Tiers-lieu et biens communs - entretien avec Michel Bauwens
Michel Bauwens nous livre ici sa perception de la crise sanitaire comme un moment d’incarnation des Communs dans une situation d’urgence où les fablabs ont particulièrement jouer un rôle important. Il s’agit pour lui de pérenniser et instituer les biens communs tant auprès de la sphère étatique que marchande en les intégrant dans des dispositifs légaux. Il nous donne les conditions et procédures qui pourrait selon lui à terme fixer les Communs au cœur des politiques publiques et dépasser la dimension binaire bien public / bien privé pour les intégrer comme une force productive et résiliente. Les Tiers Lieux sont ici au centre de cette démarche et porteurs d’une économie régénérative représentant l’infrastructure civique nécessaire à la production de biens communs sur les territoires.
Entretien mené par Pascal Desfarges
Michel Bauwens est le fondateur de la Fondation P2P (Peer to Peer Foundation), un réseau international de chercheurs engagés qui observent et promeuvent l'émergence d'une nouvelle économie centrée sur la «production entre pairs».
En 2014, Michel Bauwens a dirigé une équipe de recherche engagée par le gouvernement de l’Equateur, afin d’établir un programme de transition vers « une économie du commun », qui redéfinit le rôle des citoyens, des entrepreneurs et de l'Etat pour créer une économie soutenable sur le long terme. Il a été appelé pour penser la même démarche dans la ville de Gand, en 2017. De 2018 a 2020 Michel Bauwens a travaillé ‘en résidence’ avec SMart, la coopérative de platform pour les travailleurs autonomes.
Il est l'auteur de deux livres en français, Sauver le monde:Vers une société post-capitaliste avec le peer-to-peer; et de "Pour une véritable économie collaborative"
Quels sont vos premières constatations vis à vis de la crise induite par le Covid-19, en particulier en ce qui concerne les réponses des forces marchandes et étatiques ? en quoi cette crise a réactivé et rend visible la question des communs ?
C’est intéressant d’aborder la question au niveau des temporalités. Depuis 2008 qui est une crise du néolibéralisme, le système s’est appauvri dans sa capacité à répondre dû au sauvetage du système financier et qui fut suivi d’une période d’austérité qui a sévèrement affaibli les institutions publiques, notamment celles de la santé. La crise actuelle vient donc se greffer sur un système déjà affaibli. Dans ce contexte de cette crise sans précédent où le monde entier s’est arrêté, la Covid-19 se révèle donc comme un accélérateur et un révélateur des conditions préexistantes. Il y a un terroir, fort ou faible, qui détermine comment une société peut réagir à ce défi. La sévérité du problème de la covid est en fonction des capacités de réaction d’une société.
Je vis en Thaïlande où la crise est beaucoup moins importante qu’en Europe et sans comparaison avec la catastrophe dans les pays anglo-saxons… La Corée ou Taiwan, des pays tout à fait démocratiques avec des infrastructures technologiques plus avancées qu’en Europe, disposent de structures participatives importantes et d’une mobilisation citoyenne et civique. Les problèmes des tests, du tracing et du port de masque ne s’est même pas posé. En Asie du sud-est ou l’état est garant de la société et des équilibres, il existe un sens de la collectivité, du civisme malgré un modèle de consommation tout à fait néolibérale. Il y a un néolibéralisme appliqué au monde de la consommation mais qui est compensé par une idéologie d’harmonie sociale et des politiques Étatiques bien plus volontariste.
La crise a aussi montré que le monde marchand ne fonctionne plus sans sauvetage étatique, et que le marché ne solutionne pas les problèmes de santé sans cadre étatique. Quand se cadrage manque également, c’est la société entière qui serait paralysé, mais heureusement nous avons des sociétés civiles très développé avec des capacités de coordination horizontale et des banques de connaissance et des ‘communs de capacités’ qui n’ont pas grand-chose à envier des structures marchandes et étatiques. La profondeur de la crise est donc tout à fait liée aux politiques qui ont voulu sauver les institutions financières privées, aux détriments les professions les plus essentielles à la vie, qui ont été dévalorisées. Les pensées de l’efficacité et les théories du management ont miné la situation de ces mêmes professions, au moins depuis les années quatre-vingt-dix.
