Comptabilités locales : "La M57 améliore la gestion financière des collectivités"

Déjà appliqué par plus de la moitié des collectivités, le référentiel budgétaire et comptable M57 sera généralisé au 1er janvier 2024. Dans une interview à Localtis, Philippe Gac, chef du bureau "Comptabilités locales" à la direction générale des finances publiques (DGFIP) livre ses conseils aux collectivités et groupements qui se préparent à cette échéance. L'intérêt de la réforme pour les collectivités est réel, souligne-t-il. Novateur, le nouveau référentiel "intègre des dispositifs visant à assouplir le cadre budgétaire local". La généralisation de la M57 constitue aussi une étape vers le déploiement du compte financier unique dans l'ensemble des collectivités.

Localtis - Combien de collectivités territoriales et groupements de communes sont appelés à passer au référentiel M57 au 1er janvier 2024 ?

Philippe Gac - Le nombre de collectivités locales appliquant le référentiel M57 évolue très rapidement depuis 2021 sous l’impulsion des services de la DGFiP et grâce à la très forte mobilisation de ses services au plan local (directions départementales, comptables publics, conseillers aux décideurs locaux). À la fin de 2021, environ 800 comptabilités locales – budgets principaux et budgets annexes – appliquaient la M57. Au 1er janvier 2022, on est passé à quelque 11.000 comptabilités locales mettant en œuvre la M57. Puis, le 1er janvier 2023, la bascule, qui s'est opérée sur la base du volontariat des collectivités, a concerné 36.500 comptabilités, représentant 25.800 budgets principaux. Au total, sur un périmètre de 87.000 comptabilités éligibles à la M57, ce sont donc près de 48.800 comptabilités (soit 56%) qui fonctionnent déjà, aujourd'hui, sous ce mode. Celles-ci représentent 33.400 budgets principaux. Autre chiffre intéressant : depuis le 1er janvier dernier, 23.320 communes (c'est-à-dire plus des deux tiers d'entre elles) déploient la M57, dont 21.600 communes de moins de 3.500 habitants. Ce sont ainsi, au total, près de 37.000 comptabilités, représentant près de 26.000 budgets principaux, qui doivent passer à la M57 au 1er janvier prochain. La vague est, certes, importante, mais elle est comparable à celle qui a été passée au 1er janvier 2023. Les services de la DGFIP ont, donc, déjà l'expérience de ce type de bascule massive.

La date du 1er janvier 2024 est-elle impérative ? Un délai sera-t-il laissé aux retardataires ?

La généralisation du référentiel M57 doit avoir lieu au 1er janvier 2024, sans qu'aucun texte ne l'exige, à l'heure actuelle. C'est un droit d'option des collectivités qui prévaut. Pour mémoire, en ce qui concerne déjà la M14, il n'existait aucun texte qui obligeait l'ensemble des communes et établissements publics de coopération intercommunale à l'appliquer. Pour autant, nous travaillons à l'introduction dans le projet de loi de finances pour 2024 d'une disposition, qui vise à rendre obligatoire l'application du référentiel M57. Tant du côté de la DGFIP que de la DGCL [direction générale des collectivités locales, NDLR], le but est que le maximum de collectivités bascule en M57, le 1er janvier prochain. Mais, nous savons que quelques collectivités ne seront pas en mesure de le faire, et continueront donc à appliquer la M14. La disposition législative en question sécurisera ces situations-là, afin que les collectivités concernées puissent bien exécuter leur budget 2024.

Quels sont les avantages attendus de la généralisation du déploiement du référentiel M57 ?  Peut-elle constituer une réelle opportunité pour les collectivités ?

Le référentiel M57 est le plus novateur en termes budgétaire et comptable. En effet, il intègre des dispositifs visant à assouplir le cadre budgétaire des collectivités locales, par exemple au travers de la gestion pluriannuelle des crédits budgétaires. De plus, il est le seul référentiel comptable qui intègre de nouvelles normes comptables validées par le normalisateur, comme l'amortissement prorata temporis. Au-delà, le changement de plan de comptes offre l'occasion pour la collectivité de réinterroger ses procédures d'exécution des recettes et des dépenses. C'est pour elle l'opportunité de se réapproprier certains dispositifs qui peuvent avoir été perdus de vue - tel que le rattachement des charges et produits à l'exercice ou le provisionnement des risques - ou de mettre en œuvre une gestion active des actifs immobilisés, fondée sur la tenue d'un inventaire comptable et physique. Le passage à la M57 permet, donc, d'améliorer la gestion financière des collectivités locales. Enfin, il débouche sur une simplification d'envergure, puisqu'il s'accompagne de la suppression de cinq instructions budgétaires et comptables. La M57 sera utilisée par l'ensemble des catégories de collectivités. En effet, seuls les services industriels et commerciaux continueront à utiliser un référentiel spécifique (M4). Les agents territoriaux chargés de la fonction financière, qui changeront d'employeur - en passant, par exemple, d'une commune à un EPCI, puis de ce dernier à un département - travailleront sur le même référentiel. En termes de mobilisation de l'information et de rationalisation du dispositif de formation, il y a un gain. C'est aussi une mesure de simplification administrative.

