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Consultations publiques - Bruxelles et la société civile : "Je t'aime moi non plus"

Depuis dix ans, la Commission européenne doit consulter la société civile avant toute proposition de décision. L'idée de départ : réconcilier les citoyens avec la construction européenne. L'arrivée d'internet a grandement servi ce tournant politique. Les consultations sont aujourd'hui accessibles pour tous sur le site Your Voice. Une centaine de consultations ont lieu chaque année. 68 livres verts et 15 livres blancs ont été publiés entre 2001 et 2008 avec l'avis des citoyens, des partenaires sociaux, des collectivités, des entreprises... De quoi contrebalancer le travail des 15.000 lobbies en tout genre officiellement enregistrés, qui agissent en coulisse. Suffisant pour attester d'une bonne santé démocratique de l'Europe ? Pas tout à fait. Car ces consultations peinent à être connues, particulièrement en France où se fait sentir "un grave défaut d'information", constate Evelyne Pichenot, membre du Conseil économique social et environnemental (Cese), qui vient de publier une communication intitulée "Pour une participation active de la société civile aux consultations publiques européennes". Il s'agit de la première synthèse réalisée sur ces consultations publiques, précise la présidente de la délégation du Cese auprès de l'Union européenne. Premier constat : une mobilisation assez faible. Sur un échantillon de 31 consultations, le nombre moyen de contributions s'élève à 179 mais les écarts varient de 25 pour un sujet comme la présomption d'innocence à 530 pour la consultation sur les instruments de défense commerciale de l'Europe. Paradoxalement, la directive Services qui a suscité tant de débats dans les médias, n'a pas déplacé les foules.

 

75% des consultations exclusivement en anglais

Les contributions françaises comptent pour 15% du total des avis recueillis. Sur 5.553 contributions, 700 proviennent de l'Allemagne, 600 du Royaume-Uni et la France arrive en troisième position avec 450 contributions. Mais pour un pays fondateur, cela reste très insuffisant, déplore Evelyne Pichenot. D'autant que les principaux contributeurs français sont le gouvernement et ses administrations ou les grandes institutions (Sénat, Assemblée, Cese, etc.). Alors qu'on estime que plus des deux tiers des décisions prises à Bruxelles ont un impact sur la vie locale, la participation des collectivités est très variable. Même pour un sujet comme la cohésion territoriale, qui les concerne au premier chef, les collectivités ne sont pas majoritaires. Cette consultation qui s'est achevée en février dernier a enregistré 378 réponses dont 97 émanaient des autorités locales ou régionales. Parmi elles, 13 provenaient des collectivités françaises : les régions Rhône-Alpes, Alsace, Corse, Champagne-Ardenne, Nord-Pas-de-Calais, Ile-de-France, Pays-de-la-Loire, Poitou-Charentes, Midi-Pyrénées, Auvergne, Bretagne, les départements du Var et de la Seine-Saint-Denis, ainsi que l'agence régionale de développement des territoires d'Auvergne. Dix villes dont quatre françaises (Nantes, Rennes, Lille et Nancy) ont également répondu. De leur côté, les conseils économiques et sociaux régionaux (CESR) se sont fortement impliqués sur le livre vert sur les transports ou celui sur la cohésion, notamment à travers leurs réseaux interrégionaux (Arese, RTA).
Mais la Commission a encore beaucoup à faire en termes de communication. Elle ne respecte pas toujours le délai de huit semaines obligatoires pour la durée des consultations. Autre "problème majeur" souligné par l'auteur : 75% des consultations sont exclusivement rédigées en anglais, moins d'un quart le sont également en français. Or, la règle voudrait qu'elles soient toutes traduites au moins en allemand et en français. Il y a bien sûr des exceptions, comme la consultation sur la cohésion territoriale, traduite, elle, dans toutes les langues.


Traité de Lisbonne

"Certaines consultations sont pour la Commission de vrais alibis : l'impact dépend en partie de ce que cherche la Commission qui cherche à se légitimer sur certaines positions", est obligée de convenir Evelyne Pichenot. De quoi parfois, décourager les contributeurs, d'autant qu'il est difficile de voir ce que deviennent ensuite les avis. La consultation portant sur le Small Business Act (SBA) par exemple : 70% des contributeurs étaient favorables aux quotas de marchés publics pour les PME (c'est d'ailleurs le sens du SBA américain). Pourtant, la Commission n'a pas cru bon de retenir cette option. Autre exemple avec la délicate question des services sociaux d'intérêt général (Ssig) : la Commission a finalement décidé de ne pas légiférer sur ce sujet, contre l'avis général.
Pour l'auteur, la nouvelle mandature de la Commission donne l'occasion d'améliorer le circuit, de mieux faire connaître les consultations aux contributeurs potentiels. Elle suggère d'étendre le délai de huit à douze semaines et d'imposer la règle des trois langues (anglais, allemand, français) au démarrage des consultations, avant de les traduire dans toutes les langues. Elle préconise la mise en place d'une "cellule de suivi des relations avec la société civile" dans chaque Direction générale de la Commission. Au niveau Français, elle propose de faire du Cese le véritable relai des consultations en France. Ironiquement, le traité de Lisbonne, dont la mise en oeuvre ne restera sans doute pas comme un modèle de "démocratie participative", prévoit dans son article 11, un recours accru aux consultations et une participation plus importante des citoyens. Cet article donne, en outre, la possibilité de recourir aux référendums d'initiatives populaires, à condition de rassembler un million de signatures à travers l'Europe.

 

Michel Tendil
 

 

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