Qui se mobilise en réponse ? Comment les forces des communs ont réagi ?
Il y a aujourd’hui une capacité sociétale des gens à se coordonner sans les institutions hiérarchiques classiques c’est-à-dire de dépasser les limites de l’état et des entités marchandes. Il y a une société civile qui s’auto-organise entre pairs autour d’une production du Commun. Une deuxième clé de compréhension serait la dimension «éducative». Aujourd’hui l’état et les forces marchandes ne peuvent plus prétendre et n’ont plus le monopole de la maîtrise des savoirs. La connaissance s’est diffusée dans toute la société. La société civile a la capacité de se mobiliser, organiser les communs de la connaissance, créer des systèmes complexes qui peuvent aussi bien fonctionner au niveau local comme global. On peut aborder la question sur deux plans. D’abord l’aide mutuelle entre pairs où il y eu une explosion d’initiative de la société civile pour s’entraider. Ensuite, la capacité de produire des objets techniques et de compenser un manque au niveau de la sphère marchande et de la sphère étatique ; le bien commun s’infiltrant entre le bien privé et le bien public.
Cela fait émerger une problématique : on est toujours au niveau étatique et marchand dans une vision binaire où il y a l’état d’un côté et le marché de l’autre, et ceci dans un contexte où l’état a beaucoup perdu en légitimité et où le monde civique est vu comme périphérique. La sphère civique n’est ni étatique, ni commerciale mais elle n’a pas d’identité reconnue comme étant elle-même productive, non seulement de bien commun mais également de richesse sociétale qui contribue au bonheur des citoyens. Cela explique une sorte de non reconnaissance de légitimité. Tout le travail du monde des Communs contemporain, qui est en re-naissance depuis une vingtaine d'années, est donc de faire reconnaître qu’il y a un monde productif en dehors de l’état et en dehors du monde marchand. Cela s’explique par l’auto-organisation du monde civique qui peut éventuellement s’allier avec l’état ou le marchand. On voit à la fois cette énorme explosion d’initiatives civiques et en même temps une incapacité du système institutionnel à gérer cette coopération nécessaire, il faut passer d’une version binaire a une version trinitaire si l’on peut dire. On est dans un paradigme mental qui ne permet pas de voir que le commun est une « institution » à part entière (c.à.d. une multitude d’institutions, tout comme dans la sphère étatique et marchande). Les communs ont été rendus « visibles » par la crise sanitaire
Quels sont les types de problèmes auxquels se sont confrontés les makers durant la crise sanitaire ?
Un premier problème est constitutionnel. Le monde depuis la révolution française a été conçu autour de la propriété privée et le marché avec un état au service de l’économie marchande, une situation qui c’est empiré dans les années 80. Toutes les lois et les institutions sont faites pour réguler et protéger la sphère privée. L'idée centrale étant que, “Si chacun veille à ses propres intérêts, l’économie et la société sera productive et tout le monde pourra en bénéficier”. Il n’y a pas une pensée directe pour le bien commun, le bien commun est vu comme une chose qui va dériver de la santé du marché. Si le marché est sain, l’état peut taxer et redistribuer et les propriétaires peuvent pratiquer la philanthropie. Les lois sont faites dans une méfiance des excès de la sphère marchande, et ont une dimension punitive. Cela veut dire qu’il n’y a pas de vraie reconnaissance du monde des communs dans la constitution et le droit civil et cette sphère fait en même temps face a une mentalité « punitive » de l’état. A Gand, en 2016, ou j’ai produit un travail autour des communs urbains, j’ai reçu une note de 7 pages des communs de l’habitat (c.a.d. le CLT[1] , la coopérative d’habitat et la multitudes des projets de co-housing: tous se plaignent de régulation hostile à la coopération entre citoyens.
Aux Etats Unis il y a un concept intéressant : « l’exception samaritaine » ou loi du bon samaritain[1]. On ne peut pas juger de la même façon les actions du monde civique que les actions du monde marchand. Quand les makers produisent des respirateurs, il est sûr que dans un premier temps, ces respirateurs ne vont pas suivre tous les critères légaux nécessaires pour la production de ce type d’objet technique. C’est un problème mais s’il n’y pas de respirateur du tout ; cette initiative va néanmoins pouvoir sauver des vies. Dans ce contexte la « loi samaritaine » permet cette démarche dans certains cas d’urgence. Il devrait y avoir des lois qui permettent de reconnaître des moments exceptionnels où il faut faciliter la production civique faisant en sorte de réussir là où la sphère marchande et étatique n’a pas répondu. Cela implique un assouplissement du droit au niveau des régulation et des normes de qualité.
