Environnement - Barrage de Sivens : les experts rendent un rapport très critique sans préconiser l'arrêt du projet
Après les violents affrontements du week-end sur le site du projet de barrage de Sivens, près de Gaillac (Tarn) et la mort d'un jeune manifestant de 21 ans, les experts mandatés par le gouvernement début septembre ont présenté ce 27 octobre à Albi les conclusions de leur rapport, mis en ligne peu avant sur le site du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). Nicolas Forray et Pierre Rathouis, tous deux ingénieurs généraux des ponts, eaux et des forêts, livrent une analyse très critique de ce projet de barrage-réservoir d'1,5 million de m3 d'eau stockée dont le maître d'ouvrage est le conseil général du Tarn.
Reconnu d'"utilité publique" et "d'intérêt général", il a été jugé indispensable par la chambre d'agriculture pour sécuriser l'irrigation et développer des cultures à haute valeur ajoutée, telles que le maraîchage et la production de semences potagères. Mais ses opposants ont dénoncé le risque de destruction d'un réservoir de biodiversité, la zone humide du Testet, au profit d'un modèle d'agriculture irriguée selon eux dépassé et ne bénéficiant qu'à un faible nombre d'agriculteurs. Depuis le début du défrichement sur le site qui s'étend sur 34 hectares, le 1er septembre, ils ont mené toutes sortes d'opérations de guérilla militante pour tenter d'empêcher la destruction de cette zone humide.
Les auteurs du rapport déplorent que le choix d'un barrage en travers de la vallée ait été privilégié "sans réelle analyse des solutions alternatives possibles". "Ceci est d'autant plus regrettable que le coût d'investissement (8,4 millions d'euros hors taxe, ndlr) rapporté au volume stocké est élevé", notent-ils. Ils jugent aussi le projet surdimensionné. Repartant d'une "analyse des volumes effectivement prélevés", ils concluent à une "surestimation des besoins de substitution de l'ordre de 35%" et proposent de ramener le volume contractualisable de substitution de 726.000 à 448.000 m³. Autre critique : le contenu de l'étude d'impact est considéré comme "très moyen, au-delà de la stricte question des solutions alternatives". Par exemple, "l'impact sur le régime hydraulique du cours d'eau en aval de la retenue est décrit assez sommairement", écrivent les experts. Ils ont aussi relevé "un véritable problème de compatibilité entre le projet, tel qu'il est actuellement présenté, les règles d'intervention du Feader [Fonds européen agricole pour le développement rural, ndlr] et les règles applicables en matière d'aides publiques".
Les inspecteurs ont examiné plusieurs scénarios de sortie de crise, à commencer par l'arrêt du chantier. Une telle solution "ne relève que du conseil général", insistent-ils et "il semble difficile d'y procéder, compte tenu de l'état d'avancement des travaux et des engagements locaux et régionaux pris avec la profession agricole". Quant à "une intervention ministérielle directe ordonnant l'arrêt, et demandée par certains, elle n'aurait pas de base légale", soulignent-ils. Plutôt que pour une remise en cause, les experts plaident donc pour une adaptation du projet qui permettrait aussi d'assurer sa conformité avec les règles de financement en agriculture : "l'amélioration des mesures compensatoires", par extension d'une des zones retenues ou la sélection d'un nouveau site, "la ré-allocation du volume dépassant le besoin de substitution vers la réserve inter-annuelle et/ou l'augmentation du soutien d'étiage uniquement", enfin "l'aménagement et la clarification des règles de gestion de l'ouvrage (définition des volumes selon le remplissage, gestion des débits)". Ils proposent de manière plus générale de tirer les leçons de cette "étude de cas" pour définir en Adour-Garonne "un volume de référence de substitution au mieux égal à 90% du maximum prélevé historique avec prise en compte des volumes de prélèvement possibles en début de campagne dans les cours d'eau, d'actualiser les PGE [plans de gestion des étiages, ndlr] tous les cinq ans, de remplacer les PGE par des Sage [schémas d'aménagement et de gestion des eaux, ndlr] dès lors que leur élaboration remonte à plus de dix ans". Il s'agit pour les experts de faire en sorte que Sivens soit considéré comme "un tournant de la gestion de l'eau en Adour-Garonne, dernier projet d'une époque, première étape d'une évolution majeure".