Congrès - Emmanuel Macron : pour un "nouveau contrat social"
Le chef de l'Etat a souhaité redonner ce 9 juillet devant les parlementaires réunis en Congrès à Versailles le sens de son projet "économique, social, national et européen". Avec une primauté donnée à "la force de notre économie"... et à un "nouvel aménagement économique" en faveur de tous les territoires. Le "système de solidarité" doit pour sa part être clairement "transformé".
"Je n'ai rien oublié", "je n'oublie rien et je n'oublierai pas". En choisissant d'entamer par ces mots son discours de près d'une heure trente ce lundi 9 juillet devant le Congrès, Emmanuel Macron s'est d'emblée placé sur le registre de la réponse. Une réponse aux critiques qui se multiplient, aux sondages en baisse, aux images ou étiquettes qui pourraient devenir encombrantes. Non il n'a pas oublié "la peur du déclassement", "la rage devant l'impuissance publique", "le pays qui se sent coupé en deux entre sa base et son prétendu sommet", "ceux qui ont du mal à boucler les fins de mois", les "colères nées de la fin des ambitions collectives"... Un prélude tourné vers les enjeux de cohésion sociale, donc. Mais un discours ensuite très axé sur les enjeux de développement et de performance économiques. L'idée martelée devant les quelque 900 parlementaires réunis à Versailles : il faut d'abord "être plus fort pour pouvoir être plus juste", "la prospérité est le socle de tout projet de justice et d'équité", "la force de notre économie, c'est le socle même de notre projet de société".
Par ce Congrès amené à devenir un exercice annuel, il s'agissait principalement pour le chef de l'Etat de revenir sur les "chantiers d'une ampleur inégalée" engagés depuis un peu plus d'un an, en listant les réformes sur lesquelles députés et sénateurs ont "beaucoup travaillé" et sur lesquelles ils devront travailler encore : marché du travail et "feuille de paye", enseignement supérieur, école, budget, "service public du transport", formation professionnelle et apprentissage, logement, institutions... Il s'agissait aussi de réaffirmer, dans le "tohu-bohu de l'actualité toujours en mouvement", la cohérence de l'action de l'exécutif. Celle d'un "projet fort, économique, social, national et européen". Peu d'annonces nouvelles à la clef, par conséquent. Les collectivités locales y ont été peu mentionnées en tant que telles, mis à part un rappel sur le sens du droit à la "différenciation". Le terme de "territoires", en revanche, a été plus largement décliné par le chef de l'Etat.
Investir et entreprendre sur les territoires
Sur le terrain économique, insistant sur le fait que "la clef d'une économie forte, c'est l'investissement", Emmanuel Macron a principalement tenu à défendre sa réforme de la fiscalité du capital et de l'impôt sur la fortune, faite "non pas pour favoriser les riches mais pour favoriser les entreprises". Il a aussi évoqué les 50 milliards du Grand Plan d'investissement (que le Cese a récemment jugé "sous-dimensionné"), sa volonté de développer l'épargne salariale (pour un "capitalisme populaire retrouvé") et de "renouer avec une politique de filières" pour attirer l'investissement public et privé... Cette politique de filières doit aussi permettre de "retisser les réseaux économiques, les solidarités entre entreprises, qui dessinent la géographie de notre pays" – un "volontarisme" qui "consiste à rappeler à nos entreprises (...) que nos territoires sont aussi leur avenir".
Avec la volonté de "promouvoir une croissance partagée", le chef de l'Etat a par ailleurs fait savoir qu'il recevra ce mois-ci les 100 plus grandes entreprises françaises afin que celles-ci "s'engagent en termes d'apprentissage, d'emploi dans les quartiers difficiles ou les zones économiques en souffrance". Un appel à "la mobilisation pour nos territoires avec l'ensemble des élus concernés, les principales entreprises et les investisseurs". Emmanuel Macron parle d'un "nouvel aménagement économique".
Moderniser l'action publique
Parce que "l'Etat doit lui aussi faire des choix", le Premier ministre présentera "dans quelques semaines" les engagements du gouvernement en termes de "baisse de la dépense publique" puis, "d'ici la fin de l'année", un "ensemble de décisions sur la transformation indispensable de l'action publique" devant être mises en œuvre dès 2019. Emmanuel Macron a insisté sur le fait que cette transformation se traduira par "plus de souplesse de gestion" mais aussi par "une réorganisation de l'Etat à travers plus de présence sur les territoires". "Il faut enrayer un mode d'action publique qui a toujours procédé aux économies en réduisant sa présence sur les territoires", "repenser sur tous les territoires la présence de l'Etat et de ses services, réouvrir de l'emprise et contrarier ainsi plusieurs décennies [de politiques] que toutes les majorités ont mises en œuvre pour la réduction des déficits publics", a-t-il déclaré.
Lutter contre les inégalités par l'éducation
Emmanuel Macron s'est dit "obsédé" par les "inégalités de destin" ou "inégalités de naissance". "Il ne s'agit pas d'aider les gens à mieux vivre la condition dans laquelle ils sont nés, mais de les aider à en sortir"... avant tout par l'éducation, qualifiée de "combat de notre siècle". La "transformation radicale de notre système éducatif" serait bien en marche avec "l'école obligatoire à trois ans" dès la rentrée 2019, le dédoublement des classes de CP et CE1 en REP et REP+ (qui serait "plus efficace que tous les dispositifs de redistribution"), la réforme de l'orientation, la réforme du bac, la mise en place de Parcoursup...
Former à des emplois... "de qualité"
Le chômage, certes. Mais aussi, "aujourd'hui, des entreprises qui peinent à recruter". Dans ce contexte, "toutes les politiques d'insertion dans l'emploi doivent être revues", a prévenu le président de la République, en mettant l'accent sur la réforme de la formation professionnelle et de l'apprentissage (projet de loi Avenir professionnel) et sur l'"ampleur inédite" du plan d'investissement dans les compétences en faveur des jeunes et des chômeurs de longue durée.
"De quels emplois parlons-nous ?", a lancé Emmanuel Macron pour aborder la question des emplois les plus précaires et de la "permittence". Il a à ce titre demandé aux partenaires sociaux de "réviser les règles de l'assurance chômage" afin d'"inciter à la création d'emplois de qualité" et a annoncé que le projet de loi Avenir professionnel dont l'examen au Parlement est pourtant bien avancé sera modifié en ce sens. Sa rencontre avec les partenaires sociaux le 17 juillet permettra sans doute d'en savoir plus sur cette annonce surprise. Pour le Président, il s'agit ni plus ni moins que de "jeter les bases d’un nouveau contrat social, celui du siècle qui s'ouvre".
"Rééquilibrer" les territoires
La révision constitutionnelle dont l'examen en séance à l'Assemblée doit débuter ce 10 juillet serait entre autres guidée par la volonté de renforcer "la liberté des collectivités, appelées à mieux exploiter leurs atouts". Là-dessus, Emmanuel Macron a repris à peu près les même propos que ceux qu'il avait tenus le 21 juin dernier à Quimper : "La politique territoriale à laquelle je crois n'est pas celle d'un terrain particulier ou de telle catégorie de collectivité (...). C'est celle qui nous évitera de perdre des mois, comme nous l'avons constamment fait ces dernières décennies, à délibérer des compétences qu'il faudrait transférer à l'un ou plutôt à l'autre. Non, la réforme constitutionnelle qui vous sera soumise, ce sera celle d'une décentralisation de projets par la différentiation. L'aménagement du territoire auquel je crois, c'est celui d'un rééquilibrage des territoires par l'installation d'activités économiques."
"Construire l'Etat providence du 21e siècle"
"L'Etat providence" qu'Emmanuel Macron appelle de ses vœux est à la fois "émancipateur, universel, efficace, responsabilisant", loin d'une solidarité qui serait devenue "statutaire". Il a reparlé à ce titre d'assurance chômage (notamment de son ouverture aux indépendants et aux démissionnaires) et du remplacement des cotisations salariales par la hausse de la CSG. Il a été question de retraites aussi. Si "rien ne changera pour les retraités d'aujourd'hui", il s'agit bien de "refonder" le système pour aboutir à "un système de retraite juste, unique, transparent, qui viendra progressivement remplacer la quarantaine de régimes existants". La réforme devra être votée "au cours de l'année prochaine". Plus globalement, le dessein serait de "transformer notre système de solidarité"...