Mais au-delà l’urgence il y a la permanence du manque institutionnel qui rend indument difficulté la cooperation entre la sphère publique et la sphère des communs, entre l’Etat et les citoyens organisés, de plus en plus souvent en dehors du monde des ONG et des associations classiques, car auto-organisé par le biais des réseaux de communication digitale. Le grand exemple est la Régulation de Bologne “pour les soins et la régénération des biens communs”. C’est la première réglementation qui reconnaît la sphère des communs et créer un protocole de coopération légitime par rapport à l’apport des communs. En Italie, la commission Rodotà[2] a introduit la subsidiarité dans la constitution italienne pour dire que l’économie peut être au service du bien commun ; l’objectif était de protéger l’autonomie locale face au national. On utilise aujourd’hui cette base constitutionnelle pour produire des biens communs et de l’innovation sociale. Il y a aujourd’hui 1 million d’italiens qui ont utilisé ce règlement qui est maintenant dans 250 villes italiennes pour légitimer des actions en commun. Le citoyen italien peut déclarer vouloir prendre soin d’une ressource qui selon lui n’est pas bien utilisée par la sphère étatique et marchande ; prendre soin de ce bien commun et le gérer en commun. Dans la loi de Bologne, le principe du multi-partenariat défendu par Elinor Olstrom[3] est inscrit dans la gestion de ces projets. Il y a la ville, la sphère marchande, la sphère de recherche, la société civile organisée qui s’organisent pour aider la « société civile informelle ». Les communs sont des multi-partenariats qui ne perdurent que s’ils sont reconnus par la sphère publique et ne sont pas soumis a une répression policière. S’il n’y pas un accord avec la sphère publique, les communs risquent effectivement de disparaître, avait conclu Ostrom dans ses recherches. Il y a un principe de réalité qui est de reconnaître qu’il y a une société qui existe avec une sphère publique et qui font un terrain d’entente ‘organise’. Il faut généraliser ce principe vers toute une production de valeurs, pas seulement des communs urbains mais aussi des communs de la santé par exemple. Il faudrait au niveau constitutionnel un protocole de coopération entre la sphère publique et la sphère du commun[4]. On a vu à travers la crise sanitaire de nombreux problèmes émerger parce qu’il n’y avait pas d’ajustements de protocoles ; de processus permettant une bonne coopération entre les deux sphères. Parfois l’état pouvait avoir raison parce que les productions ne respectaient pas certains critères essentiels mais aussi et surtout pas une peur des conséquences juridiques. L’exemple des hôpitaux de Paris est intéressant face à ce déficit de protocole, ils ont imaginé un processus permettant aux fablabs d’intervenir sur le matériel médical. La réaction de la société civile pour compenser les manques de la sphère étatique implique l’idée d’une reconnaissance trinitaire des trois types de biens et des principes de coopération institués. Nous devons donc mettre en chantier, une réforme institutionnelle profonde pour régler la reconnaissance du commun : quels sont les relations optimales, non seulement entre les deux sphères dominantes, celle de l’Etat et le Marché, mais entre les trois sphères … C’est dire qu’il est temps d’inclure le rôle des Commons et les droits et devoirs des commoners, dans tout design institutionnel a venir. Les communs produisent de nombreuses externalités positives, que nous devons apprendre a reconnaitre et à valoriser.
Il n’y a donc pas que le lien avec l’état, il faut aussi des protocoles avec la sphère marchande. Il y a une dimension générative des communs par rapport à la sphère marchande. On peut introduire ici la notion d’extractif et de génératif. Il peut y avoir entre le monde marchand et les communs des réactions de type extractif où l’on exploite les communs sans qu’il y ai de retour. Donc des relations ou la sphère marchande affaiblit les communs dont elle se nourrit. Mais on peut envisager une relation entre la sphère marchande et les communs là où il y a un retour équitable et ou les entités marchandes reconnaissent les externalités qui sont produites par la société civique. Il faut aller au-delà de notre système de valorisation, à savoir qu’il n’y pas que la sphère marchande qui crée de la valeur ; on doit pouvoir reconnaitre la productivité de la sphère non marchande ; la société civile créant elle aussi de la valeur.