La généralisation de la M57 constitue aussi un préalable au déploiement du compte financier unique (CFU), qui, à terme, doit réunir le compte administratif produit par l'ordonnateur et le compte de gestion établi par le comptable public…

Il existe deux prérequis pour basculer au CFU : la dématérialisation des documents budgétaires et l'application de la M57. Donc, oui, la généralisation de la M57 est le premier pas vers la production du compte financier unique. Les deux sujets s'enchaînent très logiquement. Les collectivités l'ont d'ailleurs bien perçu : la perspective du passage au CFU est l'un des éléments clés de la motivation pour basculer en M57. Or, elles ont une vraie appétence pour ce sujet, comme le montre le succès de l'expérimentation du CFU, et cela sans démarche nécessairement proactive de la part de la DGCL et de la DGFIP. Au début de l'année, un peu plus de 1.800 collectivités étaient engagées dans cette expérimentation (au titre des exercices 2021 et 2022). Après la nouvelle phase de candidature, ouverte jusqu'au 30 juin 2023 par la dernière loi de finances, ce sont près de 3.000 collectivités supplémentaires qui vont entrer dans l'expérimentation, portant à plus de 4.700 le nombre de collectivités locales expérimentatrices du compte financier unique.

Le CFU sera-t-il généralisé dès 2024 ?

La DGFIP et la DGCL souhaitent généraliser le compte financier unique. L'hypothèse sur laquelle nous travaillons, c'est de disposer de trois exercices de déploiement, de 2024 à 2026. L'idée est d'atterrir avec un compte financier unique pour l'ensemble des collectivités locales à l'échéance de 2027.

Quelles collectivités seraient d'abord concernées par cette généralisation par étapes ?

Nous ne sommes pas dans l'idée d'imposer à telle ou telle catégorie de collectivités de basculer nécessairement en 2024. Nous mettons en avant la libre administration des collectivités. Ce que nous souhaitons, tant du côté de la DGFIP que de la DGCL, c'est qu'il y ait un lissage des charges de bascule au compte financier unique. En effet, nos services seront fortement mobilisés pour accompagner les collectivités. Il ne faut donc pas que nous nous retrouvions avec un entonnoir, c'est-à-dire la bascule de l'ensemble des entités en 2027. Cependant, nous ne demanderons pas aux collectivités locales de produire un compte financier unique obligatoirement dès les comptes 2024. Nous recherchons l'équilibre. En revanche, les collectivités qui sont aujourd'hui engagées dans l'expérimentation, devront pouvoir produire un compte financier unique en 2024. Pour cela, elles devront disposer d'une base juridique au maximum sécurisée. Un texte devra donc être présenté au Parlement.

Au regard du coût potentiellement élevé de l'adaptation des logiciels, les avantages du passage à la M57 sont-ils bien présents également pour les communes de moins de 3.500 habitants ?

Le coût de l'adaptation des logiciels est un sujet que nous avons identifié dès 2021-2022. C'est un thème sur lequel nous échangeons régulièrement avec les éditeurs présents sur ce marché qui est très concurrentiel. Les factures et les devis que nous recevons montrent qu'au-delà du changement de plan de comptes, certains éditeurs intègrent parfois un changement de matériel et même des prestations dans d'autres secteurs de l'activité des collectivités, comme la gestion de l'état civil et des cimetières. Il faut donc vraiment que la collectivité juge de la nature de la prestation qui lui est offerte. Au-delà de la question du coût des adaptations de logiciels, qui, de mon point de vue, sera très vite derrière nous, le profit que les collectivités de moins de 3.500 habitants peuvent tirer du passage à la M57 est le même que celui des autres collectivités. Simplification administrative, assouplissement de certaines règles budgétaires, cadre comptable normalisé aux normes internationales, perspective de basculer au CFU : tous ces avantages sont présents également pour elles. En sachant qu'on a adapté la M57 à leurs contraintes budgétaires. Plus exactement, nous n'avons imposé aucune nouvelle règle contraignante aux collectivités de moins de 3.500 habitants. Pour elles, le rattachement des charges et produits à l'exercice, l'amortissement des actifs immobilisés, de même que tous les dispositifs comptables relevant des collectivités plus grandes en taille ne sont pas obligatoires. En revanche, il s'agit d'options qui leur sont ouvertes. La possibilité d'une présentation fonctionnelle leur est également offerte - ce qui n'existait pas en M14. Globalement, ce sont plus de possibilités qui sont permises aux collectivités, notamment à celles de moins de 3.500 habitants.

