Élections européennes, budget 2021-2027 : l’AMF tente de mobiliser les maires
À l’approche d’une année 2019 qui s’annonce décisive pour l’Europe (élections européennes de mai, négociation sur le budget pluriannuel 2021-2027, mise en œuvre du Brexit), le commissaire européen Pierre Moscovici a appelé les maires réunis pour leur congrès, mardi 20 novembre, à "se battre" pour le futur budget et à "aller chercher l'Europe". Seulement, pour les maires, l'accès aux fonds européens reste trop compliqué et inégal. Attendue sur une simplification, la Commission a annoncé une nouvelle condition pour accéder aux crédits après 2020 : les collectivités devront se doter d'une "stratégie intégrée de développement durable". Ce qui a suscité quelques remous.
"L’Europe est utilisée commun un punching-ball, c’est le bouc émissaire de toutes les difficultés actuelles." Le président de la commission Europe de l’Association des maires de France (AMF), Christophe Rouillon, maire de Coulaines (Sarthe), a tenté, mardi 20 novembre, de rallier les maires à la cause européenne, à l’approche des élections de mai 2019. Lors d’une table ronde organisée dans le cadre du Congrès des maires, c’est pourtant devant une salle clairsemée que l’élu a lancé son appel à la mobilisation. Mais avec des crédits de la PAC et de la politique de cohésion en forte baisse entre 2021 et 2027 et de nombreux dysfonctionnements dans la programmation actuelle (en particulier pour le programme Leader), raviver la flamme n’est pas aisé. D'ailleurs, le commissaire aux affaires économiques et monétaires, Pierre Moscovici, en a conscience : "Les élections européennes de 2019 sont les plus difficiles, les plus importantes et les plus délicates depuis 1979." "De la physionomie du prochain Parlement européen dépendra la gouvernance, la maniabilité de l’Europe future. (…) S’il n’y a pas une majorité puissante en faveur de l’Union européenne, alors le système risque de se paralyser", a-t-il mis en garde.
Mais sur le terrain, le désarroi des maires rejoint bien souvent la colère des "gilet jaunes". Thibaut Guignard, maire de Ploeuc-l’Hermitage (Côtes-d'Armor) et président de Leader France, a témoigné du sentiment de "désaffection" et de "délaissement" de nombreux élus ruraux. Le programme de développement rural Leader en est actuellement à un taux d’engagement de 10% et un taux de paiement de 2% : "C’est le meilleur moyen de perdre les électeurs en cour de route", a-t-il fustigé.
"Quelque chose ne tourne pas rond", a reconnu Pierre Moscovici. Le "malaise des maires", qui se traduit dans la récente enquête du Cevipof (un maire sur deux prévoyant de ne pas se représenter en 2020) constitue bien selon lui, un "signal d’alarme". Or, d'après Pierre Moscovici, la "colère des territoires ruraux et périurbains", c’est "ce qui nourrit le populisme". "Il faut aller chercher l’Europe, ne pas hésiter à la solliciter", a-t-il aussi lancé, alors que bien souvent les enveloppes régionales de fonds structurels ne sont pas entièrement consommées. "Ne vous demandez pas ce que l'Europe peut faire pour vous, demandez vous plutôt ce que vous pouvez faire pour l'Europe", a-t-il également lâché.
Budget 2021-2027 : "Un paradoxe absolu"
L’année 2019 sera aussi celle de la négociation budgétaire sur le cadre financier pluriannuel 2021-2027. La proposition mise sur la table par la Commission au mois de mai prévoit un budget en baisse, à 1,11% du revenu national brut de l’UE, soit 1.135 milliards d’euros d’engagements (prix constants 2018) contre 1.138 dans le budget actuel, mais à 27 au lieu de 28. Pourtant, de nouvelles priorités doivent être financées. L’eurodéputée Isabelle Thomas (Alliance progressiste des socialistes et démocrate), co-rapporteur sur le budget pluriannuel au Parlement européen, a dénoncé ce "paradoxe absolu". "Malgré cette baisse, nous avons de plus en plus de compétences européennes. La défense, le terrorisme et la sécurité, le chômage des jeunes, l’accueil des réfugiés (…). Faire toujours plus avec toujours moins, à un moment donné, ça craque." C’est la politique agricole commune (PAC) et la politique de cohésion qui en feront principalement les frais. Leur part dans le budget total passerait de 70 à 58%. En France, l'enveloppe de la politique de cohésion serait en baisse de 5%. Mais pour le commissaire européen, la bataille budgétaire "n’est pas finie". "Les régions françaises doivent se mobiliser de manière extrêmement forte. (…) La politique de cohésion est indispensable à la France, il faut se battre pour elle."
