Compétitivité : la Commission change (en partie) son logiciel

La Commission européenne a présenté ce jour son "pacte pour une industrie propre", comprenant un "plan pour une énergie abordable", ainsi que deux textes de simplification de la réglementation visant tout à la fois à décarboner l’industrie européenne qu’à la relancer. Réforme des aides d’État, introduction d’une préférence européenne pour certains marchés publics, suppression de nombreuses contraintes réglementaires, principalement environnementales, la Commission change, en partie, de logiciel.

"L’Europe a une réglementation qui est prévisible (…). C’est un atout indéniable. Elle doit rester cet îlot de stabilité (…), ce continent où il fait bon investir, avec des règles claires, adaptées et pragmatiques", a vanté ce 26 février le commissaire Stéphane Séjourné en dévoilant, en conférence de presse, le pacte pour une industrie propre, l’un des éléments phares de la "boussole de compétitivité" présentée le 29 janvier dernier par la Commission (voir notre article). Une stabilité toute relative, puisque la Commission présente dans le même temps plusieurs dispositions venant bouleverser singulièrement la législation européenne, afin de libérer la compétitivité de son économie. 

Jurer sur le rapport Draghi

Un objectif d’ailleurs également recherché par ledit pacte, qui vise explicitement tant à renforcer la "décarbonation" de l’industrie européenne que sa "compétitivité". Le pacte "vise à couper les liens qui retiennent nos entreprises", expliquait ainsi, au même moment, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à Anvers ce 25 février. Une ville où il y a tout juste un an (le 20 février 2024), 73 dirigeants d’entreprises l’exhortaient, dans une déclaration désormais signée par plus de 1.300 dirigeants, à adopter un tel dispositif pour "compléter le Green Deal et préserver des emplois qualifiés en Europe" alors que "les industries européennes sont confrontées à la pure récession économique depuis une décennie". Le message a depuis été entendu, après avoir été notamment relayé par le rapport Draghi (voir notre article du 10 septembre 2024), dont la Commission s’est grandement inspirée. "Dans certains cas, vous devez jurer sur la Bible en entrant en fonctions. Moi j’ai dû jurer sur le rapport Draghi", a ainsi déclaré ce jour en conférence de presse le commissaire Dan Jørgensen.

Un "business plan" pour l’industrie

Le pacte pour une industrie propre est un "business plan de l’industrie bas carbone", précise le commissaire Stéphane Séjourné. Il ne vise "pas seulement à décarboner notre industrie pour des raisons environnementales. C’est aussi une stratégie de croissance et un impératif de sécurité", ajoute-t-il. Ce pacte entend agir sur quatre leviers, déclinés par le commissaire : "La demande, les coûts, les financements et les intrants." 

Pour stimuler une "demande en produits propres qui a ralenti", dixit Ursula von der Leyen, Stéphane Séjourné indique que la Commission propose notamment "de repenser totalement la logique d’achat public jusqu’ici basée sur le seul critère du prix. On introduira de nouveaux critères, de durabilité, de résilience, de performance et de préférence européenne dans les marchés publics et plus généralement dans les aides publiques", observe-t-il. Le secteur privé sera également concerné puisqu’il évoque les "flottes de véhicules professionnels" qui devraient faire l’objet de mesures dans le plan sur l’automobile que le commissaire Tzitzikostas doit présenter le 15 mars prochain ; un plan sectoriel parmi d’autres à venir.

Côté coûts, la Commission entend principalement agir sur les prix de l’énergie. Un "plan pour une énergie abordable" a ainsi été présenté spécifiquement par le commissaire Jørgensen. La Commission en attend une économie de 45 milliards d’euros en 2025, et jusqu’à 260 milliards d’euros d’ici à 2040. Plusieurs de ses recettes sont connues : un "marché de l’énergie pleinement intégré, s’appuyant sur un réseau interconnecté et digitalisé et une gouvernance et une régulation homogène" ; découpler les prix de l’électricité de ceux du gaz, notamment en renforçant les contrats d’achat d’énergie de long terme (les désormais fameux PPA) ; accélérer les procédures d’obtention de permis pour les EnR ("pas plus de 6 mois pour les projets pas compliqués, pas plus de 2 ans pour les autres"), etc. Le tout en cessant d’acheter tout gaz russe : "Il faut que nous arrivions à 0. Indirectement, nous aidons à remplir le trésor de guerre de Poutine", tonne le commissaire. Son collègue, le commissaire Hoekstra, souligne pour sa part qu’il sera également demandé "aux États membres de réduire la fiscalité des entreprises extrêmement énergivores", et ajoute que le régime des aides d’État sera revu afin de leur "permettre de subventionner certaines secteurs industriels" ;

S’agissant des financements, Stéphane Séjourné souligne que la Commission entend "toucher en particulier trois sources : les fonds européens, la mobilisation des fonds privés et les aides d’État". Le programme InvestEU devrait ainsi voir "sa force de frappe augmenter de 50 milliards d’euros". Une nouvelle "banque de la décarbonation" devrait également être créée.

Côté matières premières, l’attention est évidemment portée sur les métaux rares. La Commission va proposer "une stratégie et une plate-forme d’achat collectif", facultative, afin de faire baisser les prix, indique Stéphane Séjourné (l’occasion pour lui de corriger le tir en soulignant "qu’on a déjà un accord avec l’Ukraine sur les matières premières", après avoir indument proposé aux Ukrainiens lundi un "nouvel" accord sur les matériaux critiques). Bruxelles entend également sécuriser l’extraction : "Nos services sont en train de finaliser une liste de plusieurs dizaines de projets d’exploitation de matières premières", dévoile le commissaire français. Enfin, le développement du recyclage sera recherché : "On n’exploite pas ce marché secondaire", déplore le Français. "Les batteries en fin de vie pourraient fournir près de 15% du lithium dont nous avons besoin dès 2030. C'est assez pour produire deux millions de batteries de voiture électrique", estime Ursula von der Leyen, qui regrette qu’aujourd’hui "ces déchets précieux soient envoyés en Chine".

Tailler dans la bureaucratie

Attendus également – ou redoutés – les deux premiers paquets "Omnibus" – d’autres sont à venir – visant à "simplifier les règles sur la durabilité et les investissements de l’UE", avec un objectif affiché de réduire d’ici la fin du mandat de la Commission "d’au moins 25% la charge administrative qui pèse sur les entreprises, et d’au moins 35% celle pesant sur les PME". Ceux présentés ce jour devraient permettre, assure la Commission, d’économiser rien de moins que 6,3 milliards d’euros annuels. Concrètement, les textes visent à revoir substantiellement certaines obligations de la directive CS3D sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité – publiée en juillet dernier et dont Éric Lombard a demandé la suspension le 23 janvier –, de la directive CSRD sur publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises, du règlement sur la taxonomie verte et du règlement établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF, ou CBAM en anglais). La Commission propose, entre autres mesures, d’écarter 80% des entreprises du champ d’application de la CSRD – seules les entreprises ayant plus de 1.000 collaborateurs et un chiffre d’affaires de plus de 50 millions d’euros seraient contraintes de s’y conformer. Elle propose de même de sortir du périmètre du MACF les petits importateurs : "Environ 182.000, soit 90% des entreprises, la plupart des PME, ce qui devrait permettre d’économiser 1,5 milliard d’euros tout en couvrant toujours plus de 99% des émissions des secteurs couverts", se félicite le commissaire Valdis Dombrovskis. Lequel chiffre l’économie induite par la limitation du nombre de dossiers à traiter à 87,5 millions d’euros pour les autorités publiques. "Environ 90% des entreprises seront exemptées de l'application obligatoire de la taxonomie", précise encore Ursula von der Leyen. "Sous couvert de 'simplifier' la vie des entreprises, la directive Omnibus de la Commission propose de démanteler nombre d’obligations en matière de durabilité et de protection des droits humains", déplorent dans un communiqué plusieurs associations environnementales. "Nous n’abandonnons pas nos ambitions climatiques, mais nous savons que nous ne sommes pas en mesure de les atteindre sans impliquer davantage les entreprises et l'industrie", plaide de son côté le commissaire Wopke Hoekstra.

Négociations commerciales tous azimuts

D’autres mesures sont encore à venir dans le cadre large de la boussole de compétitivité, et dans celui plus restreint du pacte pour l’industrie propre. Ursula von der Leyen souligne d’ailleurs que "la dernière priorité" de ce dernier "vise l’adaptation à une concurrence mondiale toujours plus rude", ce qui suppose de "saisir de nouvelles possibilités et établir des liens avec des pôles de croissance". Et de relever qu’après avoir finalisé en décembre "un accord de partenariat novateur avec le Mercosur", puis un autre avec la Suisse peu avant Noël, qu’après avoir en janvier "conclu des négociations commerciales avec le Mexique" et en avoir entamé avec la Malaisie, le collège des commissaires se rendra ce soir en Inde "pour renforcer les liens et développer le commerce avec la plus grande démocratie au monde". De son côté, le commissaire français estime que l’Europe devrait "utiliser plus systématiquement [ses] outils de défense commerciale", à la fois via "un renforcement des règles régissant les subventions étrangères" et "l’introduction de nouvelles conditions aux investissements étrangers, par exemple sur la propriété intellectuelle". 

 

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis