Face à la hausse des tarifs du génie civil d'Orange, les territoires affûtent leur riposte

La forte hausse des tarifs d'Orange sur le génie civil va peser sur l'équilibre des réseaux d'initiative publique. A court terme, plusieurs RIP entendent répercuter cette hausse sur les opérateurs commerciaux, ce qui devrait par ricochet peser sur la facture des abonnés. A moyen terme, une remise à plat globale du dossier paraît indispensable car étroitement liée à la fin du cuivre.

Le 1er février, l'Arcep devrait rendre publics les tarifs d'Orange pour les fourreaux et autres infrastructures que l'opérateur loue à ses concurrents et aux collectivités territoriales. Une chose semble d'ores et déjà certaine, la hausse des tarifs sera très conséquente : de 67% à 72% au 1er mars, suivie d'une augmentation de 22 à 28% en 2025 selon les chiffres cités par Le Monde. A l'Avicca, on confirme que les tarifs d'accès au génie civil d'Orange devraient "doubler".

Une augmentation dans l'air depuis plus d'un an

Cette annonce n'est cependant pas une surprise. Les tarifs pour le dégroupage, qui concernent les opérateurs commerciaux, et l'accès au génie civil d'Orange, qui impactent les opérateurs d'infrastructures et les collectivités, sont validés par l'Arcep dans le cadre de son analyse de marché, Orange étant considéré comme un opérateur puissant. La dernière analyse, pour la période 2024 à 2028, a été publiée mi-décembre 2023 après avoir fait l'objet d'un bilan en 2022 et d'une consultation début 2023. Elle prévoit un "allègement du remède tarifaire" pour Orange en échange de nouvelles obligations. Ces allégements ont par ailleurs été soumis au double avis de l'autorité de la concurrence et de la Commission européenne. Dans un courrier daté du 21 septembre 2023, la Commission avait plaidé pour "une introduction progressive des nouveaux tarifs au cours des prochaines années afin de donner à tous les acteurs du marché la possibilité de mettre à jour leurs plans d’affaires". De son côté l’Autorité́ de la concurrence avait invité l’Arcep à veiller à ce que "les allégements de l’encadrement de la qualité́ de service et du cadre tarifaire du dégroupage ne créent pas de déséquilibres sur le marché́". Des avis qui n'ont visiblement pas été suivis.

Une double peine pour les collectivités

Les réseaux d'initiative publique (RIP) recourant largement aux poteaux et fourreaux d'Orange pour déployer la fibre, cette augmentation n'est pas neutre pour les collectivités. Les utilisateurs doivent également s'attendre à une hausse de leur facture. "On a l'impression d'une sorte de piège", déplore Patrick Chaize, sénateur de l'Ain, président de l'Avicca et vice-président de la FNCCR. L'élu explique qu'après avoir été incitées à réutiliser les infrastructures d'Orange "au nom de l'intelligence collective et de la mutualisation", les collectivités se retrouvent aujourd'hui contraintes de payer. Une situation d'autant plus inacceptable que ces mêmes collectivités subissent "une double peine", car elles ont souvent contribué financièrement à construire ces infrastructures. Les collectivités déplorent par ailleurs un manque d'entretien des infrastructures louées. "On n'en a pas pour notre argent", résume Ariel Turpin, le délégué de l'Avicca. Patrick Chaize souligne aussi "le moment particulier" de ces annonces, Orange venant d'écoper d'une amende de 26 millions d'euros (notre article) que l'augmentation tarifaire pourrait largement compenser.

Hausses en cascade

A court terme, l'association d'élus incite ses membres à répercuter les hausses sur les opérateurs commerciaux locataires des RIP. La SPL Aquitaine THD a été la première entité à sauter le pas. Son président Mathieu Hazouard la justifie au nom de "l'équilibre des RIP". Plusieurs autres RIP sont sur le point de suivre le mouvement nous indique-t-on à l'Avicca. En outre, certaines collectivités louant des fourreaux à Orange s'apprêtent à augmenter leurs tarifs… Avec ces hausses, l'association espère a minima faire réagir les pouvoirs publics restés sourds à leurs alertes.

La concurrence menacée ?

Ces hausses tarifaires inquiètent aussi l'Association des opérateurs indépendants d'infrastructures (AOTA). Dans un communiqué daté du 5 janvier, l'association estime que "cette offre [celle d'Orange sur le cuivre et le génie civil NDLR] risque de dégrader significativement la rentabilité des offres commercialisées par les opérateurs alternatifs à destination des clients, entreprises comme collectivités, non encore raccordés à la fibre optique. Non seulement elle va procurer à Orange une rente illégitime, mais elle risque aussi de renforcer la position dominante d’Orange sur le marché entreprises". Pour remédier à cette situation, l'AOTA fait ressurgir une vieille idée, la "séparation fonctionnelle" entre les activités commerciales d'Orange et ses infrastructures, susceptibles d'être déléguées à un acteur neutre. "A la différence d’Orange, nullement incité à ce jour à maximiser l’utilisation de cet actif, un tel opérateur pourrait investir et développer son infrastructure de génie civil au bénéfice des opérateurs utilisateurs et des utilisateurs finals", souligne l'AOTA.

Un sujet politique

Pour Patrick Chaize, la réponse doit en tous cas être "politique" et gagnerait à être étudiée de manière plus globale, dans le cadre de la fermeture du réseau cuivre notamment. "On va aboutir à une situation où Orange va être propriétaire d'infrastructures passives dans lesquelles il n'y aura plus de réseaux. Je m'étonne que cette situation n'ait pas été anticipée", s'interroge-t-il. Cette remise à plat pourrait être aussi l'occasion de trancher le serpent de mer de la propriété des infrastructures télécoms, objet de plusieurs contentieux entre les collectivités et Orange. L'inscription de ces questions à l'agenda politique est cependant loin d'être gagnée. Interpellé en mars dernier sur l'augmentation des tarifs du génie civil d'Orange par Jacques Grosperrin sénateur du Doubs, le ministère en charge du numérique a botté en touche. Dans sa réponse datée du 4 janvier 2024, le ministère précise : "L'État n'a pas vocation à se prononcer sur les décisions qui relèvent du champ de compétence du régulateur et donc par extension sur l'influence de la question de la propriété du génie civil considéré sur le cadre régulatoire de l'Arcep".

 

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