Quels sont vos conseils à l'attention des collectivités qui doivent préparer la mutation vers la M57 ?

A l'égard des petites collectivités, je dis : ne restez pas seules ! Prenez appui sur les dispositifs de formation et d'information qui existent (CNFPT, DGFIP, site collectivites-locales.gouv.fr…) et sur les nombreuses collectivités qui appliquent déjà la M57. Des échanges périodiques entre l'ordonnateur, le comptable, le conseiller aux décideurs locaux et l'éditeur – qui sont les chevilles ouvrières de la bascule – sont aussi l'une des clés du succès. Après les deux vagues importantes de 2022 et 2023, la bascule de 2024 doit se faire dans la sérénité. D'autant que les mises à jour des plans de comptes, au 1er janvier prochain, seront limitées. En effet, avec la DGCL, nous ferons en sorte qu'il n'y ait pas de changements de corpus réglementaire importants. Les quelques ajustements à réaliser ne remettront donc pas en cause les travaux que les collectivités auront menés précédemment. Au-delà, il faut rappeler que la marche à franchir entre la M14 et la M57 est bien moins haute que celle ayant permis, il y a plus de 25 ans, le remplacement des instructions M11 et M12 par la M14. Car, cette dernière était, sur les plans budgétaire et comptable, assez "révolutionnaire".

Quels sont les chantiers à aborder en amont de la bascule ?

Ils ne sont pas nombreux. D'abord, sur le plan juridique, il faut que les collectivités délibèrent pour basculer en M57 au 1er janvier prochain. Les collectivités de moins de 3.500 habitants ont aussi à choisir leur plan de comptes. Optent-elles pour le plan de comptes abrégé ou pour la version développée ? C'est un choix de gestion à effectuer en relation avec l'éditeur et le comptable public. Ensuite, les collectivités doivent mener des travaux classiques de transposition des comptes. Ce qu'elles peuvent faire en s'appuyant sur les tables de transposition mises en ligne sur le site collectivites-locales.gouv.fr et avec l'aide de leur conseiller aux décideurs locaux et du comptable public. Mais, il n'est pas demandé aux collectivités de recenser et fiabiliser l'ensemble de leurs actifs, pour basculer en M57. Ces travaux de longue haleine ne constituent pas un prérequis. Au contraire, les collectivités qui le souhaitent, auront toute latitude pour les conduire, à partir de 2024.

La mise en place de la M57 oblige les collectivités dotées d'un compte 1069 dans le compte de gestion à apurer ce dernier. Concernée, la commune de Luxeuil-les-Bains (Haute-Saône, 6.600 habitants) s'est ainsi trouvée contrainte, pour cette seule raison, de réduire de 437.000 euros ses investissements. Est-il prévu d'apporter des remèdes à ce "bug" ?

Ce n'est absolument pas un bug. La DGFIP a identifié le sujet dès 2017, et elle communique beaucoup dessus. La question est liée au fait que ce compte 1069 n'apparaissait plus dans le budget depuis 20 ou 25 ans, et réapparaît au moment de la bascule en M57. Ce compte se trouve, pour les seules collectivités y ayant eu recours, dans le compte de gestion du comptable. En revanche, il ne figure pas dans la comptabilité administrative de l'ordonnateur. Quand le dispositif a été mis en œuvre - dans le courant des années 1990 et au début des années 2000 -, il était optionnel. L'objectif était qu'au moment de la bascule en M14 (ou M52 pour les départements), le premier exercice de rattachement des charges et produits ne crée pas de soubresauts et de conséquences budgétaires. Mais, dans un monde de certification des comptes, et au regard des critiques fortes de la Cour des comptes, il a été décidé de ne pas rouvrir ce compte en M57. À fin 2022, environ 550 budgets locaux étaient concernés, contre 2.350 à la fin de 2018. Cela signifie que les collectivités apurent progressivement le compte 1069. C'est pour certains conseils départementaux que le sujet est le plus sensible, car pour eux les montants sont parfois significatifs. La réglementation prévoit ainsi la possibilité d'un apurement du compte 1069 sur dix ans au maximum, ce qui permet d'étaler les montants sur le plan budgétaire. Des dérogations pour aller au-delà de ce délai sont même possibles, via un dispositif d'accord interministériel. Nous avons à ce stade très peu de demandes de collectivités en la matière. Attentifs aux situations les plus difficiles, nous sommes, tant à la DGCL qu'à la DGFIP, plutôt ouverts sur la façon d'y répondre. C’est dans ce cadre que la situation de la commune de Luxeuil pourra être traitée.

 

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis