Cour des comptes - Rapport public 2018 : une réduction du déficit insuffisante et incertaine ?
Analysant, dans son rapport public annuel 2018 présenté ce 7 février, "la situation d'ensemble des finances publiques", la Cour des comptes considère que la baisse du déficit programmée en 2018 est trop faible et repose sur des postulats discutables, notamment quant au ralentissement des dépenses des collectivités. Même chose pour la trajectoire 2018-2022 tracée par la loi de programmation des finances publiques.
Réduction du déficit trop lente, dette trop élevée... la Cour des comptes met en garde contre tout "relâchement" dans la gestion des finances publiques, appelant comme à l'acoutumée l'Etat à accélérer les réformes pour réduire son niveau de dépenses.
"L'amélioration constatée de la situation économique n'autorise aucun relâchement", prévient en effet l'institution dans le chapitre introductif de son rapport annuel rendu public ce mercredi 7 février, chapitre traditionnellement consacré à "La situation d'ensemble des finances publiques". "Elle doit au contraire aller de pair avec une action renforcée de maîtrise de la dépense publique" pour que la France "retrouve des marges de manoeuvre budgétaires et assure la soutenabilité de son endettement public", ajoute-t-elle.
Selon les dernières prévisions de Bercy, le déficit public devrait s'établir à 2,9% du PIB en 2017, passant pour la première fois depuis dix ans sous la barre des 3%. En 2018, il devrait atteindre 2,8%. "Malgré le passage possible de son solde public en dessous de trois points de PIB", la France va continuer "de connaître une situation plus dégradée que celle de la quasi-totalité de ses partenaires européens", juge néanmoins l'institution présidée par Didier Migaud.
Le rapport relève en outre le caractère incertain des prévisions de Bercy, y compris sur 2017. Notamment dans la mesure où "comme tous les ans, des incertitudes significatives pèsent encore, à la fin du mois de janvier, sur les comptes des collectivités", les remontées comptables disponibles fournissant "une image imparfaite de leurs comptes pour 2017, en particulier pour leurs dépenses d'investissement."
La dette publique devrait augmenter en 2017 et se stabiliser en 2018 à 96,8% du PIB, soit plus de 2.200 milliards d'euros, alors qu'elle devrait refluer chez tous les autres membres de la zone euro. Cette divergence inquiète forcément la rue Cambon.
L'amélioration des finances publiques est "tardive" et "principalement imputable à la conjoncture", jugent en outre les magistrats financiers, déçus par l'ampleur insuffisante de la baisse du déficit programmée en 2018 : "Le gouvernement prévoit une réduction très faible du déficit (0,1 point de PIB), qui s'établirait à 2,8 points de PIB, résultant d'un déficit de 3,4 points de PIB pour les administrations publiques centrales en partie compensé par un excédent de 0,1 point de PIB pour les administrations publiques locales et un excédent de 0,5 point de PIB pour les administrations publiques de sécurité sociale", résume le rapport. "Une telle situation ne laisse pas de marges pour rester en dessous du seuil de trois points de PIB en cas de choc conjoncturel défavorable ou d'aléas sur les recettes ou les dépenses", ajoute la cour, qui appelle à "réduire drastiquement les déficits structurels".
Les dépenses des collectivités en 2018 sans doute sous-estimées
Du côté des collectivités, elle constate que "la prévision associée à la loi de finances [pour 2018] table sur un nouveau ralentissement de l'ensemble de leurs dépenses" : +0,2% en volume en 2018 après +1,7% en 2017. Un ralentissement qui "proviendrait tout d'abord des dépenses
d'investissement" : +3,0% en volume après +5,0%. Or, rappelle la cour, la quatrième année du mandat communal "s'accompagne généralement d'une hausse sensible de l'investissement des communes". Sans compter "un potentiel important de rattrapage après trois années de baisse inhabituellement forte". Conclusion : "La croissance de l'investissement pourrait être sous-estimée" par l'exécutif pour 2018.
Même chose d'ailleurs sur les dépenses de fonctionnement : "La prévision associée à la loi de finances suppose une baisse inédite de 0,6% en volume, après une augmentation de 0,5% en 2017." Ceci, parce que le gouvernement prévoit que les collectivités vont à la fois "bénéficier de l'impact favorable sur leurs dépenses sociales de l'amélioration de la conjoncture" et "continuer leurs efforts de maîtrise de leurs dépenses de fonctionnement malgré la stabilisation des concours financiers de l'Etat, après trois années de baisse marquée."