Bernard Lietaer[5] nous montre qu’il y avait, avant l’avènement du capitalisme, deux systèmes monétaires qui coexistait : les « monnaies froides » qui sont créés par l’extractif et « les monnaies chaudes » qui étaient créés dans la sphère du commun. Par exemple à Bali, il y a une monnaie qui gère la gestion de l’eau, monnaie utilisée par la population pour reconnaitre les contributions de chacun au maintien de l’écosystème de l’eau. Dans l’économie extractive par contre il n’y a pas de reconnaissance des externalités, pas de reconnaissance des contributions. Il y a de plus en plus d’activité contributive pour les causes sociétales et techniques mais qui sont de moins en moins reconnues dans la sphère marchande ; il y a donc une vraie crise de la valeur. Pour simple exemple, Facebook ne pourrait pas exister sans la communication entre 2 milliards de personne mais il n’y a aucune reconnaissance de la contribution de ces 2 milliards de personnes comme co-créateurs de cette valeur. Le service est gratuit certes, mais les profits sont exclusivement destinés aux propriétaires.
Comment instituer les communs ? Comment les pérenniser ? quels types de contractualisations, de protocoles, de procédures ? Comment figer un espace de liberté pour les communs ?
1 – il faut d’abord instituer les communs
Je suis ici en opposition avec une vision puriste des communs affirmant que le communs ne peuvent pas avoir de structures, de formes de propriété. Je suis en accord avec Frederic Lordon[6] qui nous dit que si l’on est uniquement dans l’affect et la passion cela ne dure pas. On a bien vu que les formes politiques comme « Occupy wall street » ne durent pas. Ce qui veux dire que l’on doit s’intéresser à de nouvelles formes juridiques ou anciennes comme le « communitiy land trust »[7] qui permet de protéger une propriété en commun, inaliénable, qui la défend aussi bien contre la privatisation que l’étatisation. Il y a des formes de propriété qui ne sont à personne en particulier (en latin : « non dominium, c.a.d. ‘sans maître’). Par exemple, Sensorica, une communauté[8] qui produit des capteurs scientifiques en open hardware met ses machines dans un trust ; donc ces machines sont utilisées par tout le monde à travers ce Commun, n’appartenant à personne individuellement mais appartenant à cette communauté qui est autonome. Le mouvement de la mouvance Blockchain, qui promeut la « nature souveraine » va dans le même sens en voulant donner une auto-propriété aux ressources naturelles : ce serait des des communs qui s’autogèrent ; par le biais des technologies DAO (‘Distributed Autonomous Organization’), mais qui peuvent mobiliser des agents humains, comme des avocats, et peuvent générer des revenus a distribuer aux contributeurs qui protègent la forêt… « Aqua beni commune »[9] à Naples où l’eau n’est pas considérée comme un service étatique mais comme un commun organisé par un multi-partenariat où l’état faite partie des partenaires. Au Royaume Uni il y a un think tank, « Commonweal » [10] qui a proposé une sorte de « commons corporation » qui est une structure légale publico-communs.
Mais attention : les communs ont leur propre intérêt ‘égoïste’, c.à.d. que les membres d’un commun se mobiliser pour leur commun, mais pas automatiquement pour le bien commun de tous. Par exemple, un commun qui fait de l’open source n’est pas nécessairement écologique. Un commun n’est pas nécessairement ouvert à tous et peut être très local, excluant les nouveaux venus. Intégrer une institution qui protège le bien commun de tous, la ‘res publica’ comme l’état, dans ces multi-partenariat est donc nécessaire pour garantir cette ouverture à tous. Les communs ont besoin de protection, et d’assistance pour être des vrais bien communs. Je recommande dans ce contexte l’œuvre de Geneviève Fontaine, qui dans son doctorat, opère une convergence entre le travail d’Elinor Ostrom, sur les principes de gouvernance des communs, avec ceux de d’Amartya Sen. Dans cette idée, la mission de l’Etat est de garantir les communs de capabilités, afin que tous les citoyens puissent contribuer et bénéficier des avantages des communs.
