Accélération de la production d'énergies renouvelables : l'Assemblée adopte le projet de loi
L'Assemblée nationale a adopté ce 10 janvier au soir le projet de loi d'accélération des énergies renouvelables, au terme d'une séance animée marquée par une panne technique du système de vote électronique. Le texte, qui entend notamment s'appuyer sur les élus locaux pour planifier les zones prioritaires de déploiement des projets d'énergies renouvelables, sera examiné en commission mixte prioritaire le 24 janvier. Cette dernière devra encore trancher plusieurs points sensibles, avant l'adoption définitive du projet de loi.
Après plusieurs suspensions de séance et une panne technique du système de vote électronique, c'est munis de bulletins papier et dans un certain chahut que les députés ont adopté ce 10 janvier au soir, par 286 voix contre 238, le projet de loi d'accélération de la production d'énergies renouvelables, à la suite du Sénat qui avait largement soutenu le texte début novembre dernier (lire notre article). Le projet de loi, qui vise à réduire les délais d'installation et rattraper le net retard de la France en matière d'énergies renouvelables (EnR) - 19,3% de la consommation finale brute d'énergie, une part plus faible qu'ailleurs en Europe et déjà en deçà de l'objectif fixé en 2020 de 23% - a bénéficié du soutien des députés socialistes et de la majorité du petit groupe indépendant Liot. "Cette loi a fait l'objet d'un vrai travail de dialogue entre les différents camps politiques et avec le gouvernement", a estimé le député PS de Meurthe-et-Moselle Dominique Potier (PS), qui revendique des "avancées majeures" grâce aux 70 amendements déposés par son groupe. Les écologistes ont opté, eux, pour une "abstention d'attente" afin de "mettre la pression". "On attend mieux", par exemple sur le déploiement des renouvelables sur le bâti existant, a souligné la dirigeante d'EELV, Marine Tondelier.
Oppositions de LFI, du RN et de LR
Les Insoumis ont voté contre, s'inquiétant d'"un marché libéralisé" avec une "multitude de contrats de gré à gré", selon le député de Seine-et-Marne Maxime Laisney.
"Vous ne tirez aucun bilan de 20 ans de libéralisation du marché de l’énergie […]. Vous vous contentez de vouloir accélérer à tout prix en laissant le marché faire ses courses", a fait valoir le député communiste de Seine-Maritime Sébastien Jumel, lui aussi hostile au projet de loi.
A l'extrême-droite, le député RN du Gard Nicolas Meizonnet a fustigé les futurs panneaux solaires et éoliennes "partout et à perte de vue", un "scandale" qui va "massacrer paysage et patrimoine", pour des énergies de "très faible rendement".
A rebours de leurs collègues sénateurs, les députés LR ont ferraillé contre le projet de loi, ses "dérogations injustifiées accordées à l'éolien", une "énergie intermittente", déplorant également un "saucissonnage" des textes énergétiques. Le projet de loi visant à accélérer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires arrive en effet au Sénat dès le 17 janvier, avant la future loi quinquennale dite de "programmation sur l'énergie et le climat" (LPEC) qui doit déterminer les objectifs de la France pour chaque énergie à horizon 2033. Selon la ministre de la Transition énergétique, ce texte pourrait être présenté au Parlement en juin prochain.
Zones "d'accélération" prioritaires : l'aval des maires, sujet de crispation
Une commission mixte réunira des députés et sénateurs le 24 janvier pour tenter d'établir un texte de compromis, en vue d'une adoption définitive. Parmi les principaux débats : le sujet sensible de l'aval des maires avant d'implanter éoliennes terrestres et panneaux solaires. Dans la lignée d'un compromis trouvé au Sénat, l'Assemblée a validé un dispositif de planification, avec des zones "d'accélération" prioritaires pour installer les renouvelables, sous réserve de l'approbation des communes. La mesure a crispé la gauche qui redoute le retour du "veto des maires" que réclamaient des députés LR pour l'ensemble du territoire. Des ONG comme Greenpeace y voient aussi "un point noir majeur qui va encore plus freiner le développement de l'éolien terrestre en France". WWF redoute également une forme "d'usine à gaz". À l'exception des procédés de production en toitures, ces zones ne pourront être incluses dans les parcs nationaux et les réserves naturelles, a précisé l'Assemblée.
Alors qu'il faut en moyenne en France 5 ans de procédures pour construire un parc solaire, 7 ans pour un parc éolien et 10 ans pour un parc éolien en mer, le texte prévoit aussi des adaptations temporaires des procédures administratives pour simplifier et accélérer la réalisation des projets, l'objectif étant de raccourcir significativement les délais de déploiement. Le gouvernement veut notamment réduire certains recours, en reconnaissant une "raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM)" pour des projets d'énergies renouvelables.
L'Assemblée a adopté en première lecture des amendements écologistes pour instaurer un observatoire et un médiateur des EnR et pour une meilleure "acceptabilité", les députés ont ajouté au texte un objectif paysager incitant les collectivités à "veiller à limiter les effets de saturation visuelle", notamment des éoliennes.
Afin de mieux répartir les EnR sur le territoire, le texte rend possible une modulation tarifaire qui inciterait des porteurs de projets à s'installer dans des zones aux conditions naturelles a priori moins favorables.
Le projet de loi facilite aussi l'installation de panneaux photovoltaïques aux abords des autoroutes et grands axes. Il permet de déroger à la loi Littoral, dans un cadre très contraint, pour l'implantation de panneaux dans des "friches" et facilite également l'implantation dans les communes de montagne. Il impose en outre l'équipement progressif des parkings extérieurs de plus de 1.500 m2 avec des ombrières photovoltaïques.
Le texte propose aussi de mutualiser les débats publics sur la localisation des projets de parcs éoliens en mer "pour améliorer la planification spatiale" et accélérer leur développement. L'Assemblée a rejeté en séance des amendements LR réclamant que les zones d'implantation soient situées à une distance minimale de 40 km du rivage. Seront toutefois "ciblées en priorité des zones propices situées dans la zone économique exclusive", soit un peu plus de 22 km des côtes, et en dehors des parcs nationaux ayant une partie maritime.
Sur proposition des socialistes, l'Assemblée a renoncé à un principe de ristourne sur la facture des riverains d'énergies renouvelables. Les députés privilégient des mesures territoriales plus larges comme des fonds pour aider les ménages modestes en situation de précarité énergétique ou pour financer des projets en faveur de la biodiversité.
Le texte entend enfin définir "l'agrivoltaïsme", combinant exploitation agricole et production d'électricité, par exemple avec des panneaux solaires montés sur des pieds, permettant la culture voire le passage d'animaux. La production agricole devrait rester "l'activité principale" ou les installations être "réversibles".
Les professionnels de la filière globalement satisfaits
Avec ce projet de loi d'accélération des EnR adopté à l'Assemblée, la France reconnaît le besoin de déployer ces modes de production, nécessaires tant au climat qu'à l'approvisionnement du pays, ont réagi ce 10 janvier les représentants du secteur auprès de l'AFP. Pour Michel Gioria, délégué général de France Energie Eolienne (FEE), "c'est un tournant, car c'est la première loi en France dédiée aux énergies renouvelables. C'est aussi la première fois que certains sujets sont mis en avant : la planification, la redistribution des fruits de la transition... Les élus locaux ont non seulement un nouveau rôle mais une coresponsabilité dans la définition de 'zones d'accélération'". En revanche, les débats à l'Assemblée ont montré à droite et à l'extrême droite une forme de négation des faits et une vraie prise de distance avec le sujet climatique, sous couvert de défense du nucléaire, a-t-il ajouté. Quant à la gauche, les partis vont devoir gérer et travailler leurs contradictions, entre renouvelables, biodiversité, planification..."
Pour Daniel Bour, président d'Enerplan, syndicat du solaire,- "cette loi, c'est la reconnaissance officielle de la nécessité de développer massivement et rapidement les énergies renouvelables sur nos territoires, aussi bien pour des raisons climatiques que de sécurité énergétique. C'est un message clair aux préfectures et aux commissions intervenant dans la délivrance des autorisations. Maintenant, il faut aller au bout, via les textes réglementaires pour la rendre praticable, des moyens humains dans les administrations..." "La plupart des pays ont accéléré, a-t-il souligné. En 2022, le volume européen de raccordement des installations solaires s'est élevé à 41 gigawatts (GW), soit près de 50% de croissance, à comparer, en France, à 2 GW et une croissance nulle ! 2023 doit lancer le mouvement en France : nous pouvons faire 4 GW dès cette année", a-t-il estimé. "Le tournant est le fait que le gouvernement ait pris conscience du retard de la France dans les énergies renouvelables, et que le Sénat ait approuvé largement le projet de loi, a réagi de son côté Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Mais à l'Assemblée, le débat s'est transformé en rassemblement d'inquiétudes, et les députés ont réduit l'ambition du texte. C'est assez attristant." Selon le dirigeant du SER, "le mot 'accélération' dans le titre ne suffit pas. Il reste deux semaines d'ici la Commission mixte paritaire pour que certains freins disparaissent (notamment les nouveaux critères ajoutés à l'éolien terrestre) et que d'autres dispositions reviennent (notamment le raccourcissement des procédures d'instruction des dossiers). Nous en appelons à la raison et au sens de l'intérêt général des parlementaires, à leur capacité à porter un discours plus positif aussi."