Le rapport de la cour revient à ce titre sur le mécanisme de contractualisation prévu par la loi de programmation des finances publiques pour "inciter les collectivités à la poursuite de cette maîtrise". Et juge que "compte tenu notamment des difficultés de mise en oeuvre que peut comporter tout dispositif nouveau, le risque que les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales soient plus dynamiques que prévu en 2018 est élevé".
2018-2022 : une trajectoire de solde et de désendettement "peu vraisemblable"
La cour reste au moins aussi prudente, pour ne pas dire critique, face à la trajectoire de moyen terme telle que tracée par le gouvernement pour les années 2018 à 2022 dans la loi de programmation.
Cette trajectoire dessine en effet une baisse du déficit concentrée sur les dernières années du quinquennat et fondée sur une hypothèse de croissance "optimiste". L'effort en termes de dépenses serait en outre "insuffisant pour permettre le retour à l'équilibre structurel". Enfin, le "pari" du gouvernement serait que ce sont les excédents des collectivités locales ainsi que des administrations de sécurité sociales qui "permettront de compenser en partie les déficits persistants de l'Etat". Or la cour en doute beaucoup.
Elle considère en effet que les excédents prévus côté collectivités par la loi de programmation, "s'ils se réalisaient, auraient un caractère exceptionnel". Il faudrait, remarque-t-elle, "remonter au début des années 1950 pour trouver trace d'un excédent équivalent à celui prévu pour 2022" !
Sur la question de la contractualisation, elle écrit : "Cette stratégie repose sur le pari que ces collectivités acceptent d'entrer dans cette logique contractuelle, alors même que de nombreux points de désaccord les opposent à l'Etat (sur le financement des aides sociales, l'impact des normes, etc.). Elle suppose que le mécanisme de correction destiné à sanctionner financièrement les dépassements par rapport aux objectifs sera appliqué avec rigueur (…). De plus, la cible de déficit retenue dans la loi de programmation implique, non seulement que les collectivités territoriales autofinancent intégralement leurs investissements, mais en outre que leur dette baisse continûment, alors même qu'elles sont fondées à financer en partie leurs investissements par endettement."
Alors, tout en continuant de penser que les collectivités disposent encore de certaines "marges d'efficience pour leurs dépenses de fonctionnement comme d'investissement", la cour estime que "la stratégie annoncée conduit à une trajectoire de solde et de désendettement des collectivités territoriales qui apparaît peu vraisemblable". Et prévoit par conséquent qu'une "révision de cette stratégie risque de s'imposer avant le terme de la loi de programmation".
Le rapport 2018 de la Cour des comptes, c'est aussi...
Comme chaque année, le rapport de la Cour des comptes détaille une série d'exemples de gestion perfectible, donnant lieu à des recommandations en matière d'utilisation des fonds publics et d'efficacité des services publics. Nous en avons sélectionné une bonne dizaine intéressant directement les collectivités, consacrant un article de cette "édition spéciale" à chacun de ces chapitres :
Piscines publiques : un plaidoyer pour moins d'Etat et plus d'intercommunalité
Contrats aidés : le gouvernement confirmé dans ses orientations, mais alerté sur les risques de dérapage
Service civique : après une montée en charge réussie, l'Etat interpellé sur ses objectifs
Pour une accélération du digital dans les services de l'Etat
L'électrification rurale mise au défi de la transition énergétique
Les compteurs Linky doivent bénéficier davantage aux consommateurs
La gestion des amendes de circulation dans le radar de la rue Cambon
Un satisfecit d'ensemble pour la CNSA, mais des disparités départementales qui persistent
Emprunts toxiques des collectivités : une sortie de crise à 3 milliards d'euros
Un bilan jugé "mitigé" pour l'opération Campus, 10 ans après son lancement
Ile-de-France : pour un transfert de la gouvernance "eau" à la métropole du Grand Paris
Stations de ski des Alpes du Nord : y aura-t-il encore de la neige à Noël ?
Tourisme en Languedoc-Roussillon : une copie à revoir pour la région Occitanie
Logement : un dispositif fiscal à 3,6 milliards d'euros et le logement des douaniers épinglés
Remises fiscales : des pratiques administratives très hétérogènes