CFP 2021-2027 : un pas de plus, mais la route est encore longue
Les équipes de négociation du Parlement et du Conseil européens sont enfin parvenues à un accord sur le cadre financier pluriannuel, et le fonds de relance, ce 10 novembre. La route est toutefois encore longue avant que la Commission puisse emprunter sur les marchés financiers dans le cadre de l'instrument de relance. Et semée d'embûches.
Après dix semaines d'intenses et conflictuelles négociations conduites depuis l'accord conclu par les Vingt-Sept en juillet dernier, les équipes de négociations du Conseil et du Parlement européens sont enfin parvenues ce 10 novembre à un compromis sur le cadre financier pluriannuel (CFP) et l'instrument de relance (Next Generation EU - NGEU) qui y est désormais adjoint.
16 milliards supplémentaires
Côté Conseil, on met en avant la validation du paquet global arrêté à l'été – 1.074,3 milliards pour le CFP et 750 milliards pour "NGEU", au prix de 2018 –, en insistant sur le fait que les plafonds de dépenses n'ont pas été modifiés.
Côté Parlement, on se félicite au contraire d'avoir obtenu "16 milliards d'euros supplémentaires". "Vous étiez sceptiques, vous ne pouviez imaginer que le Parlement pourrait camper sur ses positions […]", a lancé bravache le président du Parlement, David Sassoli, lors de sa conférence de presse du 11 novembre, moquant le Conseil qui, en septembre, "se berçait d'illusions en pensant que le Parlement se contenterait de quelques millions". Ces nouveaux fonds ne bouleverseront toutefois pas l'équilibre, précaire, de l'été, mais proviendront majoritairement du fruit des amendes perçues auprès des entreprises condamnées pour atteintes à la concurrence (11 milliards), jusqu'ici reversées aux États membres, et des marges sous les plafonds du CFP (2,5 milliards).
Un milliard ira accroître les capacités d'intervention en cas de crises et 15 milliards renforceront les programmes jugés "clés" par le Parlement (qui en avait dénombré 15 pendant les négociations) : 4 milliards pour le programme de recherche Horizon +, 3,4 milliards pour EU4Health (qui voit son enveloppe triplée), 2,2 milliards pour Erasmus +, 1,5 pour Frontex et la gestion intégrée des frontières, 1 milliard pour InvestEU, 1 milliard pour la coopération internationale…
Next Generation EU remboursé uniquement par des ressources propres
Les parlementaires se félicitent aussi d'avoir obtenu un accord sur le principe que "le fardeau de la dette [de NGUE] ne sera supporté ni par les contribuables de l'Union européenne [via une hausse des contributions des États membres], ni par de futures coupes dans les fonds et programmes européens", comme l'a souligné le 10 novembre, en conférence de presse, le député José Manuel Fernandes (PPE, Portugal). Dit autrement, le remboursement devra se faire uniquement par l'introduction de nouvelles ressources propres, "qui n'ont pas été modifiées depuis 32 ans", souligne la députée européenne Valérie Hayer (Renew Europe, France), vantant le caractère "absolument structurant pour l'avenir" de l'accord en la matière.
Si l'accord de juillet en avait arrêté le principe, de nombreuses interrogations subsistaient jusqu'ici autour de ces nouvelles ressources, comme l'ont notamment illustré les débats conduits à l'Assemblée nationale lors de l'examen, le 19 octobre dernier, du prélèvement sur recettes 2021 pour l'Union européenne : "Nous avons beaucoup de mal à exporter notre frénésie fiscale. […]. Notre messianisme fiscal me laisse de plus en plus sceptique : il ne marche pas très bien", soulignait ainsi Gilles Carrez (LR, Val-de-Marne), évoquant les difficultés à "exporter" la taxe sur les transactions financières ou celle sur le numérique.
Ces craintes se dissipent légèrement. L'accord interinstitutionnel du 10 novembre intègre une feuille de route relative à l'introduction de ces ressources, que le Parlement européen considère comme "juridiquement contraignante". De son côté, la présidence allemande du Conseil la qualifie seulement "d'indicative" – ne serait-ce que parce que les parlements nationaux doivent valider cette décision (v. infra). La Commission évoque, elle, des "engagements clairs sur le type de ces nouvelles ressources, le calendrier de leur proposition et leur introduction". Mais les trois institutions ne présentent pas des éléments toujours identiques… "Nous devons être sûrs que le calendrier ambitieux sera suivi d'actes", implore Isabelle Boudineau (PES, France), présidente de la commission sur la cohésion des territoires et du budget du Comité européen des régions.
