La nouvelle PAC lave seulement un tout petit peu plus vert, juge la Cour des comptes européenne

Dans un nouveau rapport spécial, la Cour des comptes européenne estime que la nouvelle politique agricole commune, certes "un peu plus verte", n’est toujours pas à la hauteur des ambitions environnementale et climatique de l’UE. La faute, pour l’essentiel, à des États membres qu’elle juge trop timorés.

 

Un vert légèrement plus soutenu, mais toujours trop clair. Davantage vert d’eau que vert menthe, en somme. Tel est en substance le regard que porte la Cour des comptes européenne sur la nouvelle politique agricole commune (PAC 2023-2027), dans un rapport spécial qu’elle vient de dévoiler portant sur la contribution de cette politique aux ambitions environnementale et climatique de l’UE. Et ce, alors que la protection de l’environnement constitue l’un des objectifs de la PAC, avec la garantie de la sécurité alimentaire, celle des moyens de subsistance des zones rurales et une aide au revenu équitable pour les agriculteurs, rappelle la Cour. 

Une architecture globale plus ambitieuse…

Certes, les magistrats luxembourgeois estiment que la nouvelle PAC est plus ambitieuse que la précédente en matière environnementale et climatique. Plaident notamment en ce sens les introductions d’un nouveau système de conditionnalité, étendu et renforcé, et des éco-régimes, ainsi que l’affirmation des mesures de développement rural récompensant les pratiques bénéfiques pour le climat et l’environnement, ou encore de l’obligation de consacrer au moins 35% du Feader à des interventions bénéficiant à l’environnement, au climat ou au bien-être animal. Elle aurait toutefois pu l’être davantage encore à leurs yeux, puisqu’ils observent que les objectifs du pacte vert (et de ses différentes déclinaisons, dont les stratégies Biodiversité et De la ferme à la fourchette ou la loi sur le climat de 2021), pourtant connus, n’ont pas été intégrés dans cette nouvelle législation, "sauf dans le cas de l’agriculture biologique" (sans pour autant convaincre la Cour – v. notre article du 24 septembre). "La réalisation des objectifs du pacte vert dépend dans une large mesure des actions planifiées en dehors de la PAC", est-il noté. De même relèvent-ils que cette nouvelle mouture de la PAC "manque de clarté" : elle n’a "pas fixé de critères pour mesurer l’ambition écologique" et les indicateurs, quand ils existent, "ciblent davantage les réalisations que les résultats".

… insuffisamment exploitée par les plans nationaux

Surtout, la Cour déplore que cette ambition initiale se soit perdue dans la déclinaison de cette architecture dans les plans stratégiques décidés par les États membres : "Les plans définitifs ne témoignent pas d’une hausse substantielle des ambitions écologiques", juge-t-elle. Et ce, pour deux raisons. D’une part, parce que "les États membres se sont servis de dispositions du règlement [PAC] pour réduire l’applicabilité de certaines exigences ou pour retarder leur application". La Cour constate ainsi que "tous les États membres ont recours à des dérogations aux normes relatives aux bonnes conditions agricoles et environnementales". D’autre part, parce qu’ils disposaient "d’une certaine marge de manœuvre" pour définir certaines de ces exigences. Elle observe ainsi qu’en France, "les éco-régimes consistaient essentiellement à poursuivre les pratiques écologiques existantes", en prenant appui sur une étude récente selon laquelle "99,9% des agriculteurs français pouvaient recevoir un paiement sans devoir modifier leurs pratiques". "Certaines pratiques agricoles essentielles pour les objectifs du pacte vert n’ont pas été suffisamment prises en compte", ajoute la Cour, évoquant par exemple l’agroforesterie, en relevant au passage que la superficie couverte par cette dernière est inconnue en France. De même constate-t-elle que "bon nombre d’interventions du Feader sont semblables à celles de la période précédente".

Absence d’indicateurs

Au-delà, la Cour observe que "d’importants indicateurs de résultat font défaut dans certains plans". Pour ne pas dire dans tous. La Cour relève ainsi sur les 24 indicateurs de résultat concernant l’environnement et le climat prévus par la PAC, seuls 9 d’entre eux ont été sélectionnés par tous les États membres. Elle constate, "à titre d’exemple", que la France n’a pas prévu l’indicateur R.13 visant la réduction des émissions du secteur de l’élevage. Pis, elle note que parmi les 13 indicateurs obligatoires pour l’examen de la performance réalisé par la Commission, "7 seulement ont été sélectionnés par tous les États membres".

Un processus défaillant

Un résultat obtenu en dépit des observations formulées par la Commission aux États membres sur le contenu de leurs plans, auxquelles ces derniers se sont contentés de répondre "souvent sans modifier leurs plans", note la Cour. Une analyse à nuancer toutefois, puisque la Cour observe elle-même que les 4 membres audités – dont la France – ont tous apporté les corrections nécessaires lorsque leur plan ne respectait pas les règles. Plus encore, ils ont même "donné suite, intégralement ou dans une large mesure, à 57% des observations de la Commission qui allaient au-delà des exigences légales" (cas de la France qui a par exemple augmenté les paiements en faveur de l’agriculture biologique dans le cadre de l’éco-régime, note la Cour), ou les ont suivies en partie dans 8% des cas. Reste effectivement que, dans 35% des cas, les États membres ont maintenu pour l’essentiel leur proposition initiale. C’est le cas de la France (voir notre article du 2 mai 2022), notamment "vivement encouragée" par la Commission à augmenter le financement du Feader en faveur de l’environnement et du climat, mais qui n’a apporté qu’ "un changement négligeable", prend encore exemple la Cour. Un risque qui était toutefois connu, puisque la nouvelle PAC prévoyait un renforcement de la subsidiarité (parmi d’autres, la députée Anne Sander avait notamment alerté sur le risque d’une "renationalisation" de la PAC). Sans compter, par ailleurs, l’impossibilité matérielle pour les États membres de relancer dans l’urgence une refonte de leur plan dont l’établissement avait souvent nécessité de longues et difficiles négociations entre les différentes parties prenantes (voir notre article du 18 juillet 2022), compte tenu de la "nécessité d’approuver les plans le plus rapidement possible".

Ambitions trop faibles, mais trop hautes ?

Sur le fond, dans son analyse d’impact de la nouvelle législation, la Commission avait estimé que la nouvelle PAC entrainerait une baisse de revenus des agriculteurs de 5% à 10%, ce qui n’avait sans doute pas incité les États membres à se faire plus ambitieux. D’ailleurs, comme l’observe la Cour, la Commission a depuis elle-même proposé, certes contrainte et forcée, "un règlement de l’UE qui assouplit certaines exigences en matière de conditionnalité" – ou retiré un règlement Pesticides il est vrai déjà à l’arrêt. Les recommandations de la Cour formulées au terme de son rapport pourraient d’ailleurs paraître prudentes : promouvoir les échanges de bonnes pratiques écologiques dans les éco-régimes ; estimer la contribution de la PAC aux objectifs du pacte vert et renforcer le cadre de suivi de la PAC en matière climatique et environnementale. Mais il est vrai que la "colère agricole", la guerre en Ukraine ou encore la montée de l’euroscepticisme dans les territoires ruraux font de la relance du pacte vert à un exercice à haut risque. La présidente de la Commission y semble néanmoins déterminée, récemment poussée en ce sens par le "groupe de dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture de l’UE" qu’elle avait elle-même mis en place. Un exercice d’autant plus à haut risque que la situation budgétaire européenne risque de mettre fortement à l’épreuve la future nouvelle PAC, comme relevé lors du dernier congrès de Régions de France.