Réforme des collectivités - Avantage aux députés... mais le Sénat n'a pas dit son dernier mot
Rarement un texte aura été aussi discuté. Le projet de réforme des collectivités territoriales a certes franchi, le 3 novembre, l'étape de la commission mixte paritaire (CMP), mais après pas moins de quatre heures d'intenses tractations entre les sept députés et les sept sénateurs qui la composaient. L'adoption du texte ne tenant qu'à l'abstention du sénateur centriste, Yves Détraigne. Les sept parlementaires de la majorité ont voté pour et les six membres de l'opposition contre.
Au terme des deux lectures, de nombreuses divergences opposaient encore les deux chambres, en particulier sur le mode d'élection du conseiller territorial et la clarification des compétences des départements et des régions. Si le texte issu de la CMP est clairement un compromis, il ne fait aussi aucun doute que les députés ont réussi très largement à imposer leurs vues.
Signe de la domination des députés de la majorité, le projet de loi prévoit expressément que le conseiller territorial appelé à siéger à partir de 2014 dans les assemblées régionales et départementales sera élu au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. En seconde lecture, les sénateurs avaient, eux, décidé de reporter l'examen de cette question à un autre projet de texte.
Toujours concernant l'élection des conseillers territoriaux, il est finalement prévu que les candidats pourront se maintenir au second tour lorsqu'ils parviendront à un seuil "égal au moins à 12,5% des inscrits". Selon l'AFP, qui cite un parlementaire, la CMP a failli échouer sur cette question de seuil. Une longue suspension de séance a été nécessaire pour départager les tenants d'un seuil à 10% (voulu par le Sénat) et ceux d'un seuil à 12,5% (qui avait la préférence des députés).
Cumul de subventions : interdiction reportée à 2015
Comme le mode de scrutin des conseillers territoriaux, le Sénat avait, lors de la seconde lecture, fait disparaître du projet de loi les dispositions sur la clarification des compétences des collectivités votées par l'Assemblée en première lecture. Les députés avaient alors, en seconde lecture, rétabli leur texte. Au terme de la CMP, celui-ci est maintenu. Avec, toutefois, des aménagements substantiels qui témoignent de la volonté de la majorité d'apaiser les nombreuses inquiétudes exprimées de toutes parts sur ce volet-clé de la réforme… et de tenter d'emporter l'adhésion des sénateurs centristes.
D'abord, l'encadrement des cofinancements, dénoncé quasiment par toutes les associations d'élus locaux, est assoupli. Quelle que soit la taille de la collectivité maître d'ouvrage, celle-ci devra apporter au minimum 20% des financements. Pour mémoire, le texte adopté en seconde lecture à l'Assemblée nationale prévoyait un taux minimum de 30% pour les communes de plus de 3.500 habitants et les EPCI à fiscalité propre de plus de 50.000 habitants. Si le cumul des subventions des départements et des régions en direction de ces communes et EPCI reste interdit... cette perspective s'éloigne brusquement puisque la mesure, prévue pour entrer en vigueur le 1er janvier 2012, est reportée au 1er janvier 2015. En sachant que cette interdiction ne s'appliquera qu'en l'absence de l'adoption par les conseillers territoriaux d'un schéma d'organisation des compétences entre la région et les départements qui la composent. En outre, le sport, le tourisme et la culture feront exception et pourront donc continuer à bénéficier du cumul des subventions. Une autre modification, loin d'être symbolique, porte sur la possibilité qu'auront les régions de subventionner des opérations "d'intérêt régional" - et non plus "d'envergure régionale" comme prévu auparavant – pilotées par les autres collectivités. Enfin, le comité d'élus chargé d'évaluer la mise en oeuvre des règles destinées à clarifier les compétences des collectivités se réunira avant fin 2012 – et non fin 2013. Surtout, à l'initiative d'Yves Détraigne, le dépôt du rapport de cette instance devra être suivi, dans les six mois, d'une loi chargée de "préciser et adapter" le dispositif de répartition des compétences entre collectivités. En somme, c'est une "clause de revoyure" que les parlementaires ont instaurée, à l'image de celles prévues pour la suppression de la taxe professionnelle.
Rendez-vous mardi
La majorité a consenti d'autres concessions. A trois semaines de son congrès annuel, l'Association des maires de France (AMF) a été entendue sur les communes nouvelles. L'AMF craignait en effet que des communes puissent être supprimées contre leur gré. En fin de compte, la création de ces communes nouvelles sera possible soit avec l'accord de tous les conseils municipaux des communes concernées, soit avec celui des électeurs de chacune de ces communes, consultés par référendum. Enfin, ultime concession faite aux centristes, les sanctions financières contre les partis qui ne respecteront pas la parité pour l'élection des conseillers territoriaux ont été renforcées.
Concernant les autres dispositions pour lesquelles l'Assemblée nationale et le Sénat n'étaient pas parvenus à se mettre d'accord - en particulier sur les métropoles -, le texte issu de la CMP repose sur les dispositions adoptées par les députés en seconde lecture.
Le compromis de la CMP doit à présent être adopté par l'Assemblée et le Sénat, en sachant qu'aucune disposition constitutionnelle ou réglementaire ne précise laquelle des deux chambres doit statuer en premier. Ces deux votes sont prévus pour le début de la semaine prochaine, vraisemblablement le mardi 9 novembre en fin de journée côté palais Bourbon et le même jour à 10 heures côté palais du Luxembourg. Cette modification in extremis de l'ordre du jour, décidée par le gouvernement, a d'emblée fait grincer des dents au Sénat, où le mardi matin est traditionnellement consacré aux questions orales sans débat et à la réunion des groupes politiques.
Si les deux assemblées adoptent un texte identique, éventuellement modifié par les mêmes amendements, cela vaudra adoption définitive. Et si le texte devait en revanche être rejeté par le Sénat ? Ce cas de figure est loin d'être exclu, l'UMP n'ayant pas la majorité absolue et ayant donc besoin de l'appui des centristes. Certains sénateurs UMP parient même déjà sur un rejet. Dans ce cas, le gouvernement sera en droit de donner le dernier mot à l'Assemblée nationale (même s'il a théoriquement une autre solution, celle de laisser le texte repartir en navette). Ce qui serait évidemment du plus mauvais effet sur la chambre censée représenter les collectivités. Plusieurs sénateurs parlent d'ores et déjà de "grave désaveu pour le Sénat" et de volonté de "passer en force". De son côté, l'Association des régions de France, qui se réunit ce 5 novembre pour son congrès, pense déjà à la phase suivante, en annonçant qu'elle saisira "toutes les voies de recours juridiques possibles" contre ce "texte de grave régression".
Thomas Beurey / Projets publics et Claire Mallet