Gestion des déchets ménagers en période de coronavirus : le tri passera-t-il à la trappe ?
Trois réponses, comme un leitmotiv, viennent à la bouche des acteurs de la gestion des déchets, lorsqu'on les interroge sur les priorités en pleine crise sanitaire : protéger les employés, se recentrer sur les services essentiels et sécuriser la trésorerie si le choc se prolonge.
Les grands opérateurs du secteur des déchets ont déployé leurs plans de continuité d'activité (PCA) et modifié leur organisation pour que les équipes se protègent et ne se croisent plus. Du fait du confinement, ils s’attendent en toute logique à voir croître significativement les déchets ménagers et à chuter les volumes de déchets d’entreprises.
Plusieurs filières en prise directe avec les collectivités comme Valdelia (déchets d'éléments d'ameublement) sont totalement à l’arrêt. La myriade de PME et d’entreprises d’insertion présentes dans le secteur assurent un service minimum. Côté réemploi, les Ateliers du bocage nés du mouvement Emmaüs se concentrent ainsi sur ce qu’il est possible de faire à distance. D’autres mettent à disposition leur logistique pour pallier le manque d’effectifs municipaux, comme l'a fait à Rennes le recycleur de papiers La Feuille d’érable pour aider la ville à collecter des déchets ménagers. Chez l’opérateur Pizzorno, dont les clients sont des collectivités et des industriels, on maintient les collectes de déchets ménagers "en adaptant les moyens humains", mais aussi l’activité de traitement par valorisation énergétique, notamment pour brûler les déchets d'activités de soins à risques infectieux (Dasri).
Se recentrer sur l'essentiel
Une majorité de collectivités ont fermé leurs ressourceries, leurs services encombrants et leurs déchetteries. D’autres s’apprêtent à le faire, vident les dernières bennes, sécurisent les sites... Un conseil est donné : se faire accompagner dans cette fermeture temporaire par un agent assermenté. Pour communiquer sur l’évolution de leurs services, les communes et intercos utilisent leurs réseaux sociaux et sites Internet. C’est le cas de la commune de Veigné (6.000 habitants, Indre-et-Loire) où la fermeture de l’accueil du public signifie qu’aucun composteur ou bac n’est plus distribué. Les déchets végétaux n’y sont plus collectés, les déchets recyclables, si - du moins pour l’instant, car “il se peut que cette collecte soit impactée“ et suspendue, celle des ordures ménagères “restant la seule obligatoire“, indique cette commune.
Faut-il fermer les centres de tri ?
"Les questions remontent massivement sur cet enjeu", estime Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce. Il s’étonne que son réseau de collectivités et d'entreprises n'ait pas été convié aux réunions de la cellule de crise du ministère de la Transition écologique. "Elle se prive d’un relais territorial majeur", déplore-t-il. Interpellé par ses adhérents, faute de directive claire des pouvoirs publics sur la conduite à tenir, Amorce demande à ce que les consignes sur le maintien ou la suspension des opérations de tri soient clarifiées. "Les acteurs locaux ont besoin d’un cadre, d’être préparés en cas de fermeture ou bien s’il faut réquisitionner les centres pour d’autres priorités que l'habituel tri de matériaux recyclables tels que le verre ou le carton", défend Nicolas Garnier. Le verre recyclé, matière première de l’industrie verrière, est-il prioritaire ? "La question se pose, les matières premières secondaires vont de toute façon passer au second plan, les performances de recyclage ne sont plus le sujet. Seule compte la protection sanitaire des employés".
Sur les chantiers, pelles et pioches posées
En Île-de-France, l'arrêt ces derniers jours des chantiers du Grand Paris a sonné le glas d'une filière valorisant les terres, matériaux et déchets générés par ces travaux. En bout de chaîne, les centres de traitement de Colas et ECT ont fermé. "Les transporteurs pouvaient continuer de travailler mais ce n'est pas suffisant, nous avons donc suspendu une bonne partie de notre activité et planifié trois mois blancs dans les trois pays que nous couvrons (France, Royaume-Uni et Pologne)", anticipe Emmanuel Cazeneuve, fondateur et président d'Hesus. Cette entreprise d'une cinquantaine de salariés accompagne les acteurs européens du BTP à optimiser la gestion de leurs déblais. “Dans cette épreuve, on se sent appuyés par les banques. BPI France nous a par exemple directement appelés pour faciliter les prêts et nous avons peu entamé les réserves de notre dernière levée de fonds, ce qui nous aidera à payer en avance ceux qui sont plus fragiles que nous". Voit-il déjà le bout du tunnel ? "Le défi est de maintenir le lien entre les salariés et de préparer la sortie de crise. Mais on ne rattrapera pas d'un jour au l'autre le temps perdu, il faudra certainement des mois pour revenir réellement à la normale."