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Territoires - Délocalisation de services : 10% du territoire fragilisé

Les délocalisations ne sont pas réservées à l'industrie : certains services aussi sont échangeables. En proposant une nouvelle grille de lecture, l'économiste El Mouhoub Mouhoud met en évidence la vulnérabilité de certains territoires. Et les métropoles ne sont pas les mieux loties.

"Le débat sur la réindustrialisation est biaisé car il considère les services comme non productifs." L'économiste El Mouhoub Mouhoud, qui s'est notamment fait remarquer pour ses travaux sur les relocalisations, est intervenu devant le Cner*, mardi 3 juillet, pour dire que la focalisation des pouvoirs publics et des médias sur les activités manufacturières pose deux problèmes : "une dramatisation en termes d'emploi" et "une sous-estimation des difficultés des services". Car il y a "une vieille croyance" selon laquelle ces derniers sont par nature des activités non-échangeables, non délocalisables. Or, rappelle le professeur de Paris Dauphine, la part de l'emploi industriel est tombé à 12% quand les services dans leur globalité représentent aujourd'hui les trois quarts de l'emploi en France. A se concentrer exclusivement sur l'industrie, on en oublie les services qui pour une part sont eux aussi délocalisables, prévient-il.  L'idée selon laquelle les services devaient servir de "réceptacle" des emplois perdus dans l'industrie serait erronée.
Près de 10% des bassins d'emploi (32 sur 341) seraient particulièrement exposés en cas d'intensification du commerce international. Il s'agit des zones situées dans le pourtour méditerranéen, la région Rhône-Alpes, l'Ile-de-France, une partie de Midi-Pyrénées et de l'Ouest. "Il n'existe pas d'observatoire des chocs, il y a pourtant des territoires qui vont subir un choc", alerte le chercheur.

Nouvelle typologie des services

Dans un rapport réalisé pour la Datar en 2010 (Economie des services et développement des territoires), l'économiste à la tête d'un groupe de travail a poussé plus loin l'analyse. Il propose une nouvelle typologie des activités tertiaires en distinguant six catégories de services classées en fonction de trois critères déterminants : le besoin d'accès aux ressources, l'économie d'agglomération et la proximité avec les clients. Ainsi, certaines activités apparaissent beaucoup plus vulnérables que d'autres. Le secteur le plus exposé aux vents de la mondialisation est celui des services informationnels associés à des fonctions de support : la maintenance informatique, les centres d'appels, les fonctions tertiaires d'exécution. Ils représentent 4% de l'ensemble de l'emploi en France.
A l'opposé, les services cognitifs et d'investissements immatériels (recherche fondamentale, enseignement supérieur, publicité, conseil en entreprise, marketing) ont un fort ancrage territorial. Ce secteur, qui autrefois était comptabilisé dans l'industrie, représente à lui-seul 13% des emplois de service et 10% de l'emploi total en France. "Cela relativise très largement le processus de désindustrialisation de la France", estime M. Mouhoud.
Au milieu se trouvent des actvités plus ou moins vulnérables. D'une part les services collectifs à forte économie d'échelle public ou privé (26% de l'emploi total) : services de santé et judiciaires, les activités cinématographiques, le commerce de détail, les services hospitaliers… Puis les services d'intermédiation comme la logistique, qui par nature n'ont pas à être proches des clients mais qui ont un besoin d'accès aux ressources (foncier) et sont souvent rattachés à une agglomération, les services immatériels de consommation finale (tourisme, culture…) qui ont seulement besoin d'accès aux ressources (foncier, soleil…), soit 1,5% de l'emploi, et enfin, les services de consommation intermédiaire et finale de proximité (banques, commerce de proximité).

Favoriser les aides sur les personnes

Quand on passe ainsi les territoires au crible, les métropoles n'apparaissent pas forcément comme les mieux armées pour affronter la mondialisation. Depuis les années 1980-90, elles sont confrontées à un phénomène de "répulsion" de la part de leurs habitants à l'inverse des villes moyennes qui sont dans une "dynamique locale". L'arrivée de ces nouvelles populations crée de nouvelles activités qui vont à leur tour attirer des activités industrielles : "Le vieux modèle des ménages qui suivent les emplois dans les grandes agglomérations est rentré en crise, on assiste à une inversion de la causalité de la localisation des ménages et de l'emploi", en conclut le chercheur. En clair, les services auraient détrôné l'industrie comme moteur pour les autres activités…
Tout ceci doit conduire à mieux orienter les politiques publiques et à anticiper les mutations. L'économiste propose de concentrer les aides sur les personnes et les territoires plutôt que sur les entreprises. Un choix fait par le président Kennedy en 1962 avec "un fonds d'ajustement à la population", rappelle-t-il. "Alors que les plus qualifiés bougent et les non qualifiés ne bougent pas, les collectivités auraient tout intérêt à avoir une action sur l'aide à la mobilité et sur la formation."
Enfin, la question des services publics ne devrait pas être uniquement abordée en termes "de rationnalisation des choix budgétaires en valeur absolue", mais en fonction de leur contribution au développement économique.

 Michel Tendil

BPI et redressement productif : le Cner plaide la régionalisation

Le jour où les régions ont présenté leurs propositions pour un nouvel acte de la décentralisation, les agences de développement économique sont allées dans leur sens en demandant que la banque publique d'investissement soit "véritablement régionalisée". Dans une position officielle présentée le 4 juillet, le Cner, la fédération des agences de développement, souhaite que la banque s'appuie sur les collectivités et leurs agences "afin que les actions menées soient les plus adaptées possibles aux besoins économiques spécifiques de chaque territoire". Le Cner considère aussi que le débat se focalise trop sur l'offre de fonds propres des PME. "Certains économistes montrent que l'offre de fonds propres est surabondante et sous-utilisée", constate-t-il, alors que les besoins des PME sont beaucoup plus diversifiés : prêts ordinaires, prêts participatifs, crédits de campagne, fonds de roulement, garanties…
Le Cner salue par ailleurs la mise en place des 22 commissaires au redressement productif mais regrette que "les collectivités territoriales [soient] peu impliquées dans le dispositif alors même qu'elles disposent d'outils". Le Cner rejoint la position du président du conseil régional des Pays de la Loire, Jacques Auxiette, qui dans un courrier du 18 juin adressé au ministre de l'Economie a demandé que "les commissaires soient placés sous l'autorité conjointe des préfets et des présidents de région". Ces "lieux neutres" que sont les agences de développement "pourraient être d'une grande utilité au commissaire au redressement productif" qui y trouverait "un moyen d'agir immédiatement et à moindre coût". Le Cner prend en exemple l'agence régionale de Paca "qui a mis en place et anime un groupe mensuel de suivi réunissant tous les mois Sgar, Direccte, région, CDC, etc., pour traiter et prendre des décisions sur des entreprises en difficultés, mais aussi sur des projets d'implantation, d'extension d'entreprises".
M.T.

* Fédération des agences de développement et des comités d'expansion économique

 

 

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