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Grand Débat : et maintenant ?

Vendredi, ce sera le clap de fin de la première phase du Grand Débat, celle des réunions locales et des contributions en ligne. Reste encore à venir quelques déplacements présidentiels, quelque quatorze "conférences citoyennes régionales", une déclaration devant le Parlement... et les interrogations sur ce qui sortira in fine de tout cela.

Après les questions, arrive le temps des réponses : à l'issue de deux mois de consultations tous azimuts, l'exécutif se donne jusqu'à la mi-avril pour décider ce qu'il compte faire des très nombreuses propositions nées du Grand Débat, avec des "choix" qui s'annoncent "difficiles", selon Edouard Philippe.
Ce vendredi 15 mars marque la fin officielle de la première phase du Grand Débat, celle des réunions locales et du dépôt des contributions des internautes sur la plateforme granddebat.fr. S'ouvre désormais celle de la restitution et de la synthèse, marquée notamment par deux weekends de conférences régionales avec des citoyens tirés au sort. Et de nombreuses réunions gouvernementales en coulisses pour préparer un "atterrissage" délicat, pour lequel l'Elysée et Matignon entendent préserver l'effet de surprise.
Dans un calendrier du débat demeuré largement à la main de l'exécutif, Emmanuel Macron va poursuivre sa tournée pour échanger avec les élus des quatre régions qu'il n'a pas encore rencontrés : ceux de la Bretagne, Corse, Hauts-de-France et Pays de la Loire. "Le Président va continuer à épuiser le débat. Il a vocation à s'exprimer tant que le Parlement n'est pas saisi" début avril, indique un proche.
La très grande implication de l'exécutif dans les réunions du Grand Débat a été critiquée ce mardi 12 mars par les "garants" chargés de veiller à son indépendance. La manière dont la communication présidentielle et gouvernementale s'est prolongée "a pu contribuer, après avoir mobilisé, à entraver la mobilisation", a ainsi souligné le politologue Pascal Perrineau, l'un des cinq "garants".  Ces derniers avaient d'ailleurs recommandé dès le départ que l'exécutif se tienne "en retrait". Ils ont toutefois salué "une opération sans précédent dans l'histoire de notre démocratie". Le collège des garants a encore regretté que seulement 50% des comptes-rendus des 10.000 réunions locales qui ont eu lieu soient jusqu'à présent "remontés". "Nous ne sommes pas face à un sondage à l'échelle nationale", a par ailleurs souligné Isabelle Falque-Pierrotin, garante du Grand Débat, en prévenant que l'on ne pourra pas tirer du débat "quelque chose comme le top 10 des sujets clés retenus par les Français".

Pas de grand soir...

Le chef de l'Etat entend lui "faire son miel", l'une de ses expressions favorites, des dix rencontres auxquelles il a participé depuis le 15 janvier. "Le Grand Débat mute de semaine en semaine", a-t-il résumé le 7 mars à Gréoux-les-Bains (Provence-Alpes-Côte d'Azur). En expliquant "ne presque plus" entendre parler du référendum d'initiative citoyenne (RIC), l'une des priorités des "gilets jaunes", alors que le sujet du pouvoir d'achat "reste très, très fort" et que ceux de l'écologie et de la santé sont apparus en force.
Sur toutes ces questions, très disparates, les ministres ont eux aussi remis pour la plupart des contributions. Le Parlement sera quant à lui saisi d'un débat sans vote, avec une déclaration d'Edouard Philippe prévue le 9 avril.
Puis Emmanuel Macron devrait clore le Grand Débat à partir de la mi-avril, "en donnant les grands axes de réponse et le sens de la direction à suivre", selon Sébastien Lecornu, ministre coanimateur du Grand Débat. Mais "l'idée n'est pas d'avoir un 'grand soir'", prévient un conseiller. Les annonces pourraient s'étaler "dans le temps", jusqu'à l'été. Et prendre différentes formes parmi les pistes qui circulent : référendum, projets de loi, Grenelle social, remaniement... "Imaginer qu'il serait possible de sortir du Grand Débat par une série d'annonces, de vérités révélées, c'est se tromper sur la nature même de l'exercice et sur la volonté même de ceux qui y ont participé", a averti mardi Edouard Philippe. Pour le Premier ministre, il faudra aboutir à un "compromis démocratique" avec "des choix, y compris sur des renoncements, y compris sur des choix difficiles".
Autre complexité : articuler la "sortie" du Grand Débat avec la campagne des élections européennes du 26 mai. D'autant que la tête de liste de la majorité risque d'être piochée au sein du gouvernement d'ici le premier grand meeting LREM du 30 mars.