Réformer les minima sociaux
... où l'on retrouve à grands traits le discours d'Emmanuel Macron du 13 juin devant la Mutualité française à Montpellier et la volonté de "responsabilisation". Un "système de droits et de devoirs" consistant à "accompagner toute personne qui le peut vers une activité professionnelle, même à temps partiel et exiger de chacun qu'il prenne sa part dans la société à sa mesure". Une "philosophie" qui dictera la réforme annoncée des minima sociaux. Et qui dictera aussi plus globalement la stratégie de lutte contre la pauvreté dont Emmanuel Macron a confirmé la présentation en septembre – alors que celle-ci devait initialement intervenir ces jours-ci – pour une mise en œuvre en 2019. Là encore, point de "politique de redistribution classique" mais une "politique d'investissement et d'accompagnement social", point de "nouvelles aides en solde de tout compte" mais un "accompagnement réel vers l'activité, l'effectivité des droits fondamentaux, la santé, le logement, l'éducation".
Construire un nouveau risque dépendance
L'année 2019 devra donner lieu à des travaux puis au vote d'une loi permettant de répondre au "nouveau risque social" que représente désormais la dépendance, notamment en établissement, a redit le chef de l'Etat (là encore comme il l'avait évoqué en juin à Montpellier), en évoquant entre autres le taux d'encadrement en Ehpad "qui ne permet pas de faire face à une dépendance de plus en plus médicalisée". "Il nous faut construire pleinement le financement et l'organisation de ce nouveau risque social (...), organiser les choses différemment", a-t-il résumé, sachant que la ministre Agnès Buzyn a déjà présenté une feuille de route sur le sujet.
Restaurer un "ordre républicain"
Apporter des réponses aux enjeux économiques et sociaux... mais aussi à ce qu'Emmanuel Macron appelle "la peur d'un effacement culturel". Autour de ce troisième pilier de son discours, il aura été question tout à la fois de sécurité (police de sécurité du quotidien, réforme de la procédure pénale... ou arrêt des "occupations illégales du domaine public"), de lutte contre le terrorisme, de laïcité, du service national universel "qui sera précisé d'ici la fin de l'année" après consultations, des politiques en faveur des femmes ou encore d'une politique de la ville "fondée sur le retour de la considération" pour les quartiers concernés...
Le chef de l'Etat s'est étendu sur la question de l'islam : si "la République n'a aucune raison d'être en difficulté avec l'islam", "il y a une lecture radicale, agressive de l'islam qui se fixe pour but de mettre en cause nos règles et nos lois de pays libres", a-t-il déclaré, indiquant que "dès l’automne, nous clarifierons cette situation en donnant à l’islam un cadre et des règles qui s’exerceront partout de manière conforme aux lois de la République".
"Porter le projet français pour l’Europe"
C'est par le prisme de l'immigration et de l'asile qu'Emmanuel Macron a abordé la question européenne : renforcement des frontières communes de l'Europe, partenariat avec l'Afrique... Il a, plus globalement, regretté une Europe "encore trop lente, trop bureaucratique, trop divisée pour affronter la brutalité des changements politiques, sécuritaires, migratoires et technologiques", s'est référé à son discours d'octobre dernier à la Sorbonne et s'est projeté sur les élections européennes de 2019. Pour lui, la ligne de fracture est désormais celle qui sépare "les progressistes des nationalistes".
MAIS AUSSI...
Numérique - Le lancement en mars dernier d'une
stratégie de développement de l'intelligence artificielle a été mentionné. Cela aura été la seule occurrence concernant le numérique (rien sur le plan très haut débit ni, plus globalement, sur l'aménagement numérique, sur l'inclusion numérique ou sur l'ubérisation de l'économie par exemple).
Agriculture - Le
projet de loi agriculture et alimentation a été décrit comme visant à "bâtir une souveraineté alimentaire de qualité" et à permettre aux "paysans de vivre dignement de leur travail").
Environnement - Emmanuel Macron a évoqué le lancement "dans les semaines qui viennent d'une stratégie ambitieuse sur l'air".
Handicap - Au-delà du rappel notamment de la revalorisation de l'AAH, Emmanuel Macron a annoncé, dans le cadre d'une "politique de retour vers la citoyenneté", un "retour au droit de vote y compris pour les personnes sous tutelle".
Culture - "Nous voulons une politique culturelle qui ose dire qu’il est des expressions plus belles, plus profondes, plus riches que d’autres et que notre devoir est de donner le meilleur à tous nos compatriotes (...) et sur l’ensemble de nos territoires."