Le projet de loi d'accélération des énergies renouvelables (EnR) adopté par les députés ce 10 janvier mise sur un rôle accru des élus locaux dans l'essor de l'éolien ou encore du solaire, qui peinent à se déployer au rythme souhaité. Où s'implanter ? Comment mieux répartir les sites, aujourd'hui concentrés dans le Nord et l'Est du pays ? Comment favoriser l'adhésion locale ? Le texte, qui va repartir en négociation avec le Sénat, demandera aux élus de définir des "zones d'accélération" pour l'implantation d'infrastructures d'EnR. "Nous faisons le pari de remettre les collectivités dans le siège conducteur", a expliqué à l'AFP la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher. "Pour la première fois, nous créons un système de planification mettant les élus locaux au centre du jeu, en les réunissant pour traiter concrètement le sujet de l'installation des projets EnR dans leurs territoires afin qu'ils soient mieux acceptés et qu'ils se les approprient", a-t-elle poursuivi. "En revanche, si des collectivités ne proposent pas de zones d'accélération, elles ne pourront pas imposer de zones d'exclusion". En clair : les élus locaux auront intérêt à dire où ils veulent des éoliennes, sinon le marché s'imposera. L'État se donne six mois pour fournir à chaque département ses données : production, gisements de vent ou de biomasse, contraintes... Les communes ou intercommunalités auront alors six mois pour envoyer leurs propositions. Il faudra ensuite un nouveau semestre, au mieux d'ici la mi-2024, pour voir "si ces schémas départementaux collent avec" les objectifs de la France dans les renouvelables. "Sinon, nous demanderons aux maires de proposer des territoires alternatifs", ajoute la ministre, qui a écrit aux préfets pour les préparer et escompte "des zones d'accélération dans tous les départements". Pour France Énergie Éolienne, la voix du secteur, c'est "un profond changement de méthode, qui place désormais les élus locaux en coresponsables de la réussite de la transition énergétique et de la sécurité d'approvisionnement" du pays. Aujourd'hui, pour un projet éolien terrestre, le maire est obligatoirement interrogé lors de l'enquête publique ; idem pour les grands champs photovoltaïques. Le préfet n'est cependant pas obligé d'en tenir compte pour l'autorisation. Pour autant, la profession l'affirme : les projets "Far West", portés dans les années 1990 par des développeurs seulement soucieux de convaincre les propriétaires de terrains, c'est fini. Même quand il s'agit de terrains privés, "la porte d'entrée est la commune. On ne rencontre jamais les propriétaires sans voir le maire avant", explique Joseph Fonio, président France de RWE Renouvelables. "Dans la majorité des cas, nous sommes bien accueillis". "L'essentiel de nos actions vise à faire que ces projets soient soutenus localement : par la coconstruction, l'association à l'investissement, le financement d'initiatives en faveur de la biodiversité ou du patrimoine", énumère-t-il, évoquant des pratiques similaires en Italie ou en Allemagne. Mais l'élu ne peut pas tout. "Si la population n'en veut pas, que fait-on?," demande Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce, principale association de collectivités sur les sujets eau, énergie, déchets, soulagé que le "droit de veto" des maires sur les projets ait pour l'instant disparu du texte: "trop de pression" sur l'élu. En revanche, on doit lui donner les moyens de susciter l'adhésion, en plus du revenu fiscal, plaide Nicolas Garnier. Les défenseurs des renouvelables regrettent ainsi que le partage des profits avec les riverains des installations (via une baisse de la facture d'électricité) ait disparu du texte de loi. Autre piste souvent évoquée mais pas retenue : la vente directe d'énergie renouvelable aux communes. "Comme il est fier d'attirer une usine et l'emploi, l'élu doit pouvoir assumer pleinement un site énergétique : c'est une manne et la lutte contre le changement climatique", souligne Nicolas Garnier. "Jusqu'en 1946, les unités de production électrique étaient portées par les communes : barrages, turbines...", rappelle-t-il. Mais depuis, "la politique énergétique a si bien marché qu'elle a déconscientisé" l'opinion, ajoute-t-il, s'interrogeant sur la nécessité d'en arriver à des objectifs plus contraignants. En Allemagne, où les Länder ont grande latitude en matière d'énergie, certains rechignent toujours vis-à-vis des renouvelables, comme la Bavière avec l'éolien. Berlin a donc proposé une loi pour contraindre les retardataires. AFP |