Comprendre les freins à la production de logements locatifs sociaux en Nouvelle-Aquitaine
En Nouvelle-Aquitaine, depuis quelques années, le fossé se creuse entre le nombre d’agréments de logements locatifs sociaux (LLS) délivrés et le nombre d’opérations réalisées et livrées.
En 2019, 8140 LLS ont été financés et seulement 6500 mis en service1. L’Union Régionale HLM Nouvelle-Aquitaine et la Banque des Territoires ont confié au cabinet de conseil Wavestone la réalisation d’une étude interrogeant l’ensemble des acteurs de la filière pour comprendre les sources de ce décalage et, ce faisant, identifier les leviers potentiels d’action. Celle-ci a révélé que les freins à la production des programmes de LLS ne sont pas imputables à une cause unique mais à une multitude de facteurs, impactant l’ensemble des partenaires et accroissant les délais de construction.
Le foncier reste clé
Premier frein : la rareté et le coût du foncier. Une problématique d’autant plus importante que la Nouvelle-Aquitaine est une région attractive et dynamique. La métropole de Bordeaux, désormais à 2h de Paris grâce à la LGV, est une zone particulièrement tendue, qui suscite les deux-tiers des demandes en logement locatif social du territoire. La Chambre régionale des comptes faisait état en novembre 2020 de 48 000 demandes non satisfaites au titre du DALO (droit au logement opposable). Le Pays basque et, dans une moindre mesure, la Charente-Maritime sont deux autres territoires sous tension.
La Nouvelle-Aquitaine dispose de 311 000 logements sociaux où habitent près de 650 000 Néo-Aquitains, soit 11 % de la population régionale. « Mais cette offre n’est pas suffisamment calibrée pour répondre à la demande », déplore Muriel Boulmier, Présidente de l’Union Régionale HLM en Nouvelle-Aquitaine. Or cette demande, déjà importante, va en s’accroissant. La région attire de nombreuses personnes motivées par le développement de l’activité économique de la métropole bordelaise, la recherche d’un meilleur cadre de vie post-Covid dans les villes moyennes ou sur le littoral, le retour au pays au moment de la retraite dans les zones plus rurales.
L’Union sociale pour l’habitat a signé le 19 mars 2021 avec Emmanuelle Wargon, ministre déléguée au logement, un protocole d’accord pour la production de 250 000 logements sociaux d’ici la fin 2022. Pour relever ce défi auquel sont confrontés les 53 organismes de logement social de Nouvelle-Aquitaine, la question du foncier est primordiale : « L’Accord prévoit une coopération étroite avec les établissements fonciers d’État pour mettre leur foncier à disposition des opérations de LLS. Mais, plus de six mois après, force est de constater que malgré les bonnes volontés de l’EPFNA régional et de l’État, nous n’avons pas encore pu les mettre en œuvre et que nous sommes toujours à la recherche de foncier, qui est rare, cher et suscite une concurrence importante », constate Muriel Boulmier.
Plus de 6 mois après, […] malgré les bonnes volontés de l’EPFNA et de l’État, […] nous sommes toujours à la recherche de foncier, qui est rare, cher et suscite une concurrence importante.
Pour accompagner les efforts d’acquisition de foncier des bailleurs sociaux en Nouvelle-Aquitaine, la Banque des Territoires propose notamment l’émission de titres participatifs. « À travers ces dispositifs de prêts de très long terme, nous devrions être en mesure de positionner près de 75 millions d’euros auprès de 16 bénéficiaires bailleurs sociaux pour soutenir leurs besoins en foncier dans des territoires denses comme dans des territoires prometteurs », confie Patrick Martinez, Directeur de la Banque des Territoires en Nouvelle-Aquitaine.
Un carcan règlementaire étroit
Construire davantage de logements sociaux tout en s’alignant avec les nouveaux objectifs de la transition environnementale émanant de sources diverses (lois, règlements de politique locale, documents d’urbanisme) est un des défis majeurs auquel la filière est confrontée. Un véritable « conflit d’intérêt général et de solidarité », estime Muriel Boulmier. « Celle du logement social et celles issue des nouvelles règlementations environnementales – RE 2020, loi climat et résilience, pan de la loi NOTRe… – mettent une pression très forte sur la filière. »
En plus d’augmenter les délais de production, [les nouvelles réglementations] risquent de surenchérir les coûts, car toute la filière n’a pas encore adapté ses compétences aux nouvelles exigences.
Outre ce cortège de nouvelles réglementations, les collectivités locales sont parfois tentées d’adjoindre des règles supra légales à leurs documents d’urbanisme, négociant au cas par cas les contraintes, explique Muriel Boulmier. « Ces règles supra légales peuvent être complétées par des règlements d’intervention particuliers dictant par exemple la provenance ou la nature d’un matériau à utiliser, ce qui peut encore une fois surenchérir les coûts et allonger les délais ».
La production de nouveaux logements sociaux doit prendre en compte les impératifs de non-artificialisation des sols, notamment dans les territoires tendus2. « La réponse, dans des villes hautes comme Paris, est de densifier en hauteur, souligne Muriel Boulmier. En Nouvelle-Aquitaine, qui est plutôt une zone de villes basses comme Bordeaux, il faut agir différemment ». Le prix du logement – y compris locatif – est inaccessible à Bordeaux, ce qui contraint les familles à se loger loin des zones urbaines denses. Cette situation déplace le problème sans véritablement le résoudre : le lieu de l’habitation se retrouve alors éloigné du lieu d’activité, ce qui implique des déplacements en voiture, l’embolisation des routes d’accès… et donc un impact environnemental important.
