Fort-de-France recherche les héritiers de l’habitat ancien (972)
Pour la capitale martiniquaise, les programmes de rénovation urbaine s’accompagnent de recherches pour trouver les propriétaires ou les héritiers de biens parfois dégradés. L’identification des propriétaires ouvre en effet la voie à la préemption des bâtiments, afin de mener à bien les opérations de renouvellement des quartiers.
Lors du déploiement du premier Programme national de rénovation urbaine (PNRU), la ville de Fort-de-France s’est rapidement trouvée confrontée à un « fléau endémique largement répandu Outre-Mer, qui aboutit à un gel du foncier » selon un rapport sénatorial de 2016, à savoir la question des indivisions non réglées devant un notaire. Faute de titres de propriété ou en raison de successions non régularisées, il est souvent difficile d’établir la propriété des terres ou des biens dans les territoires ultramarins. Or le PNRU commande d’agir sur des biens privés dégradés – terrains, logements, commerces, parfois insalubres - pour les préempter et les améliorer. Lorsque le propriétaire est bien identifié, tout se déroule sans encombre. Mais comment agir face à du foncier privé pour lequel on ne connaît pas le propriétaire ni les héritiers, si ce dernier est décédé ? Dans un premier temps, il faut s’entourer des bons partenaires. Aussi, « nous avons sollicité l’Établissement public foncier local de Martinique, pour mener à bien les opérations de maîtrise et de recyclage du foncier », expose Frantz Thodiard, adjoint au maire de Fort-de-France en charge du PNRU et du plan Action Cœur de ville.
Six îlots anciens ont été expropriés, dont deux dans le quartier de Bas-Gueydon lors du premier PNRU qui a démarré en 2017. Lorsque les propriétaires étaient inconnus, ou en cas d’indivisions non réglées, l’EPFL a missionné un cabinet d’études pour les recherches.
Enquête dans le voisinage et… le monde entier
« Le cabinet d’études mène alors une enquête quasi-policière auprès du voisinage, réalise des recherches auprès des services des hypothèques, des archives départementales, services d’état civil en quête d’actes de décès ou titres de propriété… », énumère Christophe Clairis, inspecteur foncier de l’EPFL. Pour retrouver des héritiers, l’enquête prend parfois une dimension internationale, car nombre de Martiniquais se sont exilés en divers points du globe.
Rechercher des héritiers peut prendre jusqu’à un an. Une fois les propriétaires retrouvés, démarre la phase d’expropriation : « Cette procédure, menée par l’EPFL, pousse les familles à passer devant le notaire pour sortir des « indivisions successorales », juge Frantz Thodiard.
En même temps qu’ils apprennent qu’ils sont héritiers, les ayants droit reçoivent la proposition d’acquisition par l’EPFL à un prix donné. « Au départ, l’accueil par les ayants droit retrouvés était très frileux, car ils craignaient d’être spoliés ; mais à la fin, nous sommes souvent remerciés car la puissance publique permet de régulariser des situations familiales en souffrance », ajoute l’inspecteur foncier.
Un même modèle
Retardé par la crise sanitaire, le PNRU de Fort-de-France s’est achevé en 2021. La même année a débuté le nouveau PNRU (ou NPNRU), incluant le périmètre de Bas-Gueydon, mais aussi d’autres quartiers. Cette fois-ci, la recherche de propriétaires a commencé en amont : « À ce jour, le cabinet mandaté a d’ores et déjà identifié les propriétaires de 80 % des parcelles privées incluses dans le NPNRU », souligne Christophe Clairis.
« Un conseil : il faut s’entourer de cabinet d’études ou de généalogistes expérimentés dans les recherches internationales », glisse Frantz Thodiard, qui rappelle que cette procédure n’est pas gage de succès à 100 % : « Il nous a fallu renoncer dans quelques cas, par exemple lorsque tous les indivisaires ne sont pas identifiés, ou bien lorsqu’un héritier décédait après la signature de l’accord : il fallait alors recommencer tout le processus ».
La ville du Lamentin a montré un vif intérêt à l’égard de cette stratégie. De même que des élus de Pointe-à-Pitre et de Cayenne, qui ont sollicité une réunion avec l’équipe de Fort-de-France. L’expérience pourrait donc être dupliquée dans d’autres territoires ultramarins.
La situation vue via les chiffres
50 %
D’après le cadastre, 60 % des parcelles de Martinique appartiennent à des personnes physiques. Or, 26 % des parcelles appartenant à des personnes physiques sont détenues en indivision et 14 % sont constituées de successions ouvertes. Ainsi, 40 % des parcelles privées sont gelées. Ce taux s’élève à 50 % à Fort de France.
51 %
L’unanimité des indivisaires est recherchée pour exproprier. Pourtant, la loi Letchimy en vigueur depuis 2018 a ramené à 51 % le pourcentage d’héritiers requis pour procéder à une vente amiable. Mais elle n’est pour l’heure peu appliquée par frilosité des opérateurs. Serge Letchimy, actuel président du conseil exécutif de la Collectivité territoriale de Martinique (CTM), a lancé l’idée d’un Groupement d’intérêt pubilc (GIP) « Titrement et sortie d’indivision » pour former les opérateurs et appliquer la loi.
100 : une centaine de parcelles sont à recycler à Fort-de-France, dans le cadre du nouveau Programme national de rénovation urbaine (NPNRU).
80 % : en mars 2022, après huit mois d’enquête, le cabinet mandaté avait d’ores et déjà la connaissance de 80 % des propriétaires réels. Il amorce une phase d’investigation pour les 20 % restants.
Commune de Fort-de-France
Nombre d'habitants :
Frantz Thodiard
Établissement public foncier local de Martinique
Arnaud Rene-Corail
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