In fine, la feuille de route prévoit peu ou prou :
- la contribution basée sur les emballages plastiques non recyclés, déjà arrêtée et qui entrera en vigueur le 1er janvier prochain. La Commission en attend environ 6 milliards d'euros annuels. Sabine Thillaye (Modem, Indre-et-Loire), présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale, en a toutefois relativisé l'importance le 19 octobre : "Il ne s’agit pas réellement d’argent frais mais d’une contribution nationale calculée selon une clé différente que la ressource fondée sur le revenu national brut […]. Son rendement est appelé à diminuer à mesure qu’elle atteindra son objectif de modification des comportements. Ce n’est donc pas une ressource d’avenir pour le budget de l’Union." Le député Michel Zumkeller (UDI, Territoire de Belfort) confessait pour sa part que c'est "une bonne chose, même si, il faut l’avouer, elle coûtera très cher à la France". D'après Xavier Paluszkiewicz (LREM, Meurthe-et-Moselle), rapporteur spécial du budget à l'Assemblée, la France y "contribuera à hauteur de 1,2 milliard d'euros" en 2021 ;
- un mécanisme d'ajustement des émissions de carbone aux frontières : la Commission devra présenter sa proposition d'ici juin 2021, pour une introduction au plus tard au 1er janvier 2023, comme l'avait décidé le Conseil en juillet ;
- une "taxe numérique", avec le même calendrier (décision également arrêtée par le Conseil en juillet) ;
- un réexamen par la Commission, au printemps prochain, du système d'échange de quotas d'émission, avec une possible extension aux transports aérien et maritime, et avec une proposition d'ici juin 2021 d'une ressource propre fondée sur ce système (déjà proposée en 2018, la proposition avait été retoquée en juillet par le Conseil ; elle pourrait rapporter 3 milliards selon la Commission).
La Commission devrait également proposer d'ici juin 2024 :
- une taxe sur les transactions financières, pour une introduction en 2026 (en juillet, le Conseil avait retenu une proposition début 2021 et une éventuelle mise en place en 2023…), en tenant compte des travaux actuellement conduits sur la coopération renforcée (instituée en 2013 entre onze États, dont la France, faute d'unanimité possible à court terme ; s'ils parviennent à un accord d'ici 2022, la Commission proposera de la transformer immédiatement en ressource propre). D'après Xavier Paluszkiewicz, elle pourrait rapporter "jusqu'à 50 milliards d'euros par an" ;
- une ressource fondée sur une assiette commune et consolidée d'imposition sur les sociétés (Accis), à partir de 2026 – ce qui devrait réjouir Laurent Saint-Martin (LREM, Val-de-Marne), rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée, qui déplorait qu'elle "n’ait pas été retenue parmi les conclusions du Conseil européen de juillet" ; la Commission l'avait en effet déjà proposée en 2018 – ou "une autre contribution financière des entreprises".
Contrairement à ce qu'espérait Constance Le Grip (LR, Hauts-de-Seine), la mise en place de ces nouvelles ressources ne sera pas assortie "d'une réduction du fardeau fiscal pesant sur nos concitoyens". Valérie Hayer en a effet indiqué que l'éventuel "surplus des ressources propres restera dans le budget de l'UE", et ne viendra donc pas réduire les contributions nationales. Si elles permettent le remboursement effectif de NGUE, ce sera déjà beaucoup. "Faire reposer le remboursement de l’emprunt européen sur l’établissement de ces nouvelles ressources est un énorme risque. En effet, si nous ne parvenons pas à les mettre en place, la France devra débourser jusqu’à 2,5 milliards d’euros par an pour éponger sa dette", avertissait ainsi le député Michel Zumkeller le 19 octobre. Dit autrement, par Laurent Saint-Martin, "ce seront, pour la France, 56 milliards d’euros qui seront à débourser si nous ne trouvons pas de solution au niveau des ressources propres".
Menace d'un veto hongrois
Or, il y a encore loin de la coupe aux lèvres. À court terme, l'accord interinstitutionnel et le CFP doivent être formellement adoptés par le Parlement (il devrait être soumis au vote de la commission des budgets le 23 novembre et lors de la séance plénière du même mois) et par le Conseil.
On l'a vu, doit également encore être approuvée la décision sur le système des ressources propres, base juridique du financement de NGEU, par le Conseil, à l'unanimité. Une décision qui devra ensuite être ratifiée par l'ensemble des parlements nationaux ! Sans ces validations, la Commission européenne ne peut se tourner vers les marchés pour l'émission de la dette commune. Au mieux, les États membres ne devraient donc pas toucher les fonds de NGUE avant la fin de l'année prochaine.
Enfin, l'accord du 10 novembre liant CFP et respect de l'Etat de droit, reste encore à attendre la validation de l'accord provisoire conclu le 5 novembre conditionnant le versement des fonds européens au respect de l'Etat de droit. Si la majorité qualifiée suffit, le Premier ministre hongrois Victor Orban a menacé, par courrier aux différentes instances européennes, de mettre son veto au CFP si le projet était maintenu en l'état. La Pologne ferait de même. Interrogé sur ce point le 11 novembre, le président Sassoli a répondu que l'envoi de ce courrier précédait l'accord du 10 novembre et qu'il ignorait si la position hongroise était toujours de mise. "Nous considérons que le Conseil respectera les engagements pris avec le Parlement", s'est-il borné à déclarer. Et d'en profiter pour rejeter la critique faisant du Parlement "l'institution qui bloquait le processus, alors que, bien sûr, c'est le Conseil". Rejoignant ici le député José Manuel Fernandes : "Depuis le 16 septembre, le Conseil cherche des excuses. C'est fini les excuses du Conseil. Les citoyens vont voir qui retarde les choses."