaisants (voir notre encadré ci-dessous "Que paieront les CAF ?"), l'AMF "exige" de la Cnaf une "véritable concertation" (*). Une concertation qui - si elle a lieu - devra se monter rapidement, la circulaire étant attendue "sous 15 jours", selon nos informations.
Qui touche 150 euros par enfant ?
Sur ce sujet du financement, le discours de Vincent Peillon ne varie pas depuis la rentrée : "au niveau national nous mettons les moyens, aux collectivités de faire des choix". "Nous avons prévu des financements, nous avons prévu la gratuité", a-t-il répété à l'Assemblée nationale, montrant ainsi qu'au jeu de la mauvaise foi il était aussi fort que les parlementaires de l'opposition. Le ministre aime en effet répéter que la réforme prévoit "150 euros par enfant dans les communes qui sont les plus pauvres", oubliant de préciser que ce cas de figure ne peut se rencontrer que pour l'année scolaire 2013-2014, que pour les communes éligibles à la DSU cible (ce qui est le cas, par exemple de Meaux, ville de Jean-François Copé) ou à la DSR cible, et seulement si la commune se conforme aux exigences de la CAF (l'obligation d'avoir signé le PEDT notamment). Localtis a demandé au ministère combien de communes recevront effectivement 150 euros par enfant... il n'a pas su répondre !
Question organisation, l'AMF juge inacceptable le calendrier serré d'élaboration du PEDT et celui du projet d’organisation de la semaine scolaire, pour les communes ayant choisi de mettre en œuvre la réforme en 2014. Car "les maires et les présidents d'EPCI concernés ont besoin d'un délai suffisant pour conduire la concertation complexe avec les enseignants, les parents, le milieu associatif et, pour les transports scolaires, avec les conseils généraux, pour aboutir à un projet de qualité, dans l'intérêt de l'enfant", rappelle l'AMF.
Le 2 octobre toujours, mais cette fois au Sénat, le groupe UMP du Sénat faisait savoir qu'il demanderait, sur son droit de tirage, la création d’une mission commune d’information sur les rythmes scolaires. "C’est notre rôle de parlementaires afin de calmer cette colère qui monte et que le gouvernement ne veut pas entendre", explique non sans provocation Jean-Claude Gaudin, président du groupe UMP.
"Des techniciens ont arrêté de travailler à la mise en place de la réforme"
Ce n'était pas de la colère mais de l'inquiétude que l'on ressentait, lors d'une rencontre entre une soixantaine de professionnels et élus à l'éducation, organisée par l'organisme WEKA, ce 1er octobre à Paris, sur le thème "La réforme des rythmes scolaires : impacts managériaux, juridiques, et financiers". Les questions d'un éventuel report de la réforme à la rentrée scolaire 2015-2016, son financement dans le temps, ses adaptations… prenaient une tournure non plus politique mais très concrète.
La question du report, par exemple, fait que, dans des communes qui avaient décidé de partir pour la rentrée 2014 "les techniciens ont arrêté de travailler à la mise en place de la réforme des rythmes scolaires", déplore Anne-Sophie Benoît, présidente de l'Andev (Association nationale des directeurs de l'Education des villes de France). "On sent les élus frileux par rapport aux municipales", témoignait un autre agent.
Il est vrai que - libre administration des collectivités oblige - la mise en œuvre de la réforme n'est pas obligatoire. "De même, une commune peut organiser moins de 3h d'activités périscolaires par semaine, et même plus de 3h si cela est cohérent avec son projet éducatif", a précisé Anne-Sophie Benoît. A la suite de quoi un "ouf !" de soulagement a traversé la salle…
Les animateurs : sujet numéro un
Mais le sujet numéro un, dans toutes les têtes des participants, demeure les animateurs : leur recrutement, leur qualification, leur organisation, la qualité de leur travail. Une question qui touche aussi bien les communes urbaines que rurales pour qui, Anne-Sophie Benoît, le dit tout de go : "c'est impossible" de mettre en œuvre la réforme. "Toutes les communes auront besoin d'animateurs au même moment, comment voulez-vous avoir de l'animation de qualité ?", interrogeait une élue francilienne.
A Grenoble, Paul Bron, adjoint au maire chargé de l'éducation et de l'université, par ailleurs vice-président du Réseau français des villes éducatrices, fait le point suivant : "pour l'instant, le marché de l'emploi ne dispose pas suffisamment de personnes qualifiées. Nous nous appuyons sur les enseignants volontaires et sur le personnel municipal compétent dont les Atsem en maternelle, et nous devons trouver de nouveaux animateurs". La chance de Grenoble, c'est son université : "nous avons engagé un partenariat avec les universités afin de pouvoir inclure un parcours salarié ou indemnisé d'étudiant dans son cursus universitaire".
Mais tout le monde n'a pas cette opportunité. Ainsi, au petit-déjeuner WEKA, un agent d'une ville de banlieue de l'ouest parisien avouait qu'à l'issue d'un recrutement de masse organisé via un speed-dating cet été, la commune avait recruté 180 animateurs, dont 80 "n'avaient pas la formation adéquate". Pour pallier au manque, "nous montons un CFA métier de l'animation", poursuit l'agent qui veut rester positif : "nous allons redonner des heures de gloire aux animateurs".
