La convention des Intercommunalités ébranlée par le drame d'Arras
Consacrée aux "transitions", la 33e convention des Intercommunalités de France s’est achevée ce vendredi 13 octobre, à Orléans, sans l’allocution de la Première ministre, celle-ci ayant dû annuler sa visite en raison de l’attaque au couteau commise à Arras. Les élus intercommunaux ont rendu hommage aux victimes et appelé à l’unité du pays. Au cours de cette convention, ils ont toutefois pu faire passer leurs messages - notamment à l’attention des ministres présents - par exemple s’agissant de la décentralisation de la politique de l’habitat, du transfert de la compétence eau ou des mobilités.
Clôture inédite pour la 33e convention des Intercommunalités de France, qui a réuni 2.000 élus et leurs collaborateurs du 11 au 13 octobre, à Orléans. À quelques minutes de son arrivée au centre des congrès flambant neuf du chef-lieu du Loiret, la Première ministre a décidé, en accord avec le président de l'association, Sébastien Martin - avec lequel elle s’est entretenue au téléphone -, de faire demi-tour, actualité oblige.
Un jeune d’origine tchéchène venait de commettre une attaque au couteau dans un lycée d’Arras, causant le décès d’un professeur et blessant grièvement plusieurs autres personnes. Des victimes auxquelles les élus intercommunaux ont adressé leurs pensées, au cours d’une minute de silence. "Il est de notre rôle à nous élus de redire que nous sommes du côté des enseignants, que nous sommes du côté des victimes, bien évidemment, et que nous serons toujours du côté de la République", a déclaré Sébastien Martin. Le président - réélu au cours de cette convention - d'Intercommunalités de France a appelé à "l’unité", "la coopération", le "savoir vivre ensemble" et "le faire ensemble". Il a appelé ses pairs à rester "des faiseurs d’union, des faiseurs d’unité, tout en étant aussi des faiseurs d’action". "Nos concitoyens auront encore plus besoin de votre sens de l’apaisement", leur a-t-il glissé. Pour finir, les élus intercommunaux ont chanté l’hymne national.
Compétences intercommunales : habitat, eau...
En l’absence de la Première ministre, les élus intercommunaux ont été privés de la traditionnelle séquence finale de dialogue avec le gouvernement, qui scande d’ordinaire leur rassemblement annuel. A l’allocution du président des Intercommunalités de France devait succéder - et répondre - celle d’Elisabeth Borne.
La Première ministre devait notamment évoquer le lancement de la concertation qui va débuter avec les associations d’élus locaux sur la décentralisation de la politique du logement afin d'aboutir à un projet de loi d'ici la fin du premier semestre 2024. Et esquisser les principes devant guider les transferts de compétences pouvant être envisagés dans ce cadre. Un certain nombre de "blocs" se dessinent et seront à discuter avec les associations d'élus : logement social, régulation du marché, zonages, habitat dégradé, régulation du foncier... Des éléments allant en partie dans le sens des desiderata d'Intercommunalités de France. "Le meilleur est à venir demain avec la Première ministre", avait d’ailleurs promis jeudi matin Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, à l’issue de son allocution à la tribune.
Faute de pouvoir détailler de nouvelles mesures, l’ancien président d’Angers métropole avait assuré que le gouvernement "veut s’appuyer" sur les intercommunalités pour mener à bien la planification écologique. Une reconnaissance qui était très attendue de ses interlocuteurs. Le ministre a aussi rassuré ces derniers sur la volonté gouvernementale de faire de l’intercommunalité l’échelon où s’exerce la compétence eau de manière obligatoire à partir de 2026, et ce malgré les velléités du Sénat de rendre cette compétence optionnelle. Il a toutefois admis que "là où il peut y avoir des situations géographiques qui le justifient - des bassins, des tailles de territoires qui peuvent être particulières -, des solutions qui seraient supra-communales, pluri-communales sans être totalement intercommunales", puissent exister.
Prise de compétence mobilités : "rouvrir la fenêtre"
"Nous sommes l’échelle des solutions. (…) L’intercommunalité est une chance pour les transitions, pour qu’elles soient menées avec justice et démocratie", avait estimé Sébastien Martin juste avant. En dévoilant certaines des revendications de l’association. Notamment donc en matière de logement.
Il est "logique" que la politique de l’habitat soit décentralisée. "Les réponses ne peuvent être que territorialisées", avait ainsi plaidé le président du Grand Chalon. L’échelle intercommunale lui semble être la meilleure pour l’exercice de cette compétence. Selon lui toutefois, les départements devraient intervenir lorsque "les communautés de communes ne souhaitent pas s’engager en la matière". Un scénario potentiellement assez proche de celui que le gouvernement pourrait être amené à privilégier : faire des intercommunalités un acteur central de l'habitat en tant qu'autorités organisatrices de l'habitat (AOH), en tout cas en milieu urbain, mais ne pas exclure, sur certains territoires, de confier ce rôle aux départements.
Des transferts à venir concernant l’habitat, Intercommunalités de France attend qu’ils concernent en particulier les moyens de la rénovation énergétique de l’habitat. Selon nos informations, en l’état de la réflexion, si Matignon n'exclut pas de décentraliser les missions liées à l'accompagnement, il plaiderait plutôt pour la stabilité de MaPrimeRénov’ en tant que dispositif géré par l’Anah.
Autre demande des Intercommunalités de France : l’ouverture par "la loi" d’un nouveau "round" d’un an, pendant lequel les communautés pourraient solliciter la prise de compétence de l’organisation des mobilités (voir notre article dédié de ce jour). Selon l’association, de nombreuses intercommunalités n’ont pu faire acte de candidature dans le contexte sanitaire où était ouverte la première fenêtre, en 2021. À l’époque, il y a eu aussi "des encouragements amicaux" de la part des régions, pour que les communautés ne prennent pas la compétence, a estimé Sébastien Martin devant la presse.
Indispensable visibilité sur les ressources financières
Dotées de compétences qui touchent le quotidien des Français (déplacements, habitat, déchets, énergie…), les intercommunalités veulent être aux avant-postes de la transition énergétique. Un enjeu immense et urgent, comme l’ont compris les Français : selon un sondage Ifop pour Intercommunalités de France (1.507 personnes interviewées en ligne début septembre), 85% d’entre eux considèrent que "l’adaptation au changement climatique doit être une priorité". Pour 34%, l’Europe est "l’échelle territoriale la plus adaptée et la plus pertinente" pour agir en ce qui concerne les transitions écologique et énergétique. Viennent derrière : la France (31%), et, enfin, l’intercommunalité (10%), à égalité avec la région. 9% citent le département et 6% la commune (voir notre article de ce jour dédié à cette étude).
Reste que les intercommunalités n’ont pas toutes les moyens de leur ambition. Plus de la moitié (54%) d’un panel de 204 présidents d’intercommunalité interrogés par Intercommunalités de France jugent que le doublement des investissements verts, rendu nécessaire par les objectifs climatiques de la France, sera "difficilement atteignable" ou "inatteignable". Parmi les explications, ils mettent en avant l’insuffisance des ressources (48%), à égalité avec "le manque de visibilité pluriannuelle sur les ressources", et devant "les obstacles réglementaires et administratifs" (39%), ou encore le "manque d’ingénierie technique" (38%).
Présent à la convention, le ministre délégué chargé des comptes publics avait, semble-t-il, déjà entendu une partie des doléances des élus intercommunaux. Thomas Cazenave a indiqué avoir lancé avec Dominique Faure – la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales – et Christophe Béchu une réflexion sur "un cadre qui donne plus de vision pluriannuelle" aux collectivités territoriales.