David Lisnard : "Les maires veulent simplement pouvoir travailler"
Décentralisation, finances locales, transition écologique, sécurité, logement, ZAN… A la veille du 105e congrès des maires qui s'ouvre ce 20 novembre par la réunion des élus d'outre-mer et sera clôturé jeudi 23 novembre par Elisabeth Borne, le président de l'Association des maires de France, David Lisnard, évoque pour Localtis quelques-uns des sujets d'actualité autour desquels vont s'articuler les débats. Le tout dans un climat de "défiance envers les élus locaux"… et de multiples tensions.
Localtis – L'intitulé choisi pour ce congrès frappe par sa tonalité grave voire alarmante. "Communes de France attaquées, République menacée"… Faut-il y voir en premier lieu un écho aux violences du début de l'été, ainsi qu'aux agressions dont sont régulièrement victimes des élus locaux ? Les enjeux de sécurité vont-ils avoir une importance particulière dans les débats cette année ? Y compris aujourd'hui celui de la sécurité des écoles…
David Lisnard – Les maires font face avec dignité, dévouement et courage à une hausse des incivilités quotidiennes comme des actes violents. Lorsqu’il y a quelques années, nous étions principalement confrontés à des contraventions, nous sommes désormais exposés à des actes délictuels, voire criminels. C’est une réalité vécue que les chiffres viennent corroborer : les coups et blessures volontaires ont augmenté de 15% en 2022, les homicides de 9%, les émeutes de l’été ont touché plus de 550 communes et les actes de violence à l’encontre des élus ont subi une hausse de 32% en 2022. Nous aurions déjà dépassé cette année le nombre d’agressions de l’an passé, le phénomène ne tend donc pas à diminuer.
C’est une problématique majeure pour notre démocratie qui ne peut prospérer dans un climat violent, anxiogène et de défiance envers les élus locaux. Les premiers à pâtir de cette situation, ce sont les habitants. Vous évoquez la sécurité des écoles, depuis les attentats de 2015, l’AMF suit de près la problématique et a fait des propositions. Le Congrès de cette année rendra un hommage aux professeurs Paty et Bernard, victimes du terrorisme islamiste et nous donnerons la parole à Mickaëlle Paty.
La défiance envers les élus locaux c’est aussi, dans un autre registre, lorsque l’Exécutif recentralise la fiscalité locale et les compétences des collectivités au détriment de la subsidiarité. Les maires et présidents d’intercommunalités ne demandent ni traitement de faveur, ni à être consolés. Ils demandent du respect, de la considération, de la reconnaissance pour toutes les missions qu’ils accomplissent. C’est cela le fil rouge de notre 105e Congrès.
Sur les enjeux de finances locales, l'AMF a notamment jugé que le projet de loi de finances pour 2024 comprend des avancées en matière de soutien à l'investissement mais ne permettra pas de préserver les recettes de fonctionnement. Quelles sont aujourd'hui vos principales demandes ?
Les maires veulent simplement pouvoir travailler. L’AMF plaide donc pour une stabilité en euros constants des dotations, pour donner de la visibilité financière aux collectivités, par une remise à plat des critères de la DGF, notamment concernant le calcul du potentiel fiscal.
Le discours vis-à-vis de la fiscalité locale doit également changer, les collectivités locales sont un atout pour l’équilibre des comptes de la Nation. Nous finançons 70% de l’investissement public et nos dépenses totales représentent moins de 12% du PIB, ce qui est très inférieur à la moyenne européenne à 18%. Nous contribuons par ailleurs à la réduction du déficit de l’État depuis 2010 à hauteur de 62 milliards d’euros pour le seul bloc communal, avec l’encadrement, le gel puis la réduction et enfin la non-indexation de la DGF. Les taxes locales participent aussi à la réduction du déficit de l’État puisque la CVAE supprimée pour les collectivités locales en 2023, continuera d’être encaissée par l’État jusqu’en 2027. Il en a été de même pour la taxe d’habitation sur les résidences principales encaissée par l’État en 2021 et en 2022.
La suppression des ressources locales, insuffisamment compensées, aggrave en outre le déficit du budget de l’État, car il conduit à la multiplication des dispositifs types "filets de sécurité". Les maires et présidents d’intercommunalités veulent récupérer du pouvoir fiscal et en rendre compte devant les habitants.