2 – il faut aussi changer la structure des entreprises
Il faut inventer des entreprises génératives et il y a de nombreux modèles qui se développent, comme les B-Corp, l'entrepreneuriat social, etc… où le but social prime sur le profit. Il s’agit de produire un travail pour créer un régime de confiance pour la coopération communs / marchand au niveau des régulations et des formes institutionnelles ; l’économie éthique étant installée dans les structures juridiques. Cela passe d’abord par l’expérimentation afin qu'à un moment donné, l’innovation devienne la norme et il faut qu’un cadre juridique qui intervient pour que cela puisse se développer à l’ensemble de la société.
Une autre voie qui est intéressante c’est la comptabilité. Un acte comptable reflète comment l’humain estime la valeur transactionnel d’un acte physique. Notre comptabilité contemporaine ne nous donne aucune information écosystémique, excluent des externalités positives et négatives sociales et environnementale, etc… elle est narcissique. Nous devons donc évaluer vers des formes comptables plus holistiques et systémiques, qui reflètent mieux les réalités biophysiques, c.à.d. les limites planétaires.
Il y a deux modèles. Le modèle porté par l’économie du bien commun avec Christian Felber[11] qui ont fait une analyse des constitutions européennes où toutes reconnaissent que l’économie doit servir le bien commun. Mais il en conclut que ce ‘bien commun’ n’est pas seulement une idée métaphysique, mais une compréhension commune et concrète et que cela doit être démocratiquement constitué, c’est-à-dire que le peuple réuni en assemblée doit pouvoir décider ce que c’est ce bien commun. Ils ont développé deux comptabilités, une pour les territoires et une pour les entreprises avec 17 clusters d’impact où le but ultime est que la taxation et les subsides sont régulés en fonction de ces impacts. C’est-à-dire que les entreprises qui arrivent à avoir beaucoup d’impact positif et minimiser leurs impacts négatifs vont être favorisés par la société et par l’état. L’ensemble des entreprises devraient éventuellement y participer. C’est un changement ‘outside-in’ qui changent en profondeur les critères de succès d’une entreprise. Un autre modèle de comptabilité fonctionne plutôt selon le modèle « inside / out ». En France, le projet Compta CARE a comme principe qu'il y a 3 formes de capitaux qui co-constituent la valeur : l’argent (le capital ‘classique’), les humains et la nature. Il faut instituer une obligation fiduciaire de maintenir en bonne santé les 3 capitaux. Aujourd’hui on peut aller en prison pour une mauvaise gestion de l’entreprise mais on peut détruire les humains et la nature sans conséquences. L’idée est d’intégrer au niveau juridique et statutaire ces trois données.
En conclusion : L’institution des communs, historiquement, est la seule à avoir montré sa capacité à maintenir des ressources à long terme. Il faut instituer des protocoles de coopération entre l’état, le marché et les communs ?
Au-delà de la démocratie représentative, délibérative, et participative, reconnaitre les contributions des communs équivaut a introduire une nouvelle forme de démocratie : c’est la démocratie contributive, c’est-à-dire la reconnaissance de la contribution comme critère de participation aux prises de décisions. Pour expliquer les nuances, il y a à Barcelone leur plateforme informatique de délibération, Decidim où l’on demande aux citoyens leur besoins et envies, pour ensuite les soutenir. Ce qu’ils font qui est intéressant mais les gens qui se sont montrés capable de contribuer doivent avoir une place spécifique dans la transition. La démarche est pragmatique, les villes qui ont réussi la transition alimentaire ce sont celles qui ont eu des conseils de transition alimentaire pendant au moins 10 ans. C’est un multi-partenariat en pratique, une reconnaissance par le faire. Il y a un conseil de transition alimentaire à Gand qui a été constitué à partir d’un règlement autour de l’urgence climatique. Dans ce conseil, ils ont invité tous les acteurs concrets de la transition. Ces acteurs ne sont pas spécialement représentatifs, mais ils ont mis en acte la transition écologique, et les principes sur lequel les politiciens ont été élu.
