La fibre pour tous ou l'ambition manquante
Forts des bons chiffres de la fibre, les acteurs des réseaux d'initiative publique s'interrogent désormais sur l'échéance de 2025, à savoir la fibre pour tous. Au-delà de la question du mode opératoire – Amel ou pas – c'est un manque de vision politique qui a été pointé du doigt.
Réunis les 17 et 18 septembre à Lille pour leur université du THD, les acteurs des réseaux d'initiative publique (RIP) ne se sont pas privés de se féliciter des bons chiffres de la fibre publiés par l'Arcep la semaine dernière (voir notre article du 9 septembre). "Nous sommes certains d'atteindre le seuil des 4 millions de prises annuelles", a claironné le président d'Infranum, Étienne Dugas. Autrement dit, l'objectif gouvernemental de 2022 des 80% de foyers fibrés devrait être atteint. De bons résultats (+40% en 4 ans dans le secteur des infras télécoms) dont l'Arcep se sent en partie responsable avec une stratégie de régulation que les Européens nous envieraient. Le président de l'Arcep, Sébastien Soriano, a aussi noté que, surtout "l'intérêt des consommateurs est bien au rendez-vous comme le montre l'augmentation continue des abonnements. Or, ce n'était pas gagné car rappelez-vous que pour le câble, on n'a jamais réussi à dépasser 15% de taux de pénétration". Mais si la dynamique est là il ne faudrait pas se réjouir trop tôt a-t-il mis en garde car "la pente de la courbe ne nous garantit pas encore l'atteinte des objectifs fixés." En ligne de mire, les zones "appel à manifestation d'intention d'investissement" (Amii) de SFR et d'Orange, la complétude des déploiements en zone dense mais aussi certains RIP qui "ont aussi vocation à être contrôlés par le régulateur".
Au-delà des Amel, la nécessité d'une vision
Les regards se tournent désormais sur le reste à couvrir, les 20% de la population qui ne seront pas fibrés en 2022. "L'enjeu est moins financier - il ne s'agit que de 600 millions d'euros selon nos calculs - que politique", ont estimé d'un commun accord les présidents de l'Avicca et d'Infranum. "Si en 2025 tout le monde n'a pas la fibre, cela fera comme pour le mobile : on a beau avoir 98% de la population couverte, les gens ne regardent que les endroits où ça ne passe pas", a souligné Patrick Chaize, le président de l'Avicca. Or l'accès au THD est désormais un service essentiel, indispensable au fonctionnement de la plupart des autres services. Par ailleurs, miser sur les opérateurs privés pour achever la couverture du territoire serait une erreur. La procédure des appels à manifestation d'engagements locaux (Amel) reste ouverte, a confirmé le secrétaire d'État Julien Denormandie, la réouverture du guichet étant toujours en suspens. "Avec les Amel, les collectivités n'ont pas la propriété des infrastructures alors qu'elles possèdent les routes, les réseaux d'eau et d'électricité. Par ailleurs, il ne faut pas se méprendre, elles devront in fine mettre la main à la poche car les opérateurs privilégieront la rentabilité et n'iront pas partout" a mis en garde Patrick Chaize, par ailleurs sénateur de l'Ain. Le parlementaire ne s'avoue cependant pas vaincu : il entend bien profiter de la loi de finances pour faire passer au forceps l'abondement du guichet THD et ainsi "laisser le choix aux territoires" sur le mode de financement de la complétude. De son côté, le président de l'Arcep a insisté sur la nécessité d'une "vision globale" sur les infrastructures numériques à moyen terme. "Cette vision n'est pas claire aujourd'hui", a-t-il déclaré à l'adresse des élus. Celle-ci concerne autant le "gigabit pour tous" promis par l'Europe que la bascule du cuivre vers la fibre, l'internet des objets ou encore l'articulation entre la fibre, le mobile et la TNT.
La QPC, une menace pour le plan THD
Les intervenants étaient aussi attendus sur la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) d'Orange mettant en cause le pouvoir de sanction de l'Arcep (voir notre article du 5 septembre 2019). "Si l'autorité perd son pouvoir de sanction, c'est l'ensemble de la stratégie THD du gouvernement qui s'effondre", a souligné Patrick Chaize. Car en effet Amii, Amel et new deal mobile ont pour point commun de reposer sur des engagements, l'article L33-13 du code des postes et des communication prévoyant des sanctions s'ils ne sont pas respectés. Et de noter au passage qu'en tant que sénateur il avait fait des propositions concrètes pour consolider l'assise juridique de ce texte… Sébastien Soriano a insisté pour sa part sur son ouverture au "dialogue avec tous les opérateurs" et n'a pas souhaité en rajouter dans une polémique qui a singulièrement enflé ces derniers jours avec la publication d'une déclaration du collège de l'Arcep défendant la neutralité du bâton du régulateur et la réponse du PDG d'Orange dans les Échos dans laquelle Stéphane Richard se pose en victime de l'acharnement de l'Arcep… Le président de l'autorité a aussi rappelé que les sanctions – de 3 à 5% du chiffre d'affaires de l'opérateur - n'étaient pas la seule modalité possible de la régulation. Les parlementaires, qui ne manquent jamais de réclamer à l'Arcep davantage de contrôles sur les engagements des opérateurs, pourraient en effet opter pour des options plus radicales telles que la séparation fonctionnelle des activités réseaux et services de l'opérateur historique. À bon entendeur…