Quand les collectivités décident de quitter X
On ne compte plus les collectivités qui annoncent quitter X (ex-Twitter), jugé "toxique" pour la démocratie depuis son rachat par le milliardaire Elon Musk. Un pic de départ était attendu lundi 20 janvier, date symbolique d'investiture du nouveau président américain. Beaucoup ont opéré une migration vers d'autres réseaux tels que Bluesky et Mastodon.
"En tant que président de région, il est de mon devoir de défendre les valeurs, chères aux Bretonnes et aux Bretons, de progrès social, de solidarité, d'ouverture au monde et aux autres. Et si je suis évidemment favorable à la liberté d'expression, je considère qu'elle ne peut s'exercer sans contrôle, en dehors des principes fondamentaux de respect et de modération. Depuis le rachat de la plateforme par Elon Musk, les propos mensongers, haineux, racistes, révisionnistes qui se répandent sur X menacent nos démocraties. Il est donc de ma responsabilité, en tant qu'élu, de me retirer d'un réseau qui refuse d'appliquer les règles européennes de contrôle." C'était le mardi 14 janvier 2025. Loïg Chesnais-Girard annonçait que sa région, suivie par près de 116.000 personnes et lui-même en tant qu'élu suivi par 20.000 abonnés, se retiraient de la plateforme X, le fameux "ex-Twitter", "en raison des valeurs véhiculées aujourd'hui par le réseau social". Ce n'était pas le premier. Ce ne sera pas le dernier. Depuis, la vague des départs n'a cessé de grossir.
#HelloQuitteX
Un pic était attendu lundi 20 janvier, date symbolique d'investiture du nouveau président américain, Donald Trump. Un grand mouvement #HelloQuitteX, invitait les autres collectivités, parlementaires, associations, institutions, ou simples usagers à quitter X pour d'autres réseaux sociaux.
Après la Nouvelle-Aquitaine, l'Occitanie, Provence-Alpes-Côte d'Azur, le Grand Est, quelle sera la prochaine région ? Côté départements, on recense la Charente, la Gironde, l'Hérault, le Lot, les Landes, la Seine-Saint-Denis etc. Parmi les communes, on nommera les plus grandes : Paris, Nantes, Bordeaux, Grenoble, Lyon, Rennes, Strasbourg, Clermont-Ferrand, Poitiers, Lille etc. On compte également quelques communautés d'agglomération et métropoles : métropole de Lyon, Nantes Métropole, Métropole Européenne de Lille (MEL), Toulouse Métropole.
"Toxicité, ingérence, manque de modération, dérive"
Alors pourquoi ces collectivités décident-elles de tourner le dos à X, crée en 2006, racheté en octobre 2022 pour la modique somme de 44 milliards de dollars par Elon Musk ? Elles évoquent le manque de modération, du harcèlement en ligne, la propagation des Fake News ou encore l'utilisation politique de X par son propriétaire et milliardaire américain. Dans le détail, la mairie de Paris (2,2 millions d'abonnés sur X) dénonce la "toxicité croissante" de la plateforme et des soupçons "d'ingérence dans la vie démocratique de certains États", dans son communiqué du 20 janvier 2025. Le terme a été repris par le département des Côtes-d’Armor : le 17 janvier, le département a indiqué qu'il fermerait son compte X le 20 janvier, face à "l'absence de modération et la toxicité croissante du média". Le même jour, le maire de Lyon, Grégory Doucet, voyait dans X une plateforme où "les communautés les plus féroces y règnent en maître". Le département d'Ille-et-Vilaine invoque quant à lui une "dérive incompatible" avec ses valeurs et "le manque de modération". Quelques jours plus tôt, Franck Leroy président de la région Grand Est, estimait que le réseau social "s'est transformé en vecteur de division". Pour lui, la plateforme "amplifie la haine, le racisme, promeut les mensonges et valorise les discours extrémistes". "Depuis plusieurs mois, X connaît une dérive qui ne correspond plus à l'éthique défendue par la ville de Poitiers, estime sa maire, Léonore Moncond'huy, notamment en matière d'information et d'usage des réseaux sociaux". L'élue considère que le réseau social "est de moins en moins neutre" et ne "lutte pas assez contre le harcèlement en ligne".
Quitter X pour migrer où ?
Face à ces constats, les collectivités ne se retirent pas simplement de X sans alternative. Elles redirigent leur stratégie de communication vers des plateformes jugées plus éthiques ou pertinentes pour toucher leurs administrés. Parmi les principales alternatives citées, la plateforme Bluesky semble faire consensus. Fondée par Jack Dorsey, cofondateur de Twitter, Bluesky se présente comme une alternative à X par excellence, tant son interface lui ressemble. Le réseau repose sur le "Authenticated Transfer Protocol" (AT Protocol) , "conçu pour promouvoir une approche décentralisée et offrir aux utilisateurs un meilleur contrôle sur leurs données et algorithmes". Au 20 janvier 2025, 28 députés (soit 30%) étaient passés à Bluesky, selon le média Projet Arcadie. Tous n'ont pas pour autant supprimé leur compte Twitter. Certains l'ont fait comme Roland Lescure, mais la majorité va garder son compte Twitter. Ce dernier a indiqué dans Le Parisien qu'il allait "fermer (son) compte sur ce réseau social", et lancer "un appel transpartisan" à faire de même, invoquant une "responsabilité collective". Ce dernier admet que "quitter X a un coût", et que pour les politiques, ce réseau "remplace souvent les communiqués", mais il se dit persuadé qu'"il y aura d'autres départs" et précise qu'il va "trouver d'autres canaux pour informer et (s')informer".
Autre alternative, créée en 2016, Mastodon, réseau social décentralisé et sans publicité, gagne en popularité auprès des acteurs publics, offrant un cadre propice à une communication institutionnelle respectueuse des utilisateurs. Lui aussi reprend les codes de la plateforme avec des publications, des hashtags, des possibilités de reposter, de mettre en favoris des publications ou de suivre des comptes.
Les acteurs publics citent aussi les traditionnels LinkedIn, Instagram et TikTok, bien que ce dernier est aussi sous le feu des critiques (notre article du 28 octobre 2024). Pour mémoire, le président de la région Bretagne avait quitté la plateforme TikTok en mai 2024 précisant que sa région continuera d'être présente sur d'autres réseaux sociaux. Il avait cité LinkedIn, Instagram, Facebook et… Bluesky. "Tout en restant vigilants sur leurs évolutions, nous devons être présents sur ces espaces, qui nous permettent d'échanger avec les citoyens, de défendre nos valeurs, nos actions et nos combats", a conclu Loïg Chesnais-Girard.
"Ce n'est pas à nous de quitter ces plateformes..."
Côté gouvernement de François Bayrou, un départ de X "n'est pas du tout d'actualité", selon sa porte-parole, Sophie Primas. "Ce n'est pas à nous de quitter ces plateformes, (comme X, Instagram, facebook ou Tiktok, ndlr), mais plutôt à celles-ci de se conformer aux règles européennes en vigueur", justifie-t-elle. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe, a lui aussi confirmé samedi 18 janvier qu'il resterait sur la plate-forme. La présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a elle estimé que l'Europe devait développer "des réseaux sociaux souverains (...)". Mais "basculer de Twitter à un autre réseau qui reste sous la domination américaine ne me semble pas être la panacée", a-t-elle ajouté.
X dans le viseur de l'UE
Cette vague de départs pose une question de fond : quelle place pour la communication publique dans un paysage numérique fragmenté ? Les collectivités devront relever le défi de maintenir le lien avec leurs citoyens tout en respectant leurs engagements éthiques. Cette transition pourrait inspirer d'autres acteurs publics, voire influencer le débat européen sur la régulation des plateformes numériques (voir notre encadré ci-dessous). La Commission européenne a annoncé vendredi 17 janvier avoir adressé au réseau social américain trois demandes d'enquête technique supplémentaires concernant le système de recommandation de la plateforme. Il est notamment demandé à X de fournir avant le 15 février 2025 "une documentation interne sur ses systèmes de recommandation et sur toute modification récente apportée à ceux-ci". Une "ordonnance de conservation", oblige la plateforme à "préserver les documents internes et les informations concernant les changements futurs dans la conception et le fonctionnement de ses algorithmes de recommandation", pour toute la durée de l’enquête allant du 17 janvier 2025 au 31 décembre 2025. Enfin, la Commission a émis, une "demande d'accès à certaines API commerciales de X", des interfaces techniques permettant un accès direct aux contenus pour vérifier la modération et la viralité des comptes.
› Un nouveau Code de Conduite+ dans la législation européenne sur les services numériquesLa Commission européenne et le Comité européen des services numériques annoncent dans un communiqué du 20 janvier 2025 l'intégration d'un nouveau Code de Conduite+ dans la législation sur les services numériques. Ce code vise à renforcer la lutte contre les discours de haine illégaux diffusés sur Internet. C'est une évolution du premier code lancé en 2016, signé par de grandes plateformes comme Facebook, TikTok, YouTube, et bien d'autres. Il impose des engagements concrets pour mieux détecter, traiter, et réduire les discours de haine en ligne tout en respectant les lois européennes. Bien que le Code+ soit un outil volontaire, il s'inscrit dans un cadre législatif plus large, notamment celui de la Législation sur les Services Numériques (DSA), qui impose des audits indépendants pour garantir la conformité des plateformes. Une démarche qui risque de poser problème pour des acteurs comme X, qui semble s'éloigner des valeurs de transparence et de responsabilité promues par l'UE. |