Secours - La gratuité des secours à nouveau sur la sellette
Le principe de la gratuité des secours qui remonte au XVIIIe siècle est remis en cause à intervalles réguliers. La dernière tentative en date est une proposition de loi des députés UMP, déposée le 10 octobre 2013. Le texte qui vise à "encadrer le principe de gratuité des secours en cas d'imprudence caractérisée des personnes secourues" fait actuellement beaucoup de bruit dans le milieu de la montagne. A l'origine de ce texte : l'affaire des "faux disparus" d'Aiguine, dans le Var, qui a fait couler beaucoup d'encre au mois d'août 2013. Il s'agit de deux couples partis faire une sortie en canoë dans les gorges du Verdon et qui, après un chavirage, laissèrent l'embarcation sur place, et rentrèrent chez eux sans prévenir quiconque, prenant soin d'emporter avec eux pagaies et gilets de sauvetage. Tout un dispositif de secours fut mobilisé pendant trois jours pour tenter de les retrouver, moyennant la modique somme de 65.000 euros. Sans aucune possibilité de réparation pour la collectivité.
Pour remédier à ce genre de dérives, la proposition de loi UMP prévoit de modifier à la fois le Code de la sécurité intérieure et le Code général des collectivités territoriales pour permettre à l'Etat, au Sdis et à la commune de demander aux personnes secourues le remboursement des frais engagés à l'occasion d'opérations de secours consécutives à leur "imprudence caractérisée".
Dans la foulée, le comité de massif des Alpes a adopté une motion le 27 janvier 2014 pour affirmer son attachement au maintien du principe de gratuité du secours en montagne et demander que les projets et réflexions actuelles sur le sujet du secours en montagne soient portés pour avis au Conseil national de la montagne.
Intérêts comptables
Dans une note de février, l'Institut français de sécurité civile (Ifrasec) a également rebondi sur le sujet, pour dénoncer une fausse bonne idée, masquant des intérêts purement comptables. La note signée du professeur de droit Jean Viret indique que la proposition de loi ignore tout à la fois les fondements du principe de gratuité des secours - notamment la solidarité - et les exceptions qui lui sont apportées. Elle rappelle tout d'abord que le principe de gratuité ne s'applique qu'aux situations d'urgence et qu'il souffre trois exceptions : les interventions sur les sociétés d'autoroutes (l'intervention du Sdis est alors prise en charge par la société concessionnaire), en milieu aquatique sur site classé ou en ce qui concerne les accidents de ski. La loi de démocratie de proximité du 27 février 2002 a en effet permis aux communes de se faire rembourser les frais engagés à l'occasion d'opérations de secours consécutives à la pratique de "toute activité sportive ou de loisirs". "Dans la pratique, cette disposition ne s'applique qu'à des accidents de ski pour lesquels interviennent les personnels du gestionnaire du domaine skiable sous l'autorité de police du maire", précise la note. De plus, lorsqu'il n'y a pas urgence, le principe de gratuité n'a pas à s'appliquer.
Effets pervers
L'Ifrasec dénonce la précipitation des députés à vouloir légiférer dans ce domaine. Il juge la proposition de loi "inappropriée et inopportune". "Ce qui peut être reproché aux faux disparus du Verdon, c'est leur désinvolture et leur incivisme (…) Pour autant, aucune imprudence ne peut leur être reprochée", souligne le professeur, alors que les députés se fondent sur ce chef. Il fait valoir que la plupart des accidents sont dus à l'imprudence et qu'il sera difficile de déterminer ce qu'est une "imprudence caractérisée". Il met également en avant les effets pervers d'une telle mesure qui risque de conduire les personnes en difficultés à ne déclencher les secours qu'à la dernière extrémité. Enfin, dernier écueil : le risque d'inégalité d'un département à l'autre, puisque chaque Sdis serait amené à déterminer les conditions du remboursement.
Mais surtout, le professeur estime que derrière la notion d'imprudence se cache à la volonté de remettre en cause purement et simplement le principe de gratuité. "Il s'agit ni plus ni moins que de refaire payer un service déjà financé par l'impôt", s'insurge-t-il. Il en veut pour preuve la possibilité donnée par les députés à l'administration de se retourner vers les ayants droit en cas de décès de la personne imprudente. Ce qui n'enlève rien aux dérives constatées dans le déclenchement des secours, facilitées notamment par l'utilisation du téléphone portable. La note avance une autre piste : celle d'une "infraction pénale sanctionnant une imprudence délibérée ayant provoquée l'intervention des secours".
Michel Tendil
Référence : proposition de loi visant à encadrer le principe de gratuité des secours en cas d'imprudence caractérisée des personnes secourues.