La formation apparaît effectivement comme une clé de réussite, ainsi que la valorisation des acquis de l'expérience (VAE)… et la valorisation tout court ! "Si vous ne faites pas l'articulation entre temps scolaires et temps périscolaires, la réforme ne sert pas à grand-chose", a rappelé à plusieurs reprises Georges Fotinos, un ancien du ministère de l'Education nationale, spécialiste des rythmes de l'enfant. Le secret d'un aménagement des temps scolaires réussi réside selon lui dans "la continuité éducative". Et sur ce plan-là, le chemin semble long.
"Les animateurs ne collent pas bien les gommettes"
"Ecoutez les enseignants parler des animateurs : pour eux, c'est la lie !", témoignait une élue à l'Education. "Les animateurs ne collent pas bien les gommettes", s'est un jour plaint un professeur des écoles à Anne-Sophie Benoît, en tant que directrice du service "enfance et jeunesse" à la ville de Dunkerque.
Et chacun y va de son Dasen qui, dans tel cas met de la bonne volonté, dans tel autre ferait carrément du "sabotage". Le député Jean-François Copé lui-même, dans son attaque à l'Assemblée nationale, n'a-t-il pas cru bon de caresser les enseignants dans le sens du poil en lançant à Vincent Peillon : "Vous avez humilié les enseignants en les écartant de la réforme ; ils voient aujourd'hui débarquer dans leurs classes, en dehors du temps scolaire, des intervenants non formés" ? Le coup est bien porté quand on sait que les professeurs des écoles considèrent leur classe comme un espace d'intimité difficilement partageable. "Alors même que les locaux appartiennent à la collectivité locale", aime à leur rappeler Anne-Sophie Benoît.
Il y a "une fréquente méfiance réciproque des deux acteurs éducatifs que sont les enseignants et les animateurs", a également observé Georges Fotinos qui craint que cela aboutisse, dans certaines communes, "à une semaine répartie sur neuf demi-journées 'sèches', c'est-à-dire sans prolongement péri-éducatif ou bien accolées à un projet éducatif local à l'initiative de la seule commune" (et donc destiné à échouer, insinue-t-il).
"Que l'Education nationale s'ouvre au dialogue !", réclamait un agent, ajoutant aussitôt : "ce sera plus compliqué que d'obtenir des financements". C'est dire…
Une reconnaissance à double-tranchant
"Quand on aura des financements pérennisés, une volonté politique de réussite éducative et une clarification du rôle de l'Etat, la question de la qualité de l'animation sera réglée", estime un agent d'une ville de Seine-Saint-Denis.
"Malgré les couacs, les territoires sont quand même au rendez-vous", dit la présidente de l'Andev, grâce à ce qu'elle appelle le "génie territorial". Egalement optimiste, Georges Fotinos observe que la réforme des rythmes scolaires est le signe de "la reconnaissance de la valeur éducative des collectivités locales". "Vous avez une ouverture, une reconnaissance, bien sûr elle est très récente, mais vous avez un levier avec le PEDT."
Rançon de cette reconnaissance, c'est devant la mairie d'Aubervilliers que les enseignants en grève se sont rassemblés, ce jeudi 3 octobre, en dénonçant auprès du maire, selon des propos recueillis par l'AFP, "une réforme ambitieuse mais qui n'a ni les moyens humains, ni en termes de locaux".
Valérie Liquet
(*) L'AMF demande précisément "la suspension des directives adressées par la Cnaf limitant aux trois nouvelles heures périscolaires l’application du décret du 2 août 2013 permettant d’alléger les normes d’encadrement des accueils de loisirs périscolaires et donc leur coût". Sachant que pour toutes les autres activités d'animation (centres de loisirs…), les taux d'encadrement demeurent, à savoir 1 animateur pour 10 enfants pour les enfants de moins de 6 ans (contre 1 animateur pour 14 avec le taux d'encadrement allégé permis par la Cnaf) et 1 pour 14 pour les plus de 6 ans (contre 1 pour 18 avec le taux d'encadrement allégé).
L'Association des petites villes de France (APVF) demande également que l'aide des CAF "ne soit pas limitée aux seules heures liées à la réforme", mais aussi que cette aide ne soit pas conditionnée à la signature du projet éducatif territorial (PEDT), rappelant que le PEDT est "un projet collectif qui ne dépend pas exclusivement des communes".
Que paieront les CAF ?
Localtis a demandé à la Caisse nationale des allocations familiales quelle était la participation des Caisses des allocations familiales aux communes pour la réforme des rythmes scolaires. En réponse, la Cnaf a indiqué que l'aide spécifique est de 0,50 euro par heure par enfant présent, dans la limite de 3 heures par semaine et de 36 semaines, soit 54 euros pour un enfant qui participe aux activités périscolaires 3h par semaine pendant 36 semaines. Ce montant étant un maximum, et non un forfait versé à tous, a bien précisé la Cnaf.
Par ailleurs, cette aide spécifique peut être versée aux accueils de loisirs déclarés à Jeunesse et Sports, à condition soit qu'ils soient prévus dans un PEDT, soit qu'ils appliquent les normes anciennes. Et pour bénéficier du taux d'encadrement assoupli (1 animateur pour 14 enfants de moins de 6 ans au lieu de 1 pour 10 ; 1 animateur pour 18 enfants de plus de 6 ans au lieu de 1 pour 14), il faut impérativement avoir signé un PEDT. A noter que ce taux d'encadrement assoupli est institué de manière expérimentale sur trois ans.
VL