Les petites infos du Grand Débat

  • Quelle participation ?

La participation des Français au Grand Débat qui s'achève vendredi a été très diverse selon les régions et les catégories de population.
A quatre jours du clap de fin, 10.138 rencontres avaient été répertoriées lundi sur le site du Grand Débat, dont 832 restaient à venir. En ligne, 460.000 contributions sont recensées sur la plateforme dédiée à la rubrique "Partagez vos propositions".
La fiscalité et les dépenses publiques (141.000 contributions) et la transition écologique (111.000) sont les thèmes sur lesquels les Français se sont le plus exprimés, devant l'organisation de l'Etat et des services publics, la démocratie et la citoyenneté (autour de 83.000 chacune).
Le gouvernement met en avant un engouement des Français et comptabilise pour sa part un total de 1,4 million de contributions, en comptant l'ensemble de celles qui ont été déposées en ligne, réponses par oui/non et propositions. "On s'aperçoit que les contributions en ligne concernent essentiellement les régions les plus riches. Paris, les Yvelines, les Hauts-de-Seine, la région lyonnaise...", souligne Luc Rouban, directeur de recherche au Cevipof (Sciences Po). Ce qui correspond aux grands pôles urbains, avec une concentration de diplômés, de gens intéressés par la vie politique, à l'aise avec internet.
"Pour les débats, ce serait plutôt les zones rurales, le nord de la France, des régions plus isolées", avec une population plus âgée, poursuit-il.  Les rencontres ont aussi permis de faire émerger des problèmes locaux. Les synthèses et analyses des réunions et contributions sont en cours, comme celles des 16.000 "cahiers citoyens" déposés en mairie.
Première possible indication d'un souhait de changement, les contributeurs ont répondu "oui" à la plupart des questions qui leur étaient soumises dans le questionnaire en ligne. Faut-il prendre en compte le vote blanc ? Ceux qui se sont exprimés ont répondu "oui" à plus de 81%. Faut-il transformer les assemblées ? "Oui" à 86%. Pour financer les dépenses sociales, 52% pensent qu'il faut "revoir les conditions d'attribution de certaines aides". Ils ne sont en revanche que 25% pour une augmentation du temps de travail et 4% pour augmenter les impôts.
Dans un autre domaine, 90% de ceux qui se sont exprimés affirment qu'il faut "revoir le fonctionnement et la formation de l'administration". Mais seuls 50% pensent que l'Etat doit "transférer de nouvelles missions aux collectivités territoriales".
Les spécialistes soulignent quant à eux la faiblesse du nombre de participants, si l'on compare le nombre de contributions (1,4 million) à celui de 47 millions de Français inscrits sur les listes électorales. "On est quand même sur des nombres très faibles. C'est intéressant, mais quelle légitimité peut-on en tirer ?", s'interroge Luc Rouban. Par ailleurs, si les réflexions sur la démocratie peuvent nourrir le débat, sur des sujets techniques, comme la fiscalité, nombre de revendications pourraient s'avérer inapplicables.
 

  • Les conférences citoyennes des 15-16 et 22-23 mars

Environ quatorze "conférences citoyennes régionales" auront lieu en métropole les 15 et 16 mars pour la moitié d'entre elles, et les 22 et 23 mars pour l'autre moitié. "Les conférences citoyennes régionales sont des ateliers participatifs qui se dérouleront sur une journée et demie : jusqu'à cent personnes selon la taille des régions, tirées au sort et représentatives de la diversité sociologique de chaque région, partageront leurs attentes et leur diagnostic sur les quatre thèmes du Grand Débat national, délibéreront entre elles et élaboreront collectivement des propositions argumentées", ont indiqué dans un communiqué les organisateurs. Les conférences auront lieu les 15 et 16 mars à Paris, Poitiers, Rouen, Lille, Orléans, Marseille et Lyon. Elles se tiendront la semaine suivante à Rennes, Toulouse, Aix-en-Provence, Strasbourg, Ajaccio, Dijon et Nantes. "Une conférence citoyenne nationale spécifiquement dédiée à la jeunesse (18-25 ans) sera également organisée à Aix-en-Provence, selon le même format, les 22 et 23 mars", est-il précisé.   
Ces conférences doivent s'appuyer "sur les principaux thèmes qui ressortent des premières analyses des contributions des citoyens".  "Elles déboucheront sur leur propre synthèse, qui viendra enrichir l'ensemble des contributions", expliquent encore les organisateurs.   
Le tirage au sort des participants a été effectué sur la base d'une génération aléatoire de numéros de téléphone fixes et portables, selon des critères d'âge, de genre, de catégorie socioprofessionnelle, de département d'habitation et de la taille de l'agglomération de résidence. D'autres dates et lieux doivent être par ailleurs prochainement annoncés pour les départements et régions ultramarines, ainsi que pour Saint-Barthélemy/Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.
Le garant Pascal Perrineau anticipe "des difficultés pour rassembler ces échantillons de citoyens" dans certaines régions. La participation moyenne pourrait, selon lui, se situer "plutôt aux alentours de 50 à 70 citoyens par conférence" au lieu d'une centaine prévue au départ.
 

