Cour des comptes - Soutien aux festivals : davantage conditionner les aides d'État

Les festivals, largement subventionnés par les collectivités et dans une moindre mesure par l'État, pèchent par leur gouvernance et sont en "panne" de démocratisation culturelle, estime la Cour des comptes dans son rapport public annuel. Elle préconise de conditionner les aides d'État à des objectifs précis en matière de création, de démocratisation et de diffusion numérique.

En quatre recommandations seulement, le rapport thématique "Festivals et territoires : les défis d’une politique partagée en matière de spectacle vivant", publié le 10 mars, synthétise l'analyse de la Cour des comptes sur les politiques publiques d'aide aux festivals. Recommandations qui se résument en une phrase : mieux partager la gouvernance pour atteindre des objectifs en matière de démocratisation culturelle. Car si les festivals ont connu ces quarante dernières années une croissance spectaculaire, les retombées attendues par les pouvoirs publics ne sont pas, selon les magistrats financiers, au rendez-vous.

La première recommandation, adressée au ministère de la Culture, vise à "poursuivre la connaissance des moyens, financiers et en nature, du fait festivalier afin d’appréhender le réel effort des collectivités territoriales et leurs retombées économiques". En effet, dans un pays qui comptait 7.282 festivals en 2021, soit près de quatre fois plus que vingt ans auparavant, "le montant consolidé des concours financiers des collectivités territoriales aux festivals n’est pas disponible", déplore la Cour des comptes.

Les communes, premiers financeurs

En revanche, les grandes masses financières en jeu sont connues. En 2022, l’État a subventionné les festivals, à travers le ministère de la Culture et ses opérateurs, à hauteur de 50 millions d'euros, et l'estimation des dépenses des collectivités, pour l'année 2019 cette fois, s'élevait à plus de 300 millions d'euros. Et sans doute beaucoup plus si l'on considère que l’effort des communes, premiers financeurs des festivals devant les régions, est probablement sous-estimé du fait de l’absence de prise en compte des dépenses en nature (mise à disposition de locaux, moyens techniques et humains au bénéfice d’associations, etc.).

Principalement porté par les collectivités, le développement des festivals a donc permis de rééquilibrer l’accès à l’offre culturelle. De son côté, l'État ne subventionne qu'une petite minorité de festivals – à peine 8% – principalement en raison de leur "renommée internationale". Pour la Cour, "c’est au dynamisme persistant dont ont fait preuve les collectivités locales depuis les années quatre-vingt que le fait festivalier doit de s’être fortement diffusé".

Formaliser les priorités

La deuxième recommandation invite le ministère de la Culture mais aussi les collectivités à "mieux formaliser les objectifs attendus de chaque festival bénéficiant de concours publics, en particulier à travers les outils de pilotage et de contractualisation pluriannuelle". C'est ici que débute le réquisitoire de la Cour des comptes sur la gouvernance des festivals. Réquisitoire, précisons-le, qui s'appuie sur une infime partie des festivals français – à peine huit – et peu représentatifs de l'ensemble, puisqu'il s'agit d'évènements dont les budgets s'échelonnent de 580.000 à 22 millions d'euros, quand le budget de 75% des festivals est inférieur à 270.000 euros.

Pour la Cour, l’"enjeu-clé" est celui d’une "gouvernance mieux partagée". En effet, selon elle, "le principe de compétence partagée qui régit la politique culturelle ne trouve pas toujours à s’appliquer de façon harmonieuse dans la constitution et le fonctionnement [des] structures de gouvernance [des festivals]". Ainsi, alors qu'en contrepartie des financements publics, certains festivals se voient assigner des objectifs formalisés dans différents documents de cadrage, "la logique qui devrait présider à la déclinaison et à l’articulation de ces différents documents n’est que rarement respectée". La Cour rapporte que le directeur du Festival d'Avignon n’a reçu aucune lettre de mission de ses partenaires publics entre 2013 et 2022 bien que les statuts du festival prévoient un tel document. Autrement dit, les objectifs attendus du directeur n’ont jamais été formalisés.

La Cour invite donc à recourir de manière systématique à l'envoi de lettres de mission, lesquelles permettraient à l’État comme aux collectivités de coordonner leurs priorités et de les intégrer dans la définition du projet stratégique de chaque festival. Et sans aller jusqu’à une clause de conditionnalité liant rigoureusement les financements à l’atteinte des cibles retenues, la Cour souligne que "les lettres de mission, conventions pluriannuelles et contrats de performance doivent prévoir de justes contreparties aux soutiens publics".

Renouveler les publics

Le lien était tout trouvé pour mettre en avant un autre enjeu-clé des politiques culturelles : la "démocratisation des publics". Et la Cour de demander – c'est l'objet de sa troisième recommandation – que les organisateurs des festivals et leurs tutelles (État et collectivités) conduisent des enquêtes afin de mesurer les incidences de leurs actions socioculturelles sur leurs publics cibles.

Alors que les festivals constituent un "outil privilégié pour toucher de nouveaux publics" et que beaucoup ont développé un travail de médiation en faveur des publics les plus éloignés de la culture, la Cour regrette que rares soient les festivals qui ont mis en place un dispositif de suivi. Et pour ceux qui l'ont fait, les résultats sont décevants. Ainsi, malgré une politique "volontaire", notamment en matière de tarifs, les festivaliers d'Avignon appartiennent à des catégories sociales élevées, ouvriers et employés ne représentant respectivement que 2,4% et 7% du public. Quant à la part des moins de 35 ans, elle a diminué de moitié entre 2014 et 2021, passant de 32% à 16%. Pour la Cour, un des obstacles majeurs au renouvellement du public d’Avignon tient au coût de l’hébergement dans la Cité des papes. Ce constat confirme celui de l’enquête "Festivals, territoire et société" qui considère que depuis 2008 aucune diversification sociale des publics n’est à l’œuvre et conclut à une "panne" de la démocratisation culturelle.

La Cour des comptes fait d'ailleurs de la démocratisation culturelle un des axes forts de sa dernière recommandation, qui concerne cette fois uniquement le ministère de la Culture : "Conditionner davantage les aides de l’État à des exigences de création, de démocratisation culturelle et de diffusion numérique." Sur ce point essentiel, les collectivités sont donc laissées libres de suivre ou non. Mais il est difficile d'imaginer, au moins pour les festivals les plus importants qui font l'objet de cofinancements, que seul l'État puisse imposer ses conditions. Quant aux organisateurs de festivals, très attachés à leur liberté de création, ils s'interrogeront sans doute sur ce que l'État pourrait exiger d'eux en la matière...