Financement participatif pour les collectivités : les modalités s'élargissent

Les collectivités territoriales pouvaient déjà bénéficier de dons ou souscrire des prêts via une plateforme de financement participatif. À titre expérimental, elles vont désormais pouvoir aussi émettre des titres obligataires dans ce cadre. Mais les conditions fixées par le gouvernement sont loin de faire l'unanimité.

Un arrêté paru le 28 janvier au Journal officiel lance une expérimentation qui permettra aux collectivités volontaires de recourir au financement participatif sous forme d'obligations, c'est-à-dire des titres de créance. Le texte est pris en application de l'article 48 de la loi, dite "Ddadue", de transposition du droit européen, du 8 octobre 2021. Une loi qui a acté l'ouverture d'une nouvelle étape en faveur du recours par les collectivités au financement participatif, autrement dit la collecte de fonds auprès du public par l'utilisation de plateformes spécialisées. La loi a, en effet, étendu le champ des projets pouvant faire l'objet d'un financement participatif à l'ensemble des services publics, à l'exception des missions de police et du maintien de l'ordre - ce champ était auparavant réduit aux services publics culturels, éducatifs et sociaux et solidaires. En outre, elle a ouvert la possibilité pour les personnes morales de consentir des prêts aux collectivités dans le cadre du financement participatif - dans la limite d'un prêt par projet.

Le même article 48 de la loi a, par ailleurs, prévu le lancement d'une expérimentation, afin d'étoffer la boîte à outils du financement participatif au bénéfice du secteur public local. Lors de l'examen en première lecture du projet de loi, le Sénat avait ouvert la faculté pour les collectivités d’émettre des obligations pour leurs projets de financement participatif. Mais, lors de la navette, l'Assemblée nationale était revenue sur la disposition, le gouvernement et la rapporteure pour avis de la commission des finances, Aude Bono-Vandorme (LREM), soulevant des "réserves". La mise en place de l'expérimentation, lors de la commission mixte paritaire, a donc été "une solution de compromis" entre les députés et les sénateurs. "Cette expérimentation permettra de mesurer l’intérêt de ce mode de financement – et l’intérêt que lui portent les collectivités locales – et d’évaluer ses éventuels inconvénients ou risques", concluait, à l'époque, le rapporteur pour avis de la commission des finances du Sénat, Hervé Maurey.

Dette locale sous surveillance

Démarrant avec un retard d'un an, l'expérimentation ne durera que deux ans – contre trois années prévues initialement. S'ils sont intéressés, les collectivités territoriales et leurs établissements publics devront déposer leur candidature, au plus tard le 31 mars 2024, auprès du préfet, indique l'arrêté signé par la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales, Dominique Faure, et le ministre délégué chargé des comptes publics, Gabriel Attal.

Le dossier de candidature devra comporter notamment la délibération de la collectivité ou de l'établissement et une description de son projet et des modalités de financement ou encore, le cas échéant, des éléments sur l'impact environnemental. Les modalités d'encaissement des revenus issus du financement participatif et de leur remboursement devront aussi être détaillées. Une batterie de données concernant la dette du candidat et une liste d'informations sur le projet d'émission obligataire via une plateforme de financement participatif sont par ailleurs exigées. "Il importe que les décisions de recours à ce type de financement qui alourdissent par définition l'encours de la dette des collectivités puissent être prises au regard de son impact sur leur capacité de désendettement, comme c'est le cas pour les autres sources de financement", justifiait Bercy, dans sa réponse en décembre à une question écrite du député et ancien ministre Joël Giraud. Le ministère annonçait également qu'une "dématérialisation sécurisée de la procédure de candidature à l'expérimentation" serait proposée, "afin d'alléger le processus pour les collectivités et services territoriaux".

En cas d'acceptation de leur candidature, les collectivités ou les établissements publics devront s'engager à "clôturer la période de levée de fonds au plus tard le 31 décembre 2024", détaille l'arrêté.

Source de diversification

Le financement participatif par la voie obligataire est "une source bienvenue de diversification des moyens de financement des collectivités, en particulier dans le contexte macro-économique qui se complique pour les collectivités – inflation, hausse des taux d'intérêt…", estime Arthur Moraglia, administrateur pour le collège des territoires et institutions publiques de Financement participatif France (FPF), l'association qui promeut les intérêts des acteurs de la finance participative. "Il est donc potentiellement à même de leur permettre d'obtenir des taux plus avantageux, synonymes d'un coût des emprunts plus bas", souligne-t-il. En assurant que les plateformes de financement participatif "vont faire le maximum pour proposer l'expérimentation".

Pourtant, celle-ci aurait du plomb dans l'aile, selon FPF. Les "fortes contraintes administratives et temporelles" exigées aux candidats sont pointées du doigt. Les collectivités pourraient, dans ces conditions, préférer financer leurs projets par les modalités classiques et déjà éprouvées du financement participatif (notamment le prêt). Il faut dire aussi que le cadre juridique général du financement participatif a beaucoup évolué ces dernières années, en particulier sous l'impulsion du règlement européen du 7 octobre 2020.

Règles européennes favorables

Celui-ci crée, pour les plateformes, un statut unique de "prestataire de services de financement participatif", valable sur l’ensemble du territoire européen. Elles peuvent désormais opérer des levées de fonds – par octroi de prêts comme par souscription de titres – dans la limite de 5 millions d’euros par porteur de projet et par an. On retiendra surtout que les projets financés de cette manière doivent porter sur "des activités de nature commerciale". Avant l'entrée en application du règlement, d'aucuns ont redouté que la définition de ce champ ne remette en cause les ouvertures permises par l'article 48 de la loi DDADUE. Mais le jour de l'entrée en vigueur du règlement – le 10 novembre 2021 –, la Commission européenne a apporté des clarifications allant dans le sens d'une interprétation large (1).

En se basant sur ces informations, FPF estime que les projets portés par des collectivités sont bien couverts par le règlement européen. Il ne fait aucun doute, pour l'association, que le cadre européen permet l’émission d’emprunts obligataires via une plateforme ayant obtenu l’agrément de "prestataire de services de financement participatif", et ce, "sans contrainte ou modalité particulière" pour le secteur public local. Autrement dit, si une expérimentation se justifiait parfaitement au moment du vote du projet de loi DDADUE, ce ne serait désormais plus le cas. L'expérimentation va même "à l’encontre de l’esprit du cadre réglementaire européen", n'a pas hésité à faire savoir FPF dans un communiqué rendu public ce 6 février.

Sachant pour autant que la situation n'est pas figée, l'association "va continuer à échanger avec Bercy" sur l'avenir du financement participatif pour les collectivités.

(1) Réponse 3.1 du document "Questions and answers" publié par l'Autorité européenne des marchés financiers.

Référence : arrêté du 23 janvier 2023 définissant les critères d'éligibilité des collectivités territoriales ainsi que les modalités de mise en œuvre de l'expérimentation prévue au II de l'article 48 de la loi n° 2021-1308 du 8 octobre 2021 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des transports, de l'environnement, de l'économie et des finances.
 

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