Dans sa position adoptée mercredi 14 novembre, par 429 voix contre 209 et 40 abstentions, le Parlement européen préconise en effet un montant de dépenses de 1,3% du RNB. À titre de comparaison, le "budget fédéral américain est de 22% du PIB", a martelé Isabelle Thomas. "Nous essayons de sauver la politique de cohésion, la PAC le Feamp, le FSE", a-t-elle expliqué, disant le Parlement prêt à "un bras de fer" avec les États. "Soit on croit à l’Europe, soit on n’y croit pas. Si on y croit, on met un budget décent, sinon on arrête les grands discours." Isabelle Thomas se montre défavorable à une augmentation des contributions nationales pour financer le budget, privilégiant les ressources propres. "Dans les années 1990, 70% des recettes de l’UE provenaient des ressources propres, aujourd'hui c’est l’inverse, les contributions nationales représentent 80% contre 20% pour les ressources propres", a-t-elle expliqué, sachant que l’union douanière a notamment fait fondre la TVA.
Pierre Moscovici en a profité pour défendre le projet de taxe numérique visant les Gafa (correspondant à 3% du chiffre d’affaires) que les Vingt-Huit ont reporté d’un an, la semaine dernière, à la demande de l’Allemagne. "Je lance ici un appel à mes amis allemands, il est important qu’ils débloquent ce dossier."
Une stratégie intégrée de développement durable
Philippe Laurent, secrétaire général de l’AMF et président de l’Afccre (Association française des communes et régions d’Europe) a dressé le parallèle avec les réformes en France. "Nous vivons un peu la même chose dans nos communes. Augmenter les ressources propres de l’UE revient à créer une relation avec les citoyens. C’est exactement le contraire qu’on est en train de faire avec la disparition de la taxe d’habitation", a-t-il dit, avant de désigner le coupable : "Au coeur de cela, on retrouve toujours les États-nations."
"C'est dans le binôme région/Union européenne que réside l'avenir et non pas dans une recentralisation étatique qui n'aurait aucun sens", a abondé Pierre Moscovici. Pourtant, les régions et la Commission n’ont pas été exemptes de critiques. De nombreux élus se sont élevés contre les disparités régionales dans la gestion des fonds structurels. "Dans un même pays, sur un projet similaire, l’un va pouvoir le financer, l’autre non", a tancé Jean-François Barnier, le maire du Chambon-Feugerolles, près de Saint-Etienne (Loire), qui n’avait pu financer une piscine municipale en raison de critères régionaux trop stricts, alors que ces crédits sont sous-consommés. "Des funiculaires obtiennent des fonds européens, d’autres non. C’est une question de montage de projet, pas de la valeur des projets", a aussi dénoncé Agnès Le Brun, maire de Morlaix (Finistère), constatant au passage qu'en Espagne, les procédures étaient bien plus simples. "C’est la double peine si vous n’être pas éligible aux fonds européens, vous n’êtes éligible à rien."
Les maires réclament des moyens d’ingénierie et un accès plus facile aux fonds. Ce qui passe par une simplification des procédures. À cet égard, les propositions de la Commission suscitent quelques inquiétudes. En effet, à compter de 2021, pour obtenir des crédits, les maires devront avoir élaboré "une stratégie intégrée de développement durable", a expliqué Wallis Goelen-Vandebrock, cheffe de l’unité de développement territorial et urbain à la DG Regio. Ce sera "la fin du financement au coup par coup". "On va passer notre temps à faire des plans stratégiques, on va rajouter deux autres couches de complexité", a aussitôt réagi Christophe Rouillon, appelant plutôt la Commission à développer "la notion de collectivité de confiance".