Le premier grand débat du congrès sera consacré à la transition écologique… "dans le respect des libertés locales". Que faut-il entendre derrière cette précision ?
Premier grand débat certes, mais le Congrès aura commencé la veille par une journée dédiée aux outre-mer où nous aurons débattrons notamment des sujets climatiques et environnementaux.
Pour répondre à votre question, le respect des libertés locales, c’est intégrer que les élus locaux agissent depuis des années en faveur de la transition écologique et que vouloir leur imposer par exemple des "budgets verts" relève de l’artifice.
Respecter les libertés locales serait pour l’Etat de ne pas sélectionner les établissements bénéficiaires de la rénovation énergétique alors que le bâti scolaire relève de la compétence des communes, ne pas prétendre "territorialiser" la planification écologique et la relance des CRTE, alors que les aides demeurent à la main des préfets sur des critères abscons, freinant la capacité des communes à porter des solutions innovantes adaptées à leur territoire.
Au moment même où l'exécutif évoque un nouveau round de décentralisation, l'AMF fustige souvent une "recentralisation rampante". Que désignez-vous plus particulièrement ?
Recentralisation financière évidente par la concentration sur les seuls propriétaires de la fiscalité locale et la mise sous perfusion étatique des impôts locaux. Recentralisation aussi des pouvoirs de décision par nombre de contraintes bureaucratiques et autorisations préalables à toute action. Quant aux annonces de décentralisation, quels sont les actes ?
Lorsque l’Exécutif transfère une charge sans la compenser alors même qu’il nationalise des impôts locaux, ce n’est pas de la décentralisation. Nous l’avons vu avec le périscolaire, la petite enfance, la prévention, la sécurité avec les polices municipales de plus en plus nécessaires, le financement de grandes infrastructures ferroviaires, l’environnement… Les collectivités cofinancent sans avoir de compétences directes.
Or, lorsque l’échelon local a les moyens d’investir pour créer des équipements sportifs et culturels, des crèches, des écoles et des logements, le pays va mieux. Laissons les maires et présidents d’intercommunalités agir et que l’Etat contrôle a posteriori le respect du droit. Cela s’appelle la subsidiarité et c’est l’avenir. En tout cas, je le souhaite.
Un premier texte de décentralisation est attendu sur le terrain du logement. Vous craignez que la commune ne soit pas suffisamment reconnue comme acteur du logement, et notamment du logement social. En quoi les intercommunalités, qui deviendront des autorités organisatrices de l'habitat, ne seraient-elles pas le bon échelon ?
Ce n’est pas exactement notre propos. Le ministre du Logement a adressé un courrier sans concertation aux préfets les invitant à conclure des contrats d’engagements réciproques avec les seules intercommunalités. Or, les communes sont le maillon essentiel de la politique du logement, par exemple en délivrant des permis de construire ou en assumant les conséquences de la loi SRU. C’est la vision supracommunale de l’intercommunalité que l’AMF dénonce. Et je rappelle que l’AMF est représentative des intercommunalités au même titre que des communes.
L'AMF a beaucoup bataillé sur le ZAN mais semble aujourd'hui plutôt satisfaite par la loi du 20 juillet. Vous mettez aujourd'hui l'accent sur les enjeux financiers avec, notamment, la régulation des prix du foncier…
Le législateur a créé une usine à gaz centralisée et verticale qui ne satisfait personne. Toutefois, les élus respectent la loi et ne sont pas favorables à l’artificialisation des sols. L’AMF a dénoncé de façon constante et cohérente le ZAN tel qu’il était conçu dans le projet de loi climat et résilience. La loi du 20 juillet a atténué les effets négatifs et pervers. C’est en responsabilité que l’AMF poursuit son travail de propositions pour améliorer les choses, comme nous l’avons fait au cours des débats parlementaires.
Nos "20 propositions pour répondre aux besoins de financement des collectivités liés à l'atteinte de l'objectif ZAN" s’inscrivent dans ce contexte, mais ne règleront pas le défaut initial de conception du dispositif qui posera des difficultés inextricables dans certains secteurs.
Ce 105e congrès connaîtra quelques évolutions par rapport aux éditions précédentes, indiquait David Lisnard le 8 novembre en présentant l'événement à la presse. "Nous avons souhaité ajouter de la solennité à certains moments, mais aussi offrir de la profusion dans les débats, avec des séquences parfois plus courtes", relevait-il. |