Si on estime que seule la sphère marchande crée la valeur et donc quand on fait des achats publics, c’est toujours compétitif et c’est toujours pour des entités privées ; il y a une perte de l’intelligence collective autour d’un projet, car c’est uniquement le meilleur qui gagne, souvent a maximisant les externalités. Ceci rend en fait impossible des approches holistiques et systémiques ! Il existe en écosse la charte publique sociale dans les marchés publics où l’on peut intégrer des critères éthiques. A Gand, la municipalité a fait un appel aux communs, c’est-à-dire un marché public qui va vers les acteurs en capacité de coaliser les acteurs de la société civile. Je voudrais aller plus loin avoir une comptabilité ouverte aux externalités qui intègre une vision écosystémique des choses. Avec la blockchain on peut être capable techniquement d’ouvrir des comptabilités publiques ouvertes et transparentes ; il y a déjà une proposition de loi à New-york pour mettre en place ce système.
Imaginons la chose suivante, par exemple si l’on doit décarboniser l’économie. Une des options serait de reconnaître que chaque citoyen peut contribuer à cette démarche hors d’un un système compétitif où il y a reconnaissance de la contribution. Un agriculteur bio peut contribuer et être reconnu par une agence publique appropriée, il est reconnu dans sa contribution, et qui est ensuite « tokenisé » (c.à.d. représenté par une monnaie complémentaire intelligente) , Cette nouvelle forme d’argent intelligent reconnaît ce flux de valeur et il est ensuite financé soit par l’état directement (qui reconnait que c’est un but prioritaire, donc digne de financement publique), soit on va chercher des institutions qui s’appuient sur des externalités positives
Un exemple en France c’est « Terre de lien »[12] qui en 2016 qui a calculé que ces membres les agriculteurs bio, réalisait chaque année une économie de 300 millions d’euros à l’état pour la dépollution de l’eau. Je plaide pour des systèmes qui permettent dans une sphère de coopération et non de compétition de reconnaître les contributions et les financer directement ; ce que j’appelle la finance circulaire et que l’on peut considérer comme le miroir financier d’une véritable économie circulaire. Quand on rentre dans une crise écologique le danger de rationnement « top-down » va être important en risquant une sorte d’ecofascisme. On pourrait combiner une planification étatique mais qui tient compte des ressources mais avec une liberté individuelle et collective pour relever ce défi. Le système que je propose permets de reconnaître et de protéger cette liberté individuelle.
Aujourd’hui il y a deux polarités : il y a une tendance néolibérale qui essaie de maintenir a tout prix un commerce mondiale qui n’est pas durable ; et de l’autre, on assiste à la continentalisation du commerce (en Asie où il y a aujourd’hui plus de commerce intra asiatique qu’avec l’Europe) mais Il y a aussi un protectionnisme très localiste et nationaliste, comme le propose par exemple les mouvement populistes. Je propose une troisième voie qui est basée sur la subsidiarité de la production matérielle, que j'appelle ‘cosmo-locale’… On suit deux règles, la première c’est tout ce qui est immatériel est global et partagé notamment la coopération scientifique, technique via les modèles connus de l’open source. Le monde entier doit apprendre du monde entier. Mais au niveau de la production matérielle on s’intéresse beaucoup plus à la subsidiarité et a une démarche localisée qui a plus de sens. On dépense aujourd’hui trois fois plus dans le transport que dans la production. Une démarche localisée va permettre de réduire la dépense en ressources naturelles auquel s’ajoute la mutualisation des ressources et acteurs. Au-delà des fablabs j’envisage des unités de production comme par exemple le réseau des multifactory[13]. Par exemple à Bruxelles il y a la microfactory[14]. Dans les fablabs les gens ne vivent pas de leurs productions. Dans les microfactory par contre ce sont des artisans qui travaillent le bois, le métal, le textile et utilisent les imprimantes 3D mais qui veulent en vivre. Il adhèrent au principe de l’open source et au principe coopératif et en même temps ils ont un concept qu’ils appelle « la fabrique invisible » (invisible factory) , là où ils mettent toutes leurs connaissances en commun. La mutualisation se fait surtout aujourd’hui dans les domaines où il n’y pas beaucoup besoin de capital et sur cette question la sphère publique peut amener un appui. Il y a par exemple aujourd’hui « Open Motors »[15] qui peut déjà produire des voitures localement mais dont les seuls projets sont des marques blanches en relation avec des acteurs de l’industrie. Le système reste donc caché du grand public.