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Achat public : retour sur un semestre d'actualités et de jurisprudences

L’arrivée de la période estivale est l’occasion de revenir sur les éléments marquants de la commande publique de ces derniers mois. La réforme de la commande publique poursuit son chemin avec la parution de plusieurs décrets et règlements. Le juge administratif continue quant à lui de préciser l’application de ce nouveau droit. Ce premier semestre a également été l’occasion pour lui de préciser son office en matière de droit des contrats administratifs.

De nouveaux textes pour compléter la réforme de la commande publique

En attendant l’achèvement de la réforme qui sera marquée par la parution du code de la commande publique fin 2018, trois décrets et deux arrêtés sont parus ces six derniers mois. Ils ont pour objectif de préciser certains points de la réforme, mise en place par les ordonnances et décrets Marchés publics et Concessions. Le gouvernement a également enjoint les préfets de déférer les appels d'offres contenant les clauses Molière. Un premier jugement ne lui a pas été favorable.

Marchés publics : un décret allège quelques formalités pour les collectivités
Un décret simplifiant quelques formalités en matière de commande publique a été publié au Journal officiel (JO) le 12 avril 2017. Il a été rendu nécessaire suite à l’adoption de deux lois affectant plusieurs dispositions du décret Marchés publics du 25 mars 2016 : la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (CAP), ainsi que la loi du 9 décembre 2016, dite loi Sapin II. Ce nouveau décret modifie notamment les articles 51 et 55 du décret marchés publics afin de tenir compte de la suppression de l’obligation faite au candidat de produire un extrait de casier judiciaire. Difficile à obtenir, la production de ce document a été remplacée par une simple attestation sur l’honneur. A l’origine, l’article 107 du décret Marchés publics imposait également à tous les acheteurs de publier les données essentielles de leurs marchés sur leur profil d’acheteurs. Cependant, cette mesure représentait une lourde charge pour les marchés de faible enjeu. Le nouveau décret a donc instauré un seuil de 25.000 euros en deçà duquel les acheteurs ne seront plus soumis à cette mesure d’open data. En outre, ce décret supprime l’obligation d’évaluation comparative du mode de réalisation du projet lorsque le montant est supérieur à 100 millions d’euros, cette obligation étant désormais cantonnée aux seuls marchés de partenariat. Enfin, il modifie le code de la construction et de l’habitation afin d’intégrer les modalités spécifiques des commissions d’appels d’offres des offices publics de l’habitat instituées par la loi Sapin II.

Marchés publics globaux : parution du décret sur l'identification des missions de maîtrise d'œuvre
Un décret paru au JO du 7 mai, en application de la loi CAP, vient préciser le contenu des missions du maître d'œuvre dans le cadre d’un marché public global. En effet, l’article 91 de cette loi a entraîné la création d'un article 35bis dans l'ordonnance Marchés publics du 23 juillet 2015, mettant en place à l'égard d'un candidat à un marché public global "l'obligation d'identifier une équipe de maîtrise d'œuvre chargée de la conception de l'ouvrage et du suivi de sa réalisation". Dans un contexte où le recours aux marchés publics globaux tend à se généraliser, ce décret intervient pour assurer l'indépendance de la maîtrise d'œuvre et par conséquent, la qualité architecturale des constructions. Ainsi, ce nouveau décret prévoit que certaines missions devront obligatoirement être confiées au maître d’œuvre, quelle que soit la valeur estimée du besoin (études d'avant-projet définitif, études de projet, études d'exécution, suivi de la réalisation des travaux et de leur direction ainsi que la participation aux opérations de réception et de mise en œuvre de la garantie de parfait achèvement). Deux autres missions pourront être facultativement confiées au maître d'œuvre : les études d'esquisse et les études d'avant-projet sommaire.

Dématérialisation de la commande publique : deux arrêtés précisent les profils d'acheteurs et leurs données essentielles
Le 27 avril, deux arrêtés ont été publiés au JO, complétant le volet dématérialisation de la réforme de la commande publique. Le premier précise les fonctionnalités et les exigences minimales s'imposant aux profils d'acheteurs et le second fixe les modalités de publication des données essentielles des contrats sur ces mêmes profils. Ils entreront en vigueur le 1er octobre 2018. Concernant les profils d’acheteurs, les collectivités devront notamment pouvoir y publier des avis d’appel à concurrence (AAPC), mettre à disposition les documents de la consultation, réceptionner et conserver les candidatures présentées grâce au document unique de marché européen (Dume), répondre aux questions des entreprises, ou encore d’obtenir des documents justificatifs grâce au dispositif "Dites-le-nous une fois". Du côté des entreprises, le profil d’acheteur devra notamment leur permettre de consulter et télécharger gratuitement les documents de la consultation et accéder à un espace leur permettant de simuler le dépôt de documents. L’opérateur économique pourra également déposer sa candidature, sous forme de Dume ou non, déposer une offre, signée électroniquement ou non, et poser des questions à l’acheteur.
Le deuxième arrêté encadre quant à lui, tant sur le fond que sur la forme, l’obligation nouvelle faite aux acheteurs de publier les données essentielles de leurs marchés publics et des contrats de concession. En effet, s’il dresse la liste des informations à fournir, ce texte livre aussi trois modèles de référentiels (marchés publics, concessions, marchés publics de défense et de sécurité) que les collectivités devront obligatoirement utiliser pour satisfaire à leur obligation d’open data. A titre d’exemple, les données essentielles que l’acheteur devra obligatoirement publier sont notamment le numéro d'identification unique du marché public, la date de notification du marché public, la nature et l’objet du marché, l’identification du titulaire et son numéro d’inscription au répertoire des entreprises. Si le marché public est modifié en cours d’exécution, l’acheteur devra également publier la durée modifiée du marché public, le montant HT modifié en euros du marché public ou encore le nom du nouveau titulaire en cas de changement.

Lutte contre le travail détaché illégal : un nouveau décret renforce le dispositif
Un décret du 5 mai 2017 vient compléter le cadre juridique relatif à la lutte contre le travail détaché illégal. Il apporte des modifications au code du travail, entrées en vigueur le 1er juillet 2017. A ce titre, les obligations du maître d’ouvrage sont renforcées concernant la déclaration de détachement ainsi que la procédure de déclaration d’accident de travail d’un salarié détaché. En outre, le travailleur détaché devra être précisément informé de ces droits (salaire minimum, hébergement, les équipements individuels obligatoires, prévention des chutes de hauteur, etc.) dans la langue officielle de son pays d’origine. Enfin, les pouvoirs de sanction du préfet en cas de manquement ou d’infraction sont étendus. Jusqu’alors, il pouvait sanctionner l’entreprise par un arrêt de son activité sur un chantier déterminé. Désormais, il peut également décider "de l’arrêt de l’activité sur un autre site de l’entreprise où un chantier est en cours".

Les clauses Molière doivent être considérées comme illégales MAIS le juge a en validé une !
Dans une instruction interministérielle datée du 27 avril 2017, le gouvernement a pris position sur la légalité des clauses imposant l’usage du français dans les conditions d’exécution des marchés publics passés par les collectivités. Ces clauses, dites "clauses Molière", sont considérées comme illégales et les préfets sont donc appelés "à les traiter comme telles", dans le cadre du contrôle qu'ils opèrent sur les actes de ces dernières. Toutefois, dans un jugement du 7 juillet 2017, le tribunal administratif de Nantes a refusé de sanctionner l’utilisation d’une "clause Molière" dans un marché public. Première juridiction à trancher une telle affaire, cette dernière a estimé que la clause d’interprétariat introduite par la région Pays de la Loire dans son marché de travaux trouvait "à s’appliquer sans discrimination, même indirecte, à toutes les entreprises soumissionnaires". Le juge du référé précontractuel n’a donc pas annulé la procédure de passation du contrat litigieux, la présence de la clause d’interprétariat n’affectant pas, selon lui, les principes de liberté d’accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats. Si cette affaire arrive jusqu’au Conseil d’Etat, reste à savoir dans quelles mesures ce dernier tiendra compte de l’instruction interministérielle interdisant l’usage des "clauses Molière".

Jurisprudence

La fin du premier semestre 2017 est l’occasion de revenir sur les dernières jurisprudences importantes du Conseil d’Etat. Deux arrêts ont tout d’abord poursuivi l’œuvre de redéfinition du régime contentieux des tiers.

La survivance du recours pour excès de pouvoir pour les tiers au contrat
En effet, si la jurisprudence "Tarn-et-Garonne" de 2014 fixe l’essentiel du régime du recours des tiers contre un contrat, des points restaient à trancher. Dans cet arrêt du 23 décembre 2016, la haute juridiction administrative a créé une brèche dans le régime "Tarn-et-Garonne". Pour rappel, ce régime a fermé la voie du recours pour excès de pouvoir (REP) contre les actes détachables du contrat, ouvrant en contrepartie celle du plein contentieux, permettant au tiers de contester la validité d'un contrat et d’en obtenir l'annulation. En l’espèce, le Conseil d’Etat a cantonné la survivance d’un REP aux tiers contestant un seul type d’acte, celui approuvant un contrat de partenariat.

La signature du marché public, unique limite au référé précontractuel
Dans un arrêt du 12 juillet 2017, le Conseil d’Etat a continué sur sa lancée, précisant cette fois le délai dans lequel un référé précontractuel pouvait être raisonnablement introduit. Selon lui, il faut considérer que la signature du marché public est l’unique limite au référé précontractuel. Cette décision met donc fin à la pratique naissante des juges, considérant comme tardive les requêtes en référé précontractuel introduites plus de trois mois après que l’entreprise ait eu connaissance du manquement aux règles de procédure de passation.

Ces derniers mois, le Conseil d’Etat a également apporté des précisions concernant la sous-traitance :

Marchés publics : le sous-traitant a son mot à dire
Dans cette décision du 27 janvier 2017, le Conseil d'Etat a réglé une affaire relative au droit au paiement direct des sous-traitants. En l’espèce, l’entrepreneur principal et le maître d’ouvrage avait modifié l’acte spécial afin de revoir à la baisse le montant des prestations du sous-traitant. Toutefois, les sages du Palais Royal ont rappelé que sans l’accord du sous-traitant, et donc sans modification du contrat de sous-traitance, les parties ne peuvent modifier la situation d’un sous-traitant, quand bien même celui-ci n’aurait pas correctement assuré ses prestations.

Le maître d'ouvrage garde le contrôle sur le paiement direct des sous-traitants
Cette décision du 9 juin 2017 a permis au Conseil d’Etat de rappeler les droits et obligations du maître d’ouvrage dans le cadre du paiement direct du sous-traitant. En effet, si l’acceptation du sous-traitant et l’agrégation de ses conditions de paiement lui ouvrent droit au paiement direct de ses prestations par le maître d’ouvrage, ce dernier peut toutefois refuser de payer. La haute juridiction administrative rappelle à ce titre que le maître d’ouvrage peut toujours contrôler "l’exécution effective des travaux sous-traités et le montant de la créance du sous-traitant". En l’espèce, les travaux réalisés par le sous-traitant ne correspondaient pas à ce que prévoyait le marché. Bien que les travaux aient été réalisés dans les règles de l’art, le juge de cassation a confirmé qu’ils ne pouvaient faire l’objet d’un paiement direct, faute de correspondre au travail demandé.

Les référés précontractuels et contractuels ont également fait l’objet de précisions jurisprudentielles importantes :

Signature du contrat : la précipitation peut être sanctionnée !
Cet arrêt a permis au Conseil d’Etat d’attirer la vigilance des acheteurs avant de signer un marché. En l’espèce, la collectivité avait signé le contrat mais, quelques minutes plus tôt, une société évincée lui avait notifié son dépôt de référé précontractuel. La question était alors de savoir si ce référé précontractuel pouvait être transformé en référé contractuel, sachant qu’à l’heure où la société a notifié son recours (19h38), les services de la collectivité étaient fermés. Le Conseil d’Etat a répondu par l’affirmative, estimant qu’il appartenait à la commune de faire preuve de davantage de vigilance, alors même que le règlement de la consultation indiquait que les bureaux fermaient à 16h30. En effet, comme l’indique l’article L. 551-1 du code de justice administrative (CJA), "Elle [la notification du recours] est réputée accomplie à la date de réception par le pouvoir adjudicateur". La haute juridiction administrative a également infligée une pénalité financière de 20.000 euros à la collectivité pour avoir signer le contrat alors que le dépôt d’un référé précontractuel lui avait été notifié.

Référé précontractuel : à chacun sa faute !
Dans une décision du 24 mai 2017, le Conseil d’Etat a adopté une approche subjective de la recevabilité d’un référé précontractuel. En l’espèce, la collectivité n’avait pas respecté le délai de "stand still". Toutefois, la société évincée requérante avait quant à elle introduit son référé précontractuel tardivement. Se posait alors la question de savoir s’il fallait sanctionner la collectivité du fait de la seule méconnaissance du délai de "stand still" ou bien prendre en compte le caractère tardif du référé précontractuel, entraînant en tout état de cause l’irrecevabilité de ce dernier ? Le Conseil d’Etat a opté pour la seconde solution, estimant qu’il ne fallait pas commettre "d’excès de rigueur ", les sociétés requérantes n’ayant pas été lésées par la signature anticipée du contrat du fait de l’introduction tardive de leur référé.

Enfin, le Conseil d’Etat a tranché une affaire intéressante sur les offres conditionnelles :

L'obtention hypothétique d'une DSP ne peut faire l'objet d'une offre conditionnelle
Dans cet arrêt du 24 mai 2017, le Conseil d’Etat a tranché une affaire relative à la demande de remise d’une offre conditionnelle par une autorité concédante. Pouvait-elle solliciter des entreprises qu’elles remettent une nouvelle offre dont le prix dépendrait de l’hypothétique obtention d’une délégation de service public lancée par une collectivité voisine ? La haute juridiction administrative a répondu par la négative. En effet, bien que les deux collectivités soient voisines, le périmètre géographique et l’objet des contrats étaient différents (assainissement pour l’un, distribution de l’eau potable pour l’autre). Dès lors, le Conseil d’Etat a affirmé que la collectivité ne pouvait apprécier les offres sur des éléments étrangers au service public concédé.

 

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