  • A l'Assemblée le 9 avril

Le gouvernement fera finalement le 9 avril une déclaration devant l'Assemblée nationale, sans vote, à l'issue du Grand Débat. Cette déclaration suivie d'expressions des groupes et d'une réponse du gouvernement, sur la base de l'article 50-1 de la Constitution, avait été prévue initialement le 3 avril. 
Les députés débattront dans l'hémicycle des thèmes de la grande consultation le 2 avril (transition écologique l'après-midi, fiscalité et dépenses publiques le soir) et le 3 avril (démocratie et citoyenneté l'après-midi, organisation de l'Etat et services publics le soir), a acté la conférence des présidents de l'Assemblée, qui réunit autour de Richard Ferrand les chefs de file des groupes et le ministre des Relations avec le Parlement Marc Fesneau notamment. Lors de ces débats, chaque groupe politique s'exprimera, puis dans un deuxième temps posera une ou deux questions au gouvernement. Les députés non-inscrits auront une question également. Le gouvernement doit également faire une déclaration devant le Sénat. La date - le 3 avril puis le 9 avril ont été envisagés - n'a pas encore été arrêtée définitivement.
 

  • Les habitants de l'Ain consultés : routes, fiscalité et éducation

Dans le cadre du Grand Débat, le département de l'Ain a sollicité par courriel l'avis de plus de 50.000 de ses habitants. Leurs réponses : priorité à la baisse de la fiscalité bien sûr, mais aussi éducation et routes.
"L'Ain est représentatif de cette France des territoires souvent oubliée, qui n'est pas celle des métropoles", a indiqué à l'AFP le président du conseil départemental Jean Deguerry (LR), en jugeant extrapolables à tout le pays les résultats de cette consultation. Les 3.352 réponses reçues sur le site ouvert par le département du 5 au 10 mars ont ensuite été redressées par un organisme de sondage, en fonction de l'âge, du sexe, et des catégories socio-professionnelles.
Sans surprise, baisse de la fiscalité et augmentation du pouvoir d'achat sont les priorités des Aindinois. Mais "l'amélioration de la qualité de l'instruction et de l'école" vient en troisième position - une thématique jusqu'alors "restée largement en dehors des radars", relève Jean Deguerry. Le renforcement de la construction européenne arrive en dernière position parmi les neuf pistes proposées. La réforme, jugée prioritaire, de la fiscalité doit passer par une meilleure "répartition de l'impôt entre tous, dès le premier euro", ont estimé à 33% les Aindinois. Ces derniers montrent aussi leur attachement au service public de proximité en matière de santé qu'il importe "de rétablir ou de préserver".
Ils ne sont que 11% à vouloir conserver la limite maximale de 80 kilomètres/heure sur le réseau routier secondaire. Les autres réponses se partagent à parts à peu près égales entre retour aux 90 km/h et assouplissements ponctuels. Près de la moitié des habitants estiment que la priorité du département doit être d'investir dans les routes, bien avant les collèges et l'aide sociale. Mais la notion d'aide sociale est peut-être floue pour les personnes interrogées, relève l'auteure de l'étude, Élodie Roux de Bézieux. 84% des personnes ayant répondu estiment que les bénéficiaires du RSA devraient effectuer des heures de bénévolat.
Sur le plan institutionnel, elles recommandent prioritairement de prendre en compte le vote blanc, mais désavouent le recours à la proportionnelle pour les élections.
Jean Deguerry a indiqué ne pas être au courant d'initiatives similaires d'autres départements. Les conclusions de cette consultation seront envoyées au président de la République, a-t-il dit.

 

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