Congrès des maires – Recul du trait de côte : les communes du littoral réclament d’urgence un fonds national pérenne
Dénonçant l’inaction persistante des gouvernements successifs, les communes du littoral, par les voix de l’Association des maires de France (AMF) et de l’Association nationale des élus du littoral (Anel), ont profité du Congrès des maires pour réclamer d’urgence la mise en place d’un fonds national et pérenne dédié pour les aider à faire face aux conséquences de l’érosion du trait de côte. Le fonds serait alimenté par des "contributions nouvelles", qui reposeraient davantage sur les touristes que sur les résidents. Lesquels ne cessent de voir leurs rangs grossir, en dépit des alertes. Une pression à laquelle certains élus semblent avoir de la peine à résister.
Le Congrès des maires a été l’occasion pour l’Association des maires de France (AMF) et l’Association nationale des élus du littoral (Anel) d’unir leurs voix pour lancer un "appel solennel" sur "l’urgence absolue de mettre en place un financement dédié à la gestion de la bande côtière" pour pouvoir faire face à l’érosion du trait de côte. Lors d’un forum dédié à la question, les élus ont rappelé l’importance des enjeux, dernier rapport du Cerema à l’appui (voir notre article du 8 avril).
Le silence amer de l’État
Le président de l’Anel et maire des Sables-d’Olonne, Yannick Moreau, est particulièrement remonté. "La loi Climat a opéré un transfert de charges et de compétences sur le dos des communes sur la question de l’érosion, sans financement associé", dénonce l’élu. Un transfert qui avait conduit les deux associations à se tourner vers le Conseil d’État, en vain (voir notre article du 17 octobre 2023). "Depuis la loi, on se bat pour avoir un financement qui nous a été promis par les ministres successifs (…), mais ça n’arrive pas en haut de la pile", déplore-t-il. "Ce silence et cette indifférence ne sont plus tolérables", s’insurgent dans un communiqué les deux associations. Pourtant, "ce n’est pas faute d’avoir fait des propositions", se lamente l’élu. Les associations réclament la mise en place d’un fonds national dédié et pérenne, qui serait alimenté par des "ressources nouvelles" – compte tenu "de la situation financière préoccupante que nous laissent en héritage les décisions budgétaires de ces dernières années" –, mais "géré par les élus locaux". Une solution proche du "fonds d’aménagement littoral" proposé en 2019 par le député Stéphane Buchou (voir notre article du 29 novembre 2019), avec néanmoins des modalités de financement différentes.
Solidarité nationale ou locale ?
Si l’ancien président de feu le comité national de suivi pour la gestion intégrée du trait de côte suggérait de le doter grâce à une augmentation de la taxe communale additionnelle aux droits de mutation immobilière prélevée sur le périmètre des intercommunalités disposant d’une façade littorale (un outil naguère jugé "approprié" par Yannick Moreau – voir notre entretien du 10 octobre 2023), donc par les résidents, le même Yannick Moreau en appelle surtout à "la solidarité nationale", en relevant que "les populations du littoral ne sont pas les seules responsables du changement climatique". "C’est soit le contribuable national, soit l’usager", précise son binôme de l’AMF, Dominique Cap, maire de Plougastel-Daoulas (Finistère), avec une préférence avouée pour solliciter plutôt ce dernier, compte tenu "du ras-le-bol fiscal". Et sans doute un peu aussi compte tenu de la difficulté à justifier pourquoi le contribuable d’une commune du Cantal en déprise devrait mettre la main à la poche pour aider des communes du littoral souvent "plus attractives et riches" que la sienne. "On a la chance d’avoir des territoires tous globalement plus attractifs que la moyenne, pas les plus pauvres en moyenne du pays non plus. Cette richesse-là, c’est aussi assumer des charges", observe ainsi Sébastien Miossec, maire de Riec-sur-Belon (Finistère). "Aide-toi et le ciel t’aidera", invoque l’élu, en plaidant pour que l’échelle intercommunale soit "aussi une échelle de solidarité de proximité". Laquelle, à entendre l’expérience du maire de Quiberville (Seine-Maritime) Jean-François Bloc, peine à prendre corps, avec des communes du rétro-littoral guère enclines à prendre leur part. Elles sont pourtant concernées au premier chef, pointe Sébastien Dupray, du Cerema, en relevant que si les communes du littoral sont "en première ligne" face à l’érosion du trait de côte, ce dernier pose "une vraie question d’aménagement du territoire", ne serait-ce que via l’effacement de réseaux routiers.