Le sujet est également important dans les zones rurales, où l’objectif de zéro artificialisation des sols implique que de nouveaux lotissements ne pourront plus être construits. Or l’habitat sera clé dans la reconquête des centres bourgs. « On ne peut pas dissocier l’habitat de l’aménagement du territoire. Il faudra démolir pour recréer de nouveaux espaces, des habitats conformes aux aspirations d’aujourd’hui, estime Muriel Boulmier, et c’est parfaitement possible dès lors que les organismes de logement social se placent en partenaires de petits programmes adaptés et que l’État débloque des crédits dédiés ».
Des délais qui s’allongent
L’étude Wavestone révèle que si les délais pour la délivrance de l’agrément par l’État ont tendance à s’allonger légèrement, c’est dans la suite de la procédure qu’ils se concentrent et s’accumulent. Près de 40% des retards d’opérations identifiées par les organismes HLM de Nouvelle-Aquitaine sont liés aux aléas opérationnels de chantiers, 32% sont liés aux difficultés d’appels d’offre et d’entreprises et 27% aux difficultés d’instruction ou de recours sur les permis de construire.3
De l’agrément à l’obtention du permis, les bailleurs vivent parfois un parcours d’obstacle, un enchaînement de séquences qui mène à une prolongation sensible du temps de réalisation.
« Procédures, recours, interventions des politiques locales, nouvelles normes… nous souhaiterions que l’ensemble soit allégé. Parce que le seul moyen de répondre au besoin, c’est l’offre, et l’offre n’existe qu’au moment où on remet les clés », commente quant à elle Muriel Boulmier.
Une image déformée qui nuit aux HLM
Par ailleurs, un des freins principaux à la construction de logements sociaux reste leur image. « Les médias renvoient à l’envi l’image des barres d’immeubles et des tours dans des quartiers défavorisés, mais les HLM récents n’ont plus rien à voir, aussi bien en termes de qualité que d’aspect. », souligne Muriel Boulmier, qui rappelle que plus de 10 millions de Français vivent dans des logements sociaux4 où, pour l’écrasante majorité, ils sont confortablement installés.
On ne parle pas assez du logement social et quand on le fait, on en parle mal.
« On sait qu’en France, il y a 4 millions de mal-logés5 mais on ne communique pas suffisamment sur les différentes formes de logements sociaux, sur leur capacité à apporter des solutions en matière d’habitat de qualité à loyer modéré pour les seniors mais également les apprentis, les étudiants, les jeunes couples… ». regrette Patrick Martinez.
Cette image impropre des HLM crée une méfiance à leur égard, que la pandémie et ses multiples confinements ont exacerbé. Pourtant, le logement social a de nombreux atouts, aussi bien pour les communes que pour les familles. Pour Patrick Martinez, « il faut promouvoir la diversité, l’adaptabilité, la noblesse de la réponse apportée par le logement social ».
« Nous ne sommes pas un acteur d’ajustement, nous sommes un acteur de plein exercice pour exercer une solidarité – celle du logement – au travers de l’aménagement et de l’activité économique, rappelle Muriel Boulmier. Le logement social est un aménageur présent dans 80 % du territoire de Nouvelle-Aquitaine, qui investit chaque année 1,5 milliard d’euros dans l’économie locale : 98% des marchés étant consentis à des PME locales6 ».
Au sortir d’une crise sanitaire sans précédent, avec l’élection présidentielle à l’horizon et alors que de nouveaux exécutifs municipaux, départementaux et régionaux démarrent leur mandature, la question du logement social apparaît plus pertinente que jamais.
Sources :
1 Union Régionale HLM Nouvelle-Aquitaine
2 La loi climat et résilience fixe aux collectivités, par tranche de dix ans, un objectif de réduction par deux du rythme de l’artificialisation des sols
3 Wavestone, Étude sur les processus de production de logements locatifs sociaux en Nouvelle-Aquitaine, 2021
4 USH
5 Fondation Abbé Pierre
6 Union Régionale HLM Nouvelle-Aquitaine
Patrick Martinez
Directeur de la Banque des Territoires en Nouvelle Aquitaine
Patrick Martinez a exercé par le passé des fonctions de cadre dirigeant au sein de l’Etat (préfectorale, cabinet), des collectivités territoriales (conseil départemental), d’établissements publics et d’entreprise. Dans toutes ses fonctions, il a toujours été attentif aux dimensions d’aménagement du territoire, de développement et de conduite de projets ainsi que de prise en compte des écosystèmes en vue d’élaborer et de déployer les meilleures stratégies possibles. La constitution de partenariats avec les représentants des secteurs d’activité pour lesquels la Banque des Territoires est un acteur engagé, comme pour le logement social, est un axe fort de son action en Région.
Muriel Boulmier
Présidente de l’Union Régionale HLM Nouvelle Aquitaine
Muriel Boulmier est une femme d’entreprise mais aussi militante associative portant des initiatives dans les domaines de la solidarité mais aussi de la mobilité, et experte des questions liées à l’habitat et au vieillissement (2 missions ministérielles et un livre publié sur le sujet).
Experte auprès de la Commission Européenne dans le Comité réglementaire qui traite du Fonds Social Européen, Muriel Boulmier est également engagée politiquement. Elue locale, adjointe et conseillère communautaire, elle est depuis juin 2021 conseillère régionale de Nouvelle-Aquitaine.