Crise énergétique : Paris et plusieurs grandes villes font assaut de propositions pour réduire leurs consommations
L'hôtel de ville et la tour Eiffel plongés plus tôt dans le noir : le surnom de "Ville Lumière" accolé à Paris va perdre une partie de sa raison d'être dès le 23 septembre, avec une extinction avancée de l'éclairage des bâtiments municipaux, en raison de la flambée des coûts de l'énergie. D'autres grandes villes comme Lille, Marseille, Lyon ou Bordeaux multiplient les initiatives pour réduire elles aussi la consommation d'énergie, tout comme certaines collectivités rurales.
Éclairage ornemental raboté, température des bâtiments et des piscines abaissée : après Lille et Marseille, qui ont déjà annoncé des mesures similaires, la capitale veut "donner l'exemple" avec une baisse de sa consommation d'énergie de 10%, soit "l'objectif demandé au niveau national", a annoncé la maire PS Anne Hidalgo lors d'une conférence de presse ce 13 septembre. À ces premières mesures, qui doivent permettre de réaliser "dès les prochaines semaines" environ 60 gigawattheures d'économies, soit 80% de l'objectif recherché, viendront s'en ajouter d'autres "avant l'hiver", a prévenu la mairie.
Pour Paris, ville au budget de 8 milliards d'euros qui payait jusqu'ici 54 millions d'euros son gaz et son électricité annuels, l'explosion des prix de l'énergie ces derniers mois entraîne un surcoût potentiel de 35 millions, a indiqué Anne Hidalgo.
Extinction des façades des bâtiments municipaux parisiens dès 22h
À partir du 23 septembre, Parisiens et touristes vont s'apercevoir de la différence avec la fin de l'éclairage des façades des bâtiments municipaux dès 22h (20h GMT). Sont concernés l'emblématique hôtel de ville, plongé jusqu'ici dans le noir à 1h du matin (23h GMT), les mairies d'arrondissement, les quatorze musées municipaux (Petit Palais, Carnavalet), la tour Saint-Jacques... Également aux mains de la ville, la tour Eiffel s'éteindra désormais au départ du dernier visiteur, soit 23h45 (21h45 GMT), au lieu de 1h du matin précédemment. Anne Hidalgo va demander à l'État de "faire la même chose" pour les monuments nationaux, et aux propriétaires privés de prendre des mesures "pour aller dans le même sens". Anne Hidalgo a en revanche écarté la fin de l'éclairage des rues pour des raisons "de sécurité". Les ponts et les églises ne seront pas non plus concernés. La ville compte également investir 286 millions d'euros dans la rénovation de l'éclairage public pour le rendre 60% moins énergivore qu'un quart de siècle plus tôt.
Sans surprise, elle va également baisser d'un degré la température dans ses bâtiments, y compris pour l'eau dans sa quarantaine de piscines. De 19°C, le thermomètre va ainsi passer à 18°C dans les bâtiments en journée, et à 12°C quand ils seront inoccupés le soir et le week-end. Cette application ne concernera pas les lieux accueillant les publics vulnérables, comme les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et les crèches, et elle sera "progressive, en fonction de la qualité du bâti", souligne la mairie. La ville va aussi doublement décaler la mise en chauffe de ses bâtiments administratifs : à la fois le matin, "de 30 minutes", et d'octobre à novembre "pour s'approcher de la période hivernale", a également annoncé Anne Hidalgo.
La maire, en poste depuis 2014, a rappelé l'investissement réalisé depuis de "dix milliards d'euros pour la transition écologique", dont un milliard dans la rénovation thermique des bâtiments. Alors que les copropriétés privées représentent 40% de la consommation parisienne, contre 4% pour les services municipaux, l'adjoint (EELV) à la transition écologique Dan Lert a rappelé les moyens alloués pour "tripler, par rapport à l'ancienne mandature, le nombre de logements privés rénovés d'ici la fin du mandat" en 2026. La mairie veut atteindre 40.000 logements rénovés par an à l'horizon 2030. Quant aux logements sociaux, près de 60.000 d'entre eux ont déjà été rénovés, pour un gain énergétique moyen de 54%, soit une économie annuelle de 400 euros par famille, fait valoir la mairie.
Face à cette crise et au réchauffement climatique, "nous devons accélérer la transition énergétique", a insisté Anne Hidalgo qui demande la mobilisation de tous les acteurs, "privés comme publics", et va prier les gros consommateurs de la capitale (immeubles de bureaux, hôtels, supermarchés, grands magasins, etc...) de baisser eux aussi leur consommation d'au moins 10%.
Éclairage public : Bordeaux veut réduire la facture de 20%
Les autres grandes villes multiplient également les initiatives pour limiter la facture énergétique. En matière d'éclairage, Lille, a devancé Paris début septembre en cessant d'éclairer les bâtiments publics la nuit, sauf sur la Grand'Place et la place de l'Opéra, ce qui lui permettra selon elle d'économiser 170.000 kWh par an. Marseille a acté une mesure similaire avec l'extinction des feux à 23h30, et à 22h30 en hiver, pour ses 140 monuments, avec Notre-Dame-de-la-Garde pour seule exception. La mairie de Toulon veut atteindre le même objectif "le plus vite possible". À partir de janvier, la ville de Bordeaux "éteindra 55% de ses points lumineux de 1h à 5h du matin", a annoncé son maire, Pierre Hurmic, ce 14 septembre. L'édile prévoit également "d'éteindre l'illumination de 90% des bâtiments publics". "L'État nous demande de faire 10% d'économies d'énergie. À Bordeaux nous sommes plus ambitieux, nous réduisons de 12% les consommations énergétiques de la ville et nous réduisons de 20% notre facture d'éclairage public", a-t-il assuré. "C'est un effort important et nécessaire pour réduire la facture énergétique de la ville, dont l'augmentation pourrait s'élever à environ 20 millions d'euros", a avancé le maire.
À Besançon, depuis juillet 2021, l'emblématique citadelle Vauban n'est plus éclairée systématiquement la nuit "pour baisser la consommation d'énergie, préserver la biodiversité et limiter la pollution lumineuse", selon la maire, Anne Vignot. Les mêmes raisons sont invoquées par la ville de Montpellier, qui a validé et accentué en avril une expérimentation d'extinction de l'éclairage public sur cinq axes routiers.
Les grandes villes ne sont d'ailleurs pas les seules à éteindre la lumière : ainsi en Nouvelle-Aquitaine, Libourne, Saint-Sever ou le syndicat Énergies Vienne, qui gère le service public de l'énergie dans 220 communes rurales du département, ont décidé de s'en priver la nuit. Ces mesures de rationnement s'accompagnent généralement du remplacement annoncé des ampoules par du LED.
Réduction des températures des bâtiments, recours aux énergies renouvelables...
Pour réduire la température des bâtiments, Paris a emboîté le pas à Lille. La métropole nordiste avait marqué les esprits en annonçant une baisse de 2 degrés - de 20 à 18 - dans deux musées, une baisse équivalente de la température de l'air et de l'eau dans les piscines municipales, ou encore deux heures de chauffage en moins en fin de journée dans les salles de sport. À Lyon, la métropole a arrêté à 19°C la consigne de chauffe cet hiver dans son patrimoine pour faire face au doublement anticipé (de 55 à 100 millions d'euros) des coûts de l'énergie en 2023. La même température vaudra pour les communes rurales de la Vienne, avec un système de bonus/malus pour récompenser les municipalités les plus économes, et à Marseille, qui a par ailleurs fixé à 26°C le palier pour la climatisation l'été dans ses locaux. À Libourne, le maire Philippe Buisson a carrément décidé "de ne quasiment plus chauffer les gymnases", maintenus à... 10 degrés, sauf pour les douches et les vestiaires. Bordeaux, elle, va ramener le chauffage à 19 degrés dans les établissements culturels et les écoles, et même 12 degrés dans les grands gymnases. Dans les piscines, la température de l'eau comme de l'air "sera baissée", indique aussi la municipalité sans plus de précision. L'ambition de Bordeaux est d'augmenter fortement son autonomie énergétique, de 7 à 41% d'ici 2026, en développant les énergies renouvelables et en réduisant sa consommation, a annoncé son maire, Pierre Hurmic, ce 14 septembre. "Nous n'avons pas attendu cette crise pour travailler sur l'autonomie énergétique de nos bâtiments les plus énergivores, a déclaré l'élu écologiste lors de sa conférence de presse de rentrée. L'équipe municipale travaille depuis deux ans à la réduction de nos consommations énergétiques et au développement des énergies renouvelables", a-t-il souligné. La ville doit ainsi livrer avant la fin 2023 dix installations solaires et compte couvrir 27% de sa consommation annuelle d'électricité avec du photovoltaïque d'ici la fin de la mandature en 2026. Elle prévoit aussi de se débarrasser du gaz pour l'alimentation de ses piscines qui seront raccordées à des réseaux de chaleur (géothermie ou bois).
Nice brandit un plan de "sobriété et sécurité énergétique"
Nice et sa métropole visent pour leur part une baisse de 10% de leur consommation d'énergie dès l'automne, et ce "sans perte d'activité", grâce notamment à la fermeture de bureaux et une réduction de l'éclairage public, a annoncé ce 14 septembre lors d'une conférence de presse le maire ex-LR Christian Estrosi. Mais "aucune activité sportive ou culturelle ne sera impactée et les piscines ne fermeront pas", a-t-il promis, stigmatisant des annonces "gadget à Paris ou Lille", comme "l'extinction de l'éclairage de la Tour Eiffel". Pour faire face à la crise énergétique, un plan de "sobriété et sécurité énergétique" prévoit la fermeture de 6.000 m2 de bureaux et locaux administratifs par an dès 2022, pour un total de 18.000 m2 en 2024 ; le passage à 90% de véhicules électriques en 2026 (contre 60% aujourd'hui) ; et le passage à 30% des agents en télétravail en 2023, contre 20% fin 2022. L'extinction de l'éclairage de certains bâtiments et des axes routiers "sécurisés", de 23h00 à 05h00 à compter d'octobre, est également programmée, ainsi que des mesures pour "renforcer la transition écologique", dans le cadre du plan "Climat-Energie 2026". Interrogé sur une éventuelle baisse de la température dans les bureaux, Christian Estrosi a répondu que des "horloges thermiques" seront installées. "La baisse des températures dans les bâtiments publics ne permet pas de faire plus d'économie que les programmes d'isolation", a-t-il estimé.
Dans un contexte de forte hausse des prix de l'énergie, Nice et sa métropole avaient "anticipé" grâce à un dispositif d'achat groupé qui a permis "une baisse de 15% par rapport au prix du marché", selon l'élu. Dans les stations de ski de la métropole, comme Auron ou Isola 2000, des mesures d'économies seront prises, dont une baisse de la vitesse des remontées mécaniques en période de faible affluence et une production de neige de culture "aux heures creuses".