Le touriste plutôt que le résident
La justification est plus aisée à trouver pour faire contribuer l’usager, Dominique Cap soulignant qu’il n’apparaît pas illogique "de demander à ceux qui veulent profiter du littoral de participer à son entretien". Une forme de principe "profiteur-payeur" en somme, qui ne s’appliquerait toutefois principalement qu’à l’allochtone, puisque l’élu évoque "une taxe de séjour moins encadrée, avec un peu de liberté locale" – concrètement l’introduction d’une "éco-contribution" de 50 centimes d’euro par nuitée – ou une taxe sur les plateformes de location saisonnière, décidément dans le viseur (voir notre article du 7 novembre). Autres pistes suggérées, la taxe Gemapi – "un système aussi très contraint", déplore au passage l’élu –, solution également préconisée par le rapport inter-inspections, ou la ponction d’une fraction des recettes qui seront tirées des éoliennes en mer situées au-delà des 12 miles nautiques (voir notre article du 3 mai).
Construire les villes littorales à la campagne ?
Sur le fond, les débats ont notamment porté sur l’opportunité de tenter de résister aux phénomènes naturels : principalement, l’élévation du niveau de la mer – "le fond de sauce", dixit Yannick Moreau –, mais aussi "l’impact très fort du changement des régimes de tempête", sur lequel attire l’attention Sébastien Dupray. Sans oublier l’enfoncement de l’île de Mayotte, dû à l’activité d’un volcan sous-marin à 50 km des côtes, pointé par Madi Madi Souf, maire de Pamandzi. Pour Emmanuel Alzuri, maire de Bidart (Pyrénées-Atlantiques), le pragmatisme s’impose : il faut "parfois défendre, de manière dure ou avec des solutions fondées sur la nature, et parfois accepter de reculer". "Les solutions doivent être adaptées à chaque territoire", insiste Sébastien Dupray. "Que les choses soient claires : on se refuse à l’idée de ne pas préparer un avenir possible sur les littoraux. On ne va pas tous déménager en Corrèze ou dans le Cantal !", prévient Yannick Moreau.
Navigation à l’aveugle
Quel qu’il soit, l’exercice est malaisé, notamment du fait d’un "contexte juridique qui n’est pas fixé", note ce dernier. Outre de la visibilité sur les financements, il réclame ainsi de "la lisibilité sur ce qu’on aura le droit de faire ou de ne pas faire", et regrette que "le Comité national du trait de côte n’a[it] pas encore accouché d’une stratégie nationale (…), avec laquelle on a besoin de conjuguer les stratégies locales" (lesquelles se font encore rares, selon un rapport inter-inspections IGEDD/IGA - voir notre article du 21 mars). La maire de Saint-Pierre Quiberon, Stéphanie Doyen, regrette en particulier "le manque d’outil juridique pour capter du foncier", en dénonçant plus largement un "déni collectif" sur la question de l’érosion du littoral. Dominique Cap renchérit : "La prise de conscience des élus locaux est réelle, mais elle est nulle chez tous les autres acteurs". Il en veut pour preuve un marché immobilier toujours dynamique, avec "des gens qui disent j’en profite pendant vingt ans, et on verra bien dans vingt ans", ce qui témoigne peut-être davantage de l’inconséquence que de l’inconscience. Une démarche dont le maire du Pouliguen, Norbert Samama, souligne qu’elle peut également être rationnelle, en prenant argument du mauvais signal adressé "par un État pas cohérent dans sa démarche" en décidant d’indemniser les co-propriétaires de l’emblématique immeuble Le Signal (voir notre article du 10 novembre 2020).
Responsabilité bien ordonnée…
"Nous prenons nos responsabilités, à l’État de faire de même", répète à l’envi Yannick Moreau. Les débats ont toutefois montré que la généralisation était à manier avec précaution. "Il y a encore des territoires littoraux qui n’ont pas de document d’urbanisme. Ils sont en règlement unique et appliquent du coup un code national", déplore ainsi Stéphane Buchou, pour qui "l’adoption d’un document d’urbanisme, c’est la première expression de notre sens des responsabilités (…). On se plaint assez d’un État trop peu décentralisé". Un document qui n’est, quoi qu’il en soit, pas une panacée. En témoigne l’intervention du maire du Pouliguen, qui souligne que certains élus ont du mal à résister à "la pression extrêmement forte de nos populations pour venir s’installer au bord de nos côtes". Et d’invoquer ainsi "des Scot qui sont en train d’envisager des augmentations de population à hauteur de 45%, voire 50% sur vingt ans. Notre responsabilité d’élus, elle est aussi là".