Charlotte Libert - Logement : "Faites-nous confiance, redonnez-nous des marges de manœuvre pour agir"

Présidente du groupe de travail consacré aux questions de logement au sein de l’AMF, la maire de Vincennes, Charlotte Libert (UDI), fait le constat d’une difficulté accrue à faire accepter des projets de construction de logements alors même que la demande n’a jamais été aussi forte. Elle réclame pour les maires davantage de souplesse et de responsabilisation dans les prises de décision.

Localtis - Le secteur de la construction dans son ensemble traverse une crise profonde. Quels sont, selon vous, les principaux freins qu’il conviendrait de lever pour répondre au besoin croissant de logements qui s’exprime ?

Charlotte Libert - En premier lieu, les maires sont confrontés à des demandes contradictoires qui ne sont pas favorables sur le plan de l’incitation à construire. On nous demande, et c’est normal, de répondre à la demande de logements et de logements sociaux tout en nous faisant comprendre que sur le plan foncier, en vertu du zéro artificialisation nette (ZAN), il est désormais difficile d’utiliser du foncier qui ne l’a jamais été auparavant. Ce type d’obligation rend les choses beaucoup plus complexes. Ensuite, il y a la question des délais de recours à l’encontre des permis de construire : des délais qui sont actuellement extrêmement longs, parfois jusqu’à deux ans. Or aujourd’hui, le moindre permis de construire est attaqué car on sent davantage d’irritation par rapport à la question de la densité et de la construction d’une manière générale. Un phénomène qui tend à s’accentuer en lien avec les préoccupations environnementales, essentiellement, que l’on peut résumer par la formule : "Il ne faut pas ajouter de la chaleur à la chaleur, de la construction à la construction."

Il y a également, dites-vous, l’impact de la suppression de la taxe d’habitation qui entre dans l’équation...

On a tout fait pour organiser le ralentissement de la construction ! Depuis la disparition de la taxe d’habitation en 2022, sa compensation n’a pas été réévaluée en fonction de l’inflation et, dans le même temps, les coûts de construction ont explosé. Donc, plus on construit et plus la question du financement devient complexe. Alors dire ensuite que les maires seraient de "mauvais élèves" en la matière, c’est difficile à entendre.

Par rapport aux objectifs en matière de logement social imposés par la loi SRU, comment se positionne aujourd’hui l’AMF ?

Clairement, l’AMF est en bataille contre la loi SRU, pas pour la faire disparaître en tant que telle car nous avons tous conscience que la population doit être logée. Mais la loi aujourd’hui s’adresse à tous les territoires de la même manière alors qu’ils sont tous différents. Tous les maires sont prêts à construire des logements sociaux sur leur commune, mais chacun à son rythme. Se faire traiter comme des enfants avec à la clé un système de sanctions, c’est compliqué à accepter. La véritable difficulté à laquelle nous faisons tous face, c’est la question de l’acceptabilité des projets. Le niveau de tension auquel sont confrontés quotidiennement les maires à ce sujet est de plus en plus important, a fortiori lorsqu’il s’agit de projets de logements.

Comment, dans ces conditions, parvenir à fluidifier le parcours résidentiel dont beaucoup s’accordent à dire qu’il est aujourd’hui grippé ?

Je rappelle que l’AMF a fait des propositions en mars dernier pour répondre à la crise du logement. Le problème est que beaucoup considèrent le logement social comme un droit à vie alors qu’il est là pour donner un coup de pouce à ceux qui en ont le plus besoin. Aujourd’hui, il existe un réel problème de mobilité dans le logement social. Sur le territoire de la commune dont je suis maire, Vincennes, on considère qu’environ 20% des logements sont mal occupés, soit une personne dans un T4 ou au contraire une famille qui s’entasse dans un T1. D’une manière générale, les bailleurs sociaux ne sont pas incités à ce que la mobilité s’organise dans le parc social. Il existe donc clairement des freins à lever qui permettraient de fluidifier le parcours au sein du parc de logement social, indépendamment de la question de la construction de logements neufs. Donc pour accélérer sur la mobilité dans le parc social, il faudrait commencer par mettre les demandeurs de logements sociaux au bon endroit au bon moment puis, ensuite, poser la question de l’accès au logement social tout au long de la vie ; mais je crains que les bailleurs n’aient aucun intérêt à effectuer ce travail.

En termes de fiscalité, comment redonner des marges de manœuvre aux maires ?

Sur la politique fiscale, le gouvernement doit rapidement apporter des réponses au sujet de la taxe d’habitation, un point majeur qui bloque actuellement de nombreux projets immobiliers. De ce point de vue-là, il y a certainement des choses à inventer pour remettre au cœur du jeu la question de l’autonomie financière des collectivités locales. Et il faut que l’État cesse de nous confier de nouvelles compétences sans nous attribuer les moyens financiers nécessaires pour les assumer. Construire coûte aujourd’hui 20% plus cher qu’il y a quatre ans, cela implique de repenser le système fiscal et financier et de remettre l’ensemble des acteurs du financement du logement autour de la table.

Ce que vous réclamez, en somme, c’est davantage de maîtrise financière ?

Les maires que nous sommes faisons face à une équation impossible : nous avons perdu la main sur la fiscalité locale, de la même manière que l’on perd la main sur la politique d’attribution des logements sociaux qui devrait relever en priorité des maires. Un maire connaît sa population et sait jusqu’où il peut aller alors que l’État agit comme "un monstre froid" qui peut, par son action, créer des déséquilibres irréversibles. En clair, si l’on veut lutter contre la ghettoïsation, les maires doivent être sollicités et, surtout, être en mesure de reprendre la main sur le peuplement de leur commune. Le message que nous portons est clair : "Faites-nous confiance, redonnez-nous des marges de manœuvre